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Moi, Maîtresse

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MOI, MAITRESSE?

Djeney SIBY G.

MOI, MAITRESSE?

Les Belles Histoires de Djeney


© Les Belles Histoires de Djeney, 2022
Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction, intégrale ou
partielle, réservés pour tous pays.
L'auteur est seul propriétaire des droits et responsable du contenu de cet
e-book.

À Fatim, assassinée et découpée par son époux. Abidjan, Côte d'Ivoire


le 30 Août
2022.
Aminata Yattassaye, étranglée à mort par son époux. Bamako, Mali le
17
juillet 2022
Abigail Larbi, décapitée par son époux.
Ayensua, Ghana, le 08 avril 2021
Fatoumata Tounkara, battue à mort par son époux. Conakry, Guinée, le
17 juillet 2019.
Aminata Kâ, enceinte et battue à mort par son époux. Novembre 2019 à
Dakar, Sénégal.
Et à toutes les autres, mortes sous les coups.
À toutes celles dont le seul crime a été d'aimer la mauvaise personne,
puisse vos âmes reposer en paix.

Chapitre 1

Je suis rentrée aux aurores, le corps malmené par la fatigue


et le manque de sommeil.
Entre l'hôpital et le
commissariat, je n'ai pas eu de répit.
J'ai passé toute la nuit dernière entre horreur et indignation,
entre hurlements et incompréhension, entre déchirements
et questionnements.
Maya a été sauvagement agressée par une dame et ses
sœurs. Elle a été battue, défigurée à la lame de rasoir et
violée avec des objets. Comment en arrive-t-on à un tel
degré de violence ? Comment arrive-t-on à infliger ce genre
d'horreur à son semblable?
Des femmes ? Faire ça à une femme ? Des mères ? Faire
ça à une fille ? Mon coeur croule
encore sous le poids de la douleur.
Lorsque, suffocante, Maya m'a appelée au bord de
l'évanouis- sement, j'ai cru que je n'aurais pas assez de
force ni assez de temps pour la sauver. Heureusement, j'ai
pu arriver à temps sur les lieux pour l'emmener à l'hôpital.
Nous avons pu porter plainte, mais qu'est-ce que ça pourra
bien changer à ces énormes balafres sur son innocent
visage? À ce traumatisme subi, ce viol et la destruction de
son intimité ? Je suis si épuisée.
Madame Milanne va arriver dans quelques heures et il va
falloir lui expliquer ce qui s'est passé, je ne sais pas par
quoi commencer.
Je suis Massiami Traoré, Éducatrice de lycée.
J'exerce dans une petite ville de l'intérieur du pays, dans le
seul lycée qui existe dans cette ville. Je vis au sein de
l'établissement car je n'ai pas de famille sur place dans la
ville, le lycée offrant quelques logements pour le personnel.
J'ai vingt-neuf ans et je suis la plus jeune éducatrice du
lycée. J'en suis à ma première prise de fonction.
Ça va faire deux ans que je suis là et j'ai trouvé en mes
collègues une seconde famille.
Madame Milanne est la proviseure du lycée.
Elle y est en fonction depuis trois ans. Elle m'a accueillie et
m'a prise comme sa fille.
C'est à ce titre que Maya, son unique fille, est devenue ma
petite sour.
Maya n'a que dix-neuf ans. Brillante, elle a obtenu le BAC il
y a deux ans déjà et étudie dans une université privée à la
capitale.
N'étant pas très loin de la ville où nous vivons, Maya passe
certains week-ends avec nous ainsi que ses congés et
vacances. Une très forte relation s'est tissée entre elle et
moi mais c'est quelqu'un d'assez réservée qui ne se confie
pas beaucoup, surtout sur ses histoires sentimentales.
Aujourd'hui, je suis tombée des nues car
toute cette histoire m'est vraiment tombée dessus sans crier
gare. Depuis trois années, c'est-à-dire depuis son année de
terminale, Maya entretient une relation avec Mr Alain Fancy,
professeur d'anglais au sein de l'établissement. La relation
a été tenue très secrète, Mr Fancy étant marié et maya
étant mineure. Adulte et aguerri, il a dès le début réussi à
créer une grande dépendance affective chez la petite. Elle
lui a cédé son corps et bien plus encore.
Chaque week-end de sortie, Maya rentrait à la maison au
lieu de rester en ville étudier avec ses amis ou sortir pour
découvrir le monde. Chaque congé, chaque vacance, c'était
pareil. C'était donc ça la raison principale de son envie
pressante de toujours rentrer à la maison. Elle trouvait
toujours un moyen de le retrouver quelque part, à des
heures de la journée ou de la nuit. Mr Fancy vivant assez
loin du lycée, elle prenait des risques énormes en allant le
voir les nuits. Quelques fois, en l'absence de madame
Milanne, c'était lui, Fancy qui venait et Maya le laissait
entrer en douce dans la maison.
Distraite et grande dormeuse, je n'ai jamais rien soupçonné
jusqu'à ce qu'elle me raconte tout hier soir.
Madame Fancy a finalement tout découvert, il y a quelques
mois. Elle s'est donc mise à menacer et harceler Maya sur
ses numéros de téléphones et ses réseaux sociaux. Puis,
hier soir, elle a décidé de mettre son plan à exécution. Elle
a envoyé un SMS à Maya avec le téléphone de son époux
pour lui donner un rendez-vous. Rendez-vous qui était en
fait une embuscade. Maya a été battue, violée, défigurée.
Et je dois expliquer à sa mère qui rentre dans quelques
heures que Mr Fancy couche avec sa fille, qu'elle a été
agressée par les belles-sœurs et l'épouse de celui-ci, mais
aussi et surtout, qu'elle est enceinte.
J'ai la tête qui bourdonne. Ça va être le carnage, cette
histoire risque de prendre une ampleur déconcertante. J'en
veux à Fancy, à son épouse et ses belles-soeurs mais j'en
veux un peu aussi à Maya, de s'être laissé embarquer dans
cette histoire et d'avoir gardé tout ça pour elle seule jusqu'à
ce que ça dégénère.
Je suis sur le point de rentrer dans la salle de bain lorsque
mon téléphone sonne : c'est ma mère.
• Allô ?
• Oui, Massiami, ça va ?
• Oui maman ça va bien. Et chez toi?
• Ça peut aller. Quand est-ce que tu rentres ?
• Maman ! Je t'ai dit que je ne sais pas encore quand je
rentrerai.
C'était il y a une semaine ça, et tu ne sais toujours pas ?
Siamy, ça va faire six mois que tu n'es pas venue à la
maison alors que tu es à peine à trois heures de route
d'Abidjan, qu'est-ce qui ne va pas ?
• Rien maman, c'est juste que j'ai trop de travail ici.
Même pendant les congés, j'ai de la paperasse à
remplir.
• Dis plutôt que tu nous fuis ! Ta cousine se marie dans
deux semaines, il faut que tu viennes.
• D'accord maman, je vais voir.
• Il n'y a pas de je vais voir qui tienne, si je ne te vois pas
la semaine prochaine, je viendrai moi-même là-bas et
crois-moi, je ne rentrerai pas sans toi...
• D'accord maman.
• Et puis d'ailleurs, toi, tu nous présentes un homme
quand? Nos yeux ont duré sur la route...
• Aaah maman, tu ramènes ça encore ?
Si j'ai quelqu'un, pourquoi est-ce que je le
cacherai ?
• Ma chère, si on te propose de te donner à quelqu'un,
est-ce que tu vas accepter?
Tu vois ? C'est à cause de tout ça que je ne viens pas.
Écoute, j'ai beaucoup de problèmes ici aujourd'hui et je suis
fatiguée.
- Quel genre de problèmes ?
- Maya a été agressée, elle est à l'hôpital depuis hier soir et
sa maman n'est pas encore rentrée de la brousse...
• Ô Seigneur ! Ma petite perle ! Qu'est-ce qui s'est passé
?
• .
Je prends le temps de lui expliquer sans vraiment lui
confirmer la relation entre Maya et Alain Fancy. Elle parle
encore trente minutes avant de raccrocher. Je suis un peu
énervée parce que je vais devoir rentrer en famille dans une
semaine. Je m'entends très bien avec la future mariée, ma
cousine Sita.
Cependant, même si je suis très heureuse pour elle, je sais
que l'organisation du mariage et les remarques
désobligeantes de ma famille sur ma situation matrimoniale
vont me saouler.
Dès que je ressors de la douche, je m'allonge pour un repos
de trente minutes avant de retourner à l'hôpital mais mon
téléphone sonne encore. Je jette un coup d'oeil sur l'écran
et je vois le nom s'afficher : Mr Kaunan hamed. Je soupire,
éteins mon téléphone et je me recouche. Je n'ai aucune
envie de lui parler.
Ces hommes mariés, toujours à courir les jeunes dames
comme si on les avait forcés à se marier, me sortent par les
pores. Ils n'ont aucun respect pour eux-mêmes et encore
moins pour leurs épouses. Ils sont toujours là à mentir,
esquiver, ne jamais prendre leurs responsabilités et fuir
lorsqu'ils créent des
problèmes. On devrait les enfermer dans une prison ou
dans un asile, je ne sais pas trop.
Malheureusement pour moi, je ne sais pas pourquoi, je ne
tombe que sur ces goujats.
Mais je me garde bien d'accepter leurs propositions parce
que ça ne finit jamais bien ce genre de choses. D'ailleurs, il
faut être vraiment naïve pour se laisser berner ainsi et
s'engager dans une relation avec quelqu'un de déjà pris. Au
début, ils peuvent peut-être mentir mais la vérité finit
toujours par se savoir à un moment ou à un autre. Dès
qu'on s'en rend compte, la meilleure chose à faire c'est de
courir loin, très loin de ces cafards.
Je plains vraiment celles qui s'emmêlent dans ce genre de
lianes gluantes. En tout cas, sauf si la vie me bandait les
yeux, moi, maîtresse ? Jamais de la vie !
Je me lève et m'habille pour sortir, il faut aller affronter toute
la pagaille que monsieur
Fancy a créée.
Chapitre 2

L'affaire de Maya est devenue une affaire d'État. Mme


Milanne a alerté toutes les autorités compétentes. Mais ce
qui a encore plus contribué à faire de cette histoire ce
qu'elle est devenue, c'est que la presse s'en est mêlée. Les
gens en ont trop parlé et une vidéo sur l'affaire est devenue
virale sur la toile, chacun y allant de son commentaire et de
ses analyses.
Madame Fancy et l'une de ses sours ont été arrêtées. Elles
étaient cinq lors de l'agression, mais Maya n'a reconnu
formellement que ces deux-là et les autres se sont
désolidarisées de leurs soeurs. Mr Fancy a aussi été arrêté
pour complicité d'agression mais aussi détournement de
mineure. En attendant le procès, ils ont tous les trois été
déférés.
Mme Milanne a préféré faire partir Maya à Casablanca
auprès de son père en attendant le début du procès.
Enceinte, Maya a décidé de garder son bébé contre l'avis
de sa mère et ironiquement, elle souffre terriblement de
l'arrestation d'Alain Fancy.
Je range mes affaires depuis quelques heures.
Je m'apprête à rentrer à Abidjan pour les préparatifs du
mariage de ma cousine. Je n'ai pas très envie d'y aller mais
je n'ai pas le choix. Sita, la mariée, et moi nous entendons
vraiment bien, c'est juste que je ne veux pas faire face aux
critiques concernant ma vie sentimentale totalement vide.
Je sais pourtant que j'ai besoin de m'éloigner d'ici quelque
temps, parce que depuis l'histoire de Maya, je suis restée
enfermée chez moi sans sortir. Je me cache
pour éviter d'affronter les questions des curieux qui veulent
tout savoir, jusqu'à la couleur des intestins de Maya.
J'ai besoin de souffler un peu, de vivre pour moi quelque
temps, en espérant que ma famille me laissera souffler avec
cette histoire de mariage...
Je me suis endormie après avoir fini de ranger mes affaires.
Il est déjà quinze heures et trente minutes et si je me
dépêche, je peux encore attraper un véhicule 4x4 banalisé
à la gare d'Adiaké pour Bonoua. De là, je pourrais prendre
un car pour Abidjan, Treichville.
Je ferme à clé tout ce qui doit être fermé et je sors du lycée
en pressant le pas. J'arrive très vite à la gare mais je peine
à trouver un taxi brousse vide, la majorité sont déjà pleins et
prêts à décoller. Je patiente et finalement, j'en trouve un
mais il est déjà dix-sept heures lorsque nous prenons la
route de Bonoua. Nous y arrivons à dix-huit heures et trente
minutes. Je descends mes affaires et cours me trouver un
car ou un "Massa" en direction d'Abidjan mais les cars sont
tous déjà partis. Deux cars sont encore garés mais
personne ne sait s'ils partent ou pas.
Je décide de prendre le massa qui est un mini car à l'arrière
bombé, très souvent en mauvais état, pour aller plus vite. Je
savais que j'aurais dû me mettre en route depuis dix heures
du matin ou douze heures au plus tard. Là, je vais arriver
très tard et ma mère va encore se plaindre.
Je suis en train de programmer ma semaine dans ma tête
en profitant de l'air qui frappe mon visage à travers la
fenêtre quand le car fait une sorte de dérapage et s'arrête
brusquement dans un bruit assourdissant.
Nous manquons même de tomber dans un énorme ravin !
La peur tétanise tout le monde et on entend des prières
fuser de partout. C'est toujours dans ces moments-là qu'on
se souvient de Dieu.
Le chauffeur et son apprenti s'affairent sous le capot du
véhicule pendant un moment puis nous informent qu'il y a
une panne.
La voiture ne peut plus avancer. Nous descendons tous du
véhicule, qui semble perdu au milieu de nulle part. Ils nous
informent qu'une remorqueuse est en route depuis Bassam
pour nous secourir. Nous restons donc là, débout pour
certains et assis pour d'autres, à attendre dans le froid et le
noir avec toutes sortes de peurs à l'esprit.
Il est vingt et une heure lorsque nos sauveurs arrivent enfin,
presque trois heures plus tard. Nous remontons dans la
voiture et ils y accrochent un dispositif à l'avant avec des
cordes et des crochets en acier. Le véhicule est ensuite tiré
avec nous à l'intérieur, jusqu'à Bassam. Les hommes ont dû
grimper sur la remorque et les femmes sont restées dans la
voiture. Une fois à Bassam, il est vingt-deux heures trente
minutes. Le chauffeur nous informe que la voiture sera
envoyée au garage et que nous devons nous débrouiller
pour atteindre Abidjan, sans proposer de nous rembourser
le prix du ticket et avec des excuses qui ressemblent plutôt
à des injures.
Les esprits s'échauffent, les autres passagers s'emportent
et les cris fusent.
Tout le monde s'indigne, ils veulent en découdre avec le
chauffeur et son apprenti.
Fatiguée, je décide de ne pas me mêler à la révolte
collective. Je me dirige vers un endroit où je peux avoir un
véhicule rapidement pour Abidjan.
J'avance vers le rond-point de la gare lorsqu'un véhicule
s'arrête à mon niveau. Le conducteur baisse la vitre et me
salue:
• Bonsoir Madame, vous allez à Abidjan ?
• Euuh, oui oui, mais je vais prendre un car juste devant,
à la gare.
• Je peux vous déposer, je vais jusqu'à Adjamé si cela
vous arrange.
• Non merci, je vais prendre le car, il va directement à
Treichville, c'est ce qui m'arrange.
• Mais je peux vous laisser à Treichville avant de
continuer mon chemin, ça ne me dérange pas.
• N'insistez pas s'il vous plait, c'est gentil de votre part
mais non merci.
• -Ok. Faites un bon voyage alors.
• - Merci.
• Il remonte sa vitre et démarre. À ce moment-là, je me
sens un peu bête, j'ai envie de lui courir après et lui
demander de m'emmener parce que je ne suis pas
sûre de trouver un car à cette heure, mais la peur qui
m'a fait refuser son offre est toujours là alors je le
laisse partir.
• J'arrive à la gare et comme je le pensais, il n'y a pas de
car. Il est vingt-trois heures trente minutes.
• Les agents syndicalistes de la gare me demandent de
patienter et qu'un certain Momo fait des aller-retours
nocturnes avec sa voiture personnelle moyennant une
certaine somme. Il serait parti déposer une petite
famille et qu'à son retour, il accepterait sûrement de
m'emmener si on s'entend sur le prix.
J'accepte de l'attendre et je m'assois. J'ai faim et j'ai mal
aux pieds. Je sors mon téléphone et je me rends compte
que ma mère m'a appelée vingt-six fois ! Elle exagère
toujours cette femme. Je décide de la rappeler pour qu'elle
ne s'inquiète pas davantage. Je passe cinq bonnes minutes
au téléphone avec elle puis quand je raccroche, je me
rends compte qu'il y a un monsieur, debout près de mon
banc. Je ne sais pas si je me trompe mais je crois que c'est
le type de la voiture. Mon cour s'emballe de peur, qu'est-ce
qu'il me veut lui?
- Euuh, excusez-moi encore une fois, je sais que ça fait trop
psychopathe là mais j'ai fait le rond-point pour prendre du
carburant à la station là-bas derrière et je suis aussi allé aux
toilettes. Mais tout ce temps, je vous ai vue assise là, il n'y a
pas de car et vous êtes seule, je me suis dit que je devrais
peut-être insister une dernière fois pour vous déposer.
En fait, je vous ai aperçue depuis que vous descendiez du
Massa en panne accroché à la remorque. Quelque chose
m'a mis à cœur de vous aider. Si vous avez vraiment peur
de me suivre, je peux vous donner toutes mes pièces
d'identité et même mon téléphone.
Vous pouvez aussi donner mon signalement et le numéro
de plaque de ma voiture à vos proches.
- Hummm ... d'accord monsieur, c'est bon
je viens avec vous. Mais je veux d'abord envoyer votre
numéro de plaque et une photo de vous à ma sœur.
- Il n'y a aucun souci ! Allons-y. J'ai garé à la station.
Il prend spontanément mes affaires et on y va. Je prends la
photo de sa plaque et une de lui, il me propose en plus de
prendre en photo sa pièce d'identité, ce que je fais puis
j'envoie le tout à ma soeur Soraya. Je suis rassurée quand
je m'installe sur le siège passager à côté de lui. Il a l'air
tranquille, simple, pas suspect. Mon coeur se pose un peu
plus quand on démarre. Je hume son parfum, il sent très
bon. À bien y regarder, il est très beau, il est aussi très bien
habillé.
Je ne parle pas beaucoup pendant le trajet, lui non plus.
Nous arrivons à Treichville à pratiquement une heure du
matin. Il me dépose devant la villa familiale, à quelques
mètres de la piscine d'État. Soraya et ma mère sont devant
le portail, elles tiennent à le remercier. Soraya pousse le
bouchon jusqu'à lui demander son numéro de téléphone. Je
suis gênée, je le remercie et il part.
Le lendemain, je me réveille très tard à cause de la fatigue
de la veille. Dans l'après-midi, je vais faire des courses avec
ma mère pour le mariage de ma cousine qui aura lieu dans
quelques jours. Je pars déposer ma dentelle chez le
couturier de ma soeur. Je discute avec Maya sur
WhatsApp, elle m'informe que son père a décidé de lui
payer une chirurgie esthétique pour réparer son visage
défiguré après son accouchement. Elle me demande des
nouvelles de Mr Fancy, nouvelles que je n'ai pas. Nous
discutons encore lorsqu'un numéro inconnu m'appelle.
• Allô
• Allô oui, bonsoir Madame Massiami
• Bonsoir, c'est qui sil vous plaît?
• Abdul karim Sall.
• Ah ...
• Désolé de vous appeler comme ça, c'est votre sœur
qui m'a remis votre contact et je souhaitais prendre de
vos nouvelles après tout ce qui s'est passé hier. Vous
avez pu vous reposer j'espère ?
• Euuh, oui, oui, c'est gentil de demander ...
Nous discutons un long moment de tout et de rien. J'avoue
qu'au début, je suis un peu crispée mais au fur et à mesure
que la conversation évolue, je me détends.
Je me surprends même à rire aux éclats à un moment
donné. Il est vraiment très sympathique.
Le jour du mariage est enfin arrivé. Nous sommes tous
réunis dans le bel espace du pavillon Neneya à Cocody. Ma
cousine Sita est magnifique dans sa robe et aux côtés de
son époux. Ses bagues - de fiançailles et alliance - brillent
de mille feux sur son joli doigt qu'elle exhibe à coeur joie. Je
suis heureuse pour elle. Elle épouse son patron et leur
histoire est magnifique. Comme Soraya, j'ai eu envie de
crier " Seigneur, à quand ma victoire oh ? " mais je ne suis
pas aussi folle que ma sœur et j'ai encore beaucoup de foi
et de dignité pour savoir que mon tour viendra sûrement au
moment venu. Je danse et me balade d'une table à une
autre pour discuter avec mes oncles et mes tantes que je
n'ai pas vus depuis des mois. J'essaie d'esquiver toutes les
questions qui visent ma situation matrimoniale.
Je reçois un message WhatsApp de Abdul Karim qui
demande si on peut dîner ensemble le soir après le
mariage. Je souris : il commence vraiment à me plaire. Je
veux bien le connaître et voir ce que ça peut donner, mais
pour éviter les soucis très tôt, je compte le soumettre à un
questionnaire rigoureux et long comme mon bras ce soir.
S'il réussit à me rassurer, il aura sûrement droit à un autre
dîner, initié par moi-même cette fois…
Je suis dans mes pensées lorsque quelqu'un m'interpelle
avec de grands gestes. Je ne reconnais pas la personne
mais je m'approche quand-même de la table pour voir de
quoi il s'agit. Le monsieur me demande où se trouve les
toilettes, un autre me demande s'il peut avoir de l'eau.
J'interpelle un serveur qui passe non loin de là pour qu'il
s'occupe d'eux. Lorsque je tourne les talons, malgré la
musique assourdissante, j'entends quelqu'un d'autre crier
mon nom. Je me retourne pour faire face à un homme très
grand, élégamment habillé avec un sourire éclatant.
• Massiami ! Dis-moi que c'est toi s'il te plaît, dis-moi que
je ne suis pas fou !
• Euuuh, oui je m'appelle Massiami mais je doute qu'on
se connaisse. Qui êtes-vous?
• Qui suis-je ? Ton meilleur ami ! Massiami Traoré. Mon
Dieu
!
• Mon meilleur ami ? Dis-je en éclatant de rire, c'est une
blague non ? Je n'ai pas de meilleur ami. Si j'en avais,
je le saurais, je crois!
Peut-être parce que tu ne l'as pas vu depuis quinze longues
années et que tu ne sais plus à quoi il ressemble
maintenant. Tu sais, il était maigre et moche quand vous
alliez ensemble ramasser le mais de ta grand-mère…
• Oh ! Oh là là.... oh non !.... Quoi ? Ous....
• Ousmi, oui, c'est Ousmi!
• Ousmimii eeeehh Allah ! Purée ! Fais-je, les yeux
écarquillés et la bouche ouverte.
Je me jette dans ses bras et je ne sais comment mais mon
visage s'inonde de larmes la minute d'après. Quinze ans,
quinze longues années. Je pensais ne plus jamais le
retrouver et il est là, par le plus pur des hasards. Je pleure
comme une enfant et
sous les regards interrogateurs des invités, sous la musique
assourdissante, sous le soleil imposant, je ne vois plus
personne, je suis comme dans une bulle, dans un nouveau
monde totalement privé où Ousmi et moi sommes de
nouveau réunis...
Je reprends mes esprits après un long moment et nous
décidons de sortir du lieu de réception pour pouvoir parler
dehors.
Je suis encore sous le choc et je serre sa main très fort,
comme s'il allait disparaître si je ne le tenais pas.

Chapitre 3
J'observe Ousmi depuis un bon moment, il est... tellement
différent ! Il ne semble plus être ce gamin frêle et taquin que
j'ai connu.
Il est tellement beau, chic et élégant. Il sent tellement bon. Il
a l'air d'avoir vraiment réussi sa vie. Sans même savoir ce
qu'il fait et qui il est devenu aujourd'hui, je suis fière de lui.
Fière de ce que je vois ! Maman serait si heureuse de le
revoir !
Ousmimi est mon ami d'enfance, Ousmane Sylla il
s'appelle. Lorsque je suis née, il était déjà là, du haut de ses
deux ans. Fils de la voisine et meilleure amie de ma mère, il
s'attacha au joli bébé que j'étais. Maman me disait qu'il
passait toutes ses journées chez nous et qu'il pleurait
lorsqu'on me donnait mon bain et qu'il n'était pas là. J'ai très
vite grandi et naturellement, je ne jouais qu'avec lui. Il avait
six ans et moi quatre ans lorsque nous nous sommes un
jour perdus dans les champs. Nos parents ont failli devenir
fous ! Nous vivions au nord à cette époque, dans un petit
village près de Korhogo. Nous avons été retrouvés par un
chasseur qui nous hébergea la nuit avant de nous ramener
dans le village le lendemain. Ousmimi et moi faisions
presque tout ensemble. Puis, quand l'ado- lescence pointa
son nez, nous trouvions refuge l'un chez l'autre. On arrivait
à parler de nos insécurités, de nos corps qui changeaient,
des parents qui ne nous comprenaient pas... de tout. Mon
premier béguin à l'école, c'était à lui que j'en avais parlé et
vice-versa. C'était une amitié sincère, une fraternité
pure, un peu comme s'il était mon frère jumeau. Nous nous
disputions souvent mais nos divergences ne duraient jamais
plus d'une heure. Nous allions ensemble ramasser le mais
dans les champs de ma grand- mère paternelle. Elle nous
donnait à manger en retour et quelques pièces d'argent
qu'on allait dépenser en achetant des billes pour jouer.
J'étais plutôt garçon manqué et même en lutte, j'arrivais à le
battre parfois.
Et puis, un matin pluvieux de juin, mon père fit un malaise, il
fut transporté d'urgence à Korhogo mais la voiture eut juste
le temps de sortir du village qu'il rendit l'âme. Tout bascula
dans ma vie ce jour-là. J'avais à peine treize ans et
quelques mois. J'étais très proche de mon père. J'étais son
deuxième enfant mais sa première fille, sa princesse.
Il jouait aux billes et au foot avec moi, m'aidait avec mes
cours, dansait et jouait avec moi, me protégeait, me donnait
des conseils. C'était un père doux et merveilleux, le meilleur
papa du monde, et je venais de le perdre tellement
brutalement. Je me souviens que ma mère s'était évanouie
à plusieurs reprises. Je me souviens des cris de douleur,
des lamentations dans la cour.
Mon père avait à peine quarante ans. Ma mère en avait
trente-cinq. Elle se retrouvait veuve, avec trois enfants de
dix-sept, treize et six ans. Ma petite sour avait à peine six
ans. Je revois encore mon grand frère Bilal, se cogner la
tête contre le mur, de rage et d'im-puissance, papa était son
bras droit.
Moi je n'arrivais pas à pleurer, je regardais les gens hurler
et je me disais que j'avais dû mal comprendre et que papa
allait sûrement revenir de l'hôpital. Pendant trois jours, je
n'ai réussi ni à pleurer, ni à manger normalement ou à
boire. Maman était loin de nous, assise au milieu d'une
foule de femmes. Vêtue
d'un boubou bleu et couverte d'un grand voile. On nous
demandait vite fait si on s'était lavés ou si on avait mangé
mais c'était juste ça, les gens étaient occupés à autre
chose. Je n'avais pas non plus dormi pendant ces trois
jours et je commençais à me sentir mal.
Le troisième jour fut le jour de l'enterrement, le village était
plein à craquer. La foule, les cris, le corbillard qui partait,
Maman qui hurlait en voulant le retenir ... je me suis
écroulée. C'était lourd, c'était dur, c'était pénible. Quand je
me suis réveillée chez ma grand-mère, tout le monde était
parti, tout le monde sauf Ousmimi. Il était assis dans un coin
de la case et me regardait. Il s'est approché de moi et m'a
prise dans ses bras. À ce moment-là, j'ai réussi à pleurer.
J'ai pleuré dans ses bras comme jamais. Je me suis
souvenue de combien il était là depuis le jour du décès,
combien il essayait de m'aider, de me faire manger, de me
faire réagir. J'ai pleuré sur lui toute la nuit, il n'a pas voulu
rentrer chez lui. Ma grand-mère nous a gardés durant des
jours et Ousmimi restait là à me tenir la main, me caresser
le dos, essuyer mes larmes et me consoler. Je n'oublierai
jamais ces instants, jamais.
Même l'odeur du kabato de ma grand-mère me revient,
Ousmimi me forçait à en manger. Sa mère venait le
chercher chaque jour et il refusait de partir. Il lui disait
"maman pardon, laisse-moi rester un peu, sinon Siamy ne
va pas manger, regarde là, elle ne va pas bien" et sa mère
me regardait un long moment puis décidait de partir et de
nous laisser là.
Pâte à base de farine de mais, cuit à l'eau.
Sans lui, je ne sais pas comment j'aurais pu supporter et
surmonter tout ça.
Quelques mois après le décès de papa, maman m'informa
que nous allions venir vivre à Abidjan. Je ne voulais pas
quitter Ousmimi, quitter ma grand-mère et tous mes amis.
Je me souviens avoir pleuré pendant des jours. La mère
d'Ousmi me promit qu'il viendrait passer les vacances à
Abidjan chez nous. Elle promit qu'il appellerait chaque
semaine et nous laissa un numéro sur lequel je pouvais
l'appeler aussi.
Le départ fut difficile, la séparation éprouvante mais comme
promis par nos parents, nous arrivions à nous parler au
téléphone chaque fin de semaine. Soit c'était ma mère qui
appelait, soit c'était la sienne.
Mais on ne parlait pas plus de trois minutes et pourtant on
avait tellement de choses à se dire. Puis les premiers
congés de Noël arrivèrent et après de nombreuses
supplications de part et d'autre, Ousmimi arriva enfin chez
nous. Ce fut les plus belles vacances de ma vie. On fêta
mes quatorze ans et les Seize ans de Ousmimi ensemble.
Après trois semaines, il rentra à Korhogo où il vivait
désormais avec sa famille. Il était prévu que pour les
congés de pâques, ce soit moi qui aille chez eux. Puis le
destin a encore fait des siennes et cette fois, c'est la mère
d'Ousmimi qui nous a quittés brusquement.
Ma mère étant malade au même moment, elle dû partir
d'urgence aux funérailles.
C'était en février et j'allais encore à l'école, elle se refusa à
m'y emmener. Je pense que jusqu'à aujourd'hui je lui en
veux pour ça.
Le fait de n'avoir pas pu être là pour Ousmi comme il l'a été
pour moi au décès de mon père me blessa énormément. Je
pus juste lui parler au téléphone mais ce n'était pas
suffisant pour moi. Je me sentais loin de lui et inutile.
Je m'en voulais de ne pas pouvoir lui rendre la pareille, de
ne pas pouvoir le prendre dans mes bras et l'apaiser. Je
traînais cette tristesse et cette culpabilité durant des mois.
Puis un soir, Ousmimi appela sur le numéro de ma mère
pour m'annoncer qu'il partait au Canada. La petite sœur de
sa mère y vivait depuis des années et avait décidé de le
prendre avec lui pour s'en occuper. Il appelait pour me dire
au revoir. Il promit de m'appeler et m'écrire des lettres... Il
promit de m'envoyer son adresse une fois là-bas. Mais je
n'eus malheureusement plus de nouvelles.
Ma mère appela plusieurs fois son père à korhogo pour
avoir de ses nouvelles mais les numéros qu'il nous donnait
ne passaient jamais puis les numéros du papa d'Ousmi ne
passèrent plus.
Des années plus tard, je me rendis à Korhogo pour
rechercher son père et j'appris le décès de ce dernier.
Je ne réussis pas à trouver une adresse où joindre Ousmi
et, après avoir fait plusieurs recherches, je finis par
abandonner.
Je lui en ai d'abord voulu de ne pas avoir appelé comme
promis, de ne pas avoir envoyé de lettre. Puis je me suis
décidée à lui pardonner au fil des années et accepter le fait
que je l'avais sans doute perdu pour toujours.
Il m'a fallu dix années pour le ranger dans un coin de ma
tête et passer à autre chose. Et aujourd'hui, quinze ans plus
tard, alors que j'avais réussi à dépasser tout ça, je le
retrouve là, au mariage de ma cousine, comme dans un
rêve ou dans un film.
Ousmimi m'explique comment il a perdu le numéro de ma
mère et l'adresse que je lui avais remis, sa tante était assez
sévère et n'a pas voulu l'aider à me retrouver.
Puis, lorsque internet et les réseaux sociaux ont émergé, il
s'est mis à me rechercher en ligne mais ne m'a trouvée
nulle part.
Effectivement, je ne suis pas très réseaux sociaux et il y a à
peine deux ans que j'ai ouvert un compte Facebook. Ce
même destin ayant tout fait pour nous séparer, vient
maintenant de nous rapprocher.
Nous échangeons nos contacts, bavardons encore et
encore, nous tenons la main, en espérant ne plus nous
séparer.
*

Vêtue d'une simple et belle robe violette qui fait ressortir


mon teint, j'ai accepté de porter un bijou au cou. Une fine
chaîne avec un pendentif en cœur. J'ai aussi mis de
longues boucles d'oreilles pendantes et un foulard beige
que j'ai noué en chignon sur la nuque en dégageant mon
visage au maximum. Abdul karim est venu me chercher, il
était tellement bien habillé que je n'ai pas pu me retenir de
le lui dire. Et puis son parfum... s'il y a quelque chose que
j'adore chez lui en plus de son sourire, c'est le fait qu'il
sente toujours incroyablement bon. Il m'a emmenée dans
un endroit très sobre et cosy. Un restaurant terrasse dont la
décoration fait penser au salon d'une maison. Les canapés
sont douillets et on a même droit à des jetées en coton
doux pour se couvrir les pieds si on est frileux comme moi.
J'avais prévu de le soumettre à un interrogatoire digne de
ce nom mais la discussion était tellement bien partie que je
n'ai pas eu envie de casser l'ambiance.
J'ai passé un
excellent moment avec lui et pour dire vrai, je n'avais
aucune envie de rentrer chez moi.
J'ai eu envie de le serrer dans mes bras mais j'ai eu honte
de le faire, et comme il n'a pas fait le pas non plus, je me
suis retenue.
Trois semaines sont passées et j'ai vu Abdul karim presque
tous les jours. Ousmimi est venu voir maman à la maison,
elle était si heureuse de le revoir ! C'était comme si elle
retrouvait une partie de son amie, morte trop tôt. Elle n'a
pas cessé de le serrer dans ses bras, elle a même versé
quelques larmes, c'était émouvant.
Nous avons recommencé à beaucoup parler lui et moi, je lui
ai parlé d'Abdul karim. Mais chaque fois que j'ai voulu les
présenter l'un à l'autre, l'un d'entre eux n'était pas
disponible.
Je commence à envisager sincèrement de m'engager avec
Abdul Karim. Les vacances sont bientôt finies et je vais
devoir me décider avant de retourner à Adiaké.
Je prépare un dîner pour Abdul Karim à la maison et tout se
passe bien. Il discute avec maman et Soraya et j'évoque le
fait qu'il doive impérativement rencontrer mon frère Bilal la
prochaine fois qu'il rentre du Nigeria où il travaille
actuellement. À la fin du dîner, nous sortons marcher dans
le quartier. Je le sens un peu préoccupé, je lui demande ce
qui ne va pas, il tourne autour du pot un moment puis
s'arrête et cherche un endroit où s'asseoir. Il se pose sur
une cage de compteurs pas loin de là et je me tiens debout
au-dessus de lui. Il baisse la tête et prend ma main.
- Siamy, tu n'es pas sans savoir ce que je ressens pour toi,
je te l'ai déjà montré et dit depuis que nous nous
fréquentons. Je ne m'attendais pas à ce que les choses
aillent si vite mais je suis sûr de ce que je ressens et je
pense que c'est réciproque. Je suis habituellement
quelqu'un de solitaire et timide mais avec toi je retrouve
mon équilibre. C'est vrai que deux mois, c'est très peu pour
faire certaines choses et ça peut te faire peur mais si je ne
te demande pas maintenant, je ne saurais pas si tu serais
prête à le faire ou pas. Tu m'as fait entrer dans ta famille et
j'y ai été adopté, j'aimerais bien t'emmener dans la mienne
afin que tu saches d'où je viens.
Siamy, Je veux te présenter à ma mère, mon père, ma
belle- mère et mes frères. Je n'ai pas de sœur, mais si tu
veux bien me prêter Soraya, on pourra s'arranger... dit-il en
faisant un petit rire taquin.
• Attends, ton speech avait trop bien commencé, j'ai cru
que tu allais me demander autre chose... genre.. tu
vois quoi ...
• Siamy, tu veux bien venir au Sénégal avec moi pour
connaître ma famille ?
• Au Sénégal ? Euuh okay, je ne sais pas trop quoi dire
...quand ?
• Cette fin de semaine. Je sais que tu reprends le boulot
bientôt et je voudrais qu'on y passe au moins une
semaine. Soraya peut venir avec nous si tu veux, et je
te promets de garder mes distances....
• Wow.. okay d'accord. Je vais en parler à maman et te
dire, je ne peux pas directement dire oui... sinon
j'adorerai aller au Sénégal !
• D'accord. Mais ... il y a autre chose que je veux te dire.
Je ne sais pas trop par où commencer. Viens par-là,
assieds-toi près de moi, ne reste pas debout.
• Ok, c'est grave ? Tu fais une de ces têtes!
• Ça dépend. Bon un peu oui... j'aurais voulu te le dire
plus tôt mais j'ai eu peur de te faire fuir. Actuellement,
je ne peux plus repousser l'échéance parce que je
veux .... faire de toi mon épouse. Mais avant, tu dois
tout savoir de moi. Humm, soupire-t-il
• Parle Karim, tu commences à me faire peur.
Ok désolé. Je voulais que tu saches que j'étais marié. Je
suis séparé depuis quatre ans maintenant mais le divorce
légal n'a pas encore été prononcé. Religieusement, je ne
suis plus marié car le divorce a été prononcé depuis et mon
ex-femme s'est déjà remariée avec un autre. Mais
légalement, je suis encore lié à elle et c'est tout cela que je
voudrais aller régler au Sénégal..
• Karim ...
• Oui..
• Tu es marié ??? Seigneur ...
• Siamy, je suis en instance de divorce, je ne suis plus
marié religieusement et c'est ce qui compte.
• Ce ne sont que des mots ! Que des jeux de mots
pourris ! Karim, tu es marié! Tu es marié!
• Ne le prends pas ainsi s'il te plaît.
Comprends-moi. Donne- moi le temps de bien t'expliquer, je
sais que ce n'est pas facile de croire en ma bonne foi
comme ça mais viens d'abord avec
moi à Dakar rencontrer ma famille et après tu pourras
prendre une décision.
• Karim, je veux que tu rentres chez toi ...
• Siamy ...
Karim, je veux que tu disparaisses, que tu t'éloignes de moi,
va le plus loin possible de moi, tu m'entends ? Je ne veux
plus te voir.
Je me lève et me mets à courir en direction de la maison,
c'est comme si le ciel venait de me tomber sur la tête…
Chapitre 4

Je regarde mon téléphone sonner, il sonne depuis un bon


moment, toujours le même numéro: Abdul karim. Je l'ai mis
sous silence mais je peux encore voir son beau visage
apparaître sur l'écran. Je ne me suis pas encore résignée à
supprimer son numéro et ses photos de mon téléphone.
D'habitude, je les bloque de partout et sans préavis.
D'habitude, je me fais vite à l'idée et je les chasse très vite
de mes pensées.
D'habitude, je me relève dès le lendemain et je continue ma
vie. Oui d'habitude, parce que rencontrer des hommes
mariés qui me mentent, ça m'arrive bien plus souvent que
ça ne devrait. C'est comme une malédiction
qui me suit.
Mais cette fois-ci, je n'y arrive vraiment pas. Rien ne
présageait tout cela, j'ai eu un véritable coup de cœur pour
lui, c'était comme si l'univers tout entier me poussait vers
lui. Je n'ai pas su mettre toutes ces barrières que je mets
pourtant d'habitude. Je lui ai permis de fréquenter ma
famille, de s'asseoir à la table de ma mère ! Je m'en veux,
énormément. Je m'en veux parce que j'ai évité
consciemment cette vérité, je voulais y croire aveuglément
pour une fois alors j'ai évité de poser la question, j'ai ignoré
toutes les questions que j'avais pour me focaliser sur ce
que je ressentais et voilà le résultat.
Ce sera dur, mais je sais que je vais réussir à l'oublier. Ça
va peut-être prendre plus de temps que d'habitude et
demander beaucoup plus d'efforts mais ça ira, j'en suis
sûre.
Le téléphone arrête de sonner quand Soraya entre dans la
pièce.
- Siamy arrête de fuir comme une folle et va au Sénégal
avec lui pour en savoir plus.
Il te demande l'occasion de te prouver qu'il est de bonne foi.
Accorde-lui le bénéfice du doute ! Une fois là-bas, si c'est
bizarre, tu tires un trait. Mais fuir comme ça là, excuse-moi
mais je trouve ça bête.
• Je n'irai nulle part avec lui. Aller là-bas signifie que
j'accepte d'être sa maîtresse, jusqu'à ce qu'il divorce,
ou pas. Et puis, qu'est-ce qu'il va me prouver une fois
là-bas ? Connaître sa famille ne veut pas dire que je
suis l'élue, il peut en présenter jusqu'à quatre à sa
famille, la polygamie est légale chez eux.
• Raison de plus pour ne pas te considérer comme une
maîtresse.
Ma chère, ça ne passe pas dans ma tête, que Dieu me
pardonne si c'est un péché, mais deuxième ou troisième
épouse ne sont que des mots pour atténuer le mal être
qu'on ressent à être une "side chick", la "meuf" qu'on gère
sur le côté. Je ne peux pas et je ne veux pas être la femme
de transition qu'il va gérer en attendant de divorcer... ou
pas. Parce qu'il y a toujours une possibilité de reprise avec
son épouse quelque part. Je préfère le barrer, c'est mieux.
• Je pense que tu n'es pas très sage sur ce coup.
Prends le temps d'observer, juste un peu de temps.
Ouvre ton esprit un peu plus et ne soit pas si
catégorique. Tu ne sais pas ce que la vie peut nous
réserver. Parfois, ton plus grand bonheur peut venir de
ta plus grande crainte.
• Arrête-moi tes citations bidons, deux à 5f que tu piques
dans les livres. La vie, ce n'est pas les livres.
• Mais les livres sont des vies...
• Tu peux sortir de ma chambre s'il te plaît?
• Donne une chance à Abdul Karim s'il te plaît.
• Hey, épouse-le si tu veux, maintenant sors d'ici.
• Okay ... ne te tue pas après si je le fais vraiment hein
• Soraya !!!
• Ok, c'est bon je suis partie!
• Elle ressort en riant et j'avoue que l'idée qu'elle se
mette vraiment avec lui m'a traversé l'esprit l'espace
d'un instant... Non, elle ne peut pas me faire ça, ou du
moins, elle ne peut pas faire ça.
• Quelques jours sont passés et j'ai eu le temps de
discuter de tout ça avec maman.
• J'ai finalement revu Karim pour parler mais je n'ai plus
confiance en lui, et je n'arrive pas à croire à son
histoire. Je lui ai demandé de partir seul, de régler
cette histoire de divorce et revenir ensuite lorsque tout
sera terminé avec des preuves plus que palpables.
Mais en attendant, je ne veux plus le fréquenter. Il ne
fera pas de moi sa maîtresse.
J'ai revu Ousmi une seule fois depuis notre dernière
conversation, il m'avait annoncé qu'il devait retourner à
Londres où il vit actuel-lement dans peu de temps. Je
voulais qu'on se revoie avant qu'il parte mais il est allé en
mission à Bamako et ne revient pas avant une semaine
alors que je dois retourner à Adiaké dans quatre jours. Il
m'a promis m'y retrouver dès qu'il revient mais j'ai quelques
doutes. De toute façon, je suis obligée de rentrer alors j'irai.
J'ai besoin de retrouver ma petite maison et toute ma
tranquillité. Et puis, madame Milanne me manque
beaucoup.
Je suis rentrée il y a quelques jours. J'ai décidé de re-
décorer ma maison pour me changer les idées. J'ai d'abord
fait le grand ménage puis la peinture, j'ai ensuite changé
mes rideaux, l'emplacement des meubles et j'ai ajouté
quelques pots de fleurs et changé certains tableaux. J'ai dû
me concentrer sur cela pour ne plus penser à Abdul karim
et ses appels incessants. J'ai fini par le bloquer.
Soraya m'a confiée qu'il est parti seul pour Dakar.
Apparemment, elle compte garder le contact avec lui quelle
que soit ma décision.
Alors, malgré moi, il saura toujours où me
trouver.
Je suis en train de lire une chronique sur Facebook
couchée sur une natte dans le jardin de l'école quand le
gardien me fait savoir que quelqu'un me demande à
l'entrée.
Je me lève péniblement en me demandant qui ça peut bien
être car je n'ai pas vraiment d'amis dans la ville. Je suis
surprise de tomber nez à nez avec Ousmimi. Je me jette
dans ses bras.
Depuis l'incident avec Karim, je n'ai pas pu le voir pour
pleurer sur son épaule. Je l'installe et nous bavardons
pendant des heures. Le soir venu, on sort manger en ville. Il
propose de me raccompagner chez moi et chercher un
hôtel où dormir mais j'insiste pour qu'il reste passer la nuit
chez moi. Je récupère le matelas de Maya dans sa
chambre et je lui fais un lit douillet dans mon salon en
poussant mes meubles. On reste tard à regarder des films
et je finis par rejoindre ma chambre pour le laisser dormir au
salon. Le lendemain, je lui fais visiter les bords du fleuve, le
marché de poissons et crustacés et les champs d'ananas.
Nous nous posons dans l'après-midi dans un restaurant
traditionnel pour déguster du bon poisson d'eau douce,
braisé avec les écailles, accompagné d'ignames.
Ousmi me propose de l'accompagner à Korhogo. Il doit
bientôt rentrer et il veut passer voir sa famille maternelle, du
moins ce qu'il en reste, mais aussi et surtout retourner sur
les traces de notre enfance dans notre petit village. Sa
proposition est alléchante car je meurs d'envie de revoir la
case de ma défunte grand-mère. Mais je pense au fait que
la rentrée scolaire est déjà là, que j'ai beaucoup de boulot à
rattraper et les inscriptions des élèves à gérer. Il me supplie
d'accepter, juste pour quatre jours de voyage selon lui.
Face à sa mine de chien battu, je finis par abdiquer.
Nous avons passé deux jours à Korhogo et un jour au
village. Nous avons foulés les rues de notre enfance à pied,
visité tous les endroits qui nous ont bercés, tous les lieux où
nous nous sommes amusés. C'était incroyable.
J'ai pleuré à cet endroit où mon père est tombé lorsqu'il a
fait son malaise et encore plus devant la case de ma grand-
mère. Je pense que j'avais vraiment besoin de revenir à cet
endroit, pour réparer certaines blessures que je trimballe en
moi depuis. Nous avons rendu visite à des amies de nos
mères respectives, restées encore dans la contrée. Et
partout où on nous reconnaissait comme " Ousmi et Siamy",
on avait droit à des questions & vous vous êtes mariés tous
les deux ? ), " vous êtes ensemble ?) . Questions qui nous
mettaient vraiment mal à l'aise.
Dans le car qui nous ramenait à Abidjan, je me suis
endormie sur son torse. Ousmi sent toujours trop bon, et
son souffle léger a le don de m'apaiser. Nous sommes
arrivés le soir et refusant de perdre du temps, j'ai décidé
d'aller directement à Adiaké. Ousmi, un peu inquiet, a
décidé de m'y accompagner. Je trouvais que c'était un peu
trop, et qu'il devait rentrer se reposer. Il a insisté pour venir,
quitte à dormir chez moi encore et retourner à Abidjan le
lendemain. J'ai fini par accepter sa proposition. Nous
sommes descendus du car à Koumassi et avons eu un
direct pour Bonoua. Une fois installés dans le véhicule, il me
prit la main, nos doigts entrelacés me firent ressentir des
frissons. Je ne compris pas trop ce qui nous arrivait et j'ai
vraiment commencé à avoir peur de ce qui pouvait se
passer entre nous.
Nous sommes arrivés assez tard et avons acheté à manger
vite fait en ville avant de rentrer à la maison, au lycée.
Nous avons mangé dans le silence et après avoir fait nos
différentes prières, j'ai fait son lit dans le salon puis je suis
allée me coucher.
Malgré le sommeil et la fatigue, je suis couchée depuis plus
de trente minutes mais je n'arrive pas à dormir. Je pense au
manque et au vide immense qu'Ousmi laissera dans ma vie
en partant demain. Il doit rentrer dans quelques jours chez
lui et je suis déjà triste. J'ai prévu le retrouver à l'aéroport le
jour de son départ mais j'y pense et je me rends compte
que je ne veux vraiment pas qu'il parte.
Je suis perdue dans mes pensées lorsque j'entends taper à
la porte de ma chambre. Je lui demande s'il y a un souci, il
me répond qu'il veut me parler. Je me lève péniblement et
je mets un grand boubou et un foulard avant de lui ouvrir.
Je le retrouve arrêté sur le pas de la porte, la tête baissée,
fixant le sol.
Je sors et je m'assois au bord de la table près de son
matelas et je lui dis que je l'écoute.
• Désolé de t'avoir réveillée
• non, je ne dormais pas
• D'accord... hum. En fait, je ne sais pas trop par quoi
commencer. J'ai... j'ai eu une proposition de travail ici.
Dans une multinationale.
• Oh mais c'est super ça ! Et tu comptes accepter ?
Alors ?
Je ne sais pas encore. J'y pense depuis des semaines.
Mais tu sais, je n'ai vraiment aucune attache ici, à part toi
bien sûr. Pas vraiment de famille, pas d'amis... Pour te dire
vrai, je suis venu au pays juste pour passer les entretiens et
voir ce que cette entreprise me proposait concrètement. Je
ne comptais pas vraiment accepter, je voulais juste faire un
tour ici et repartir mais je ne m'attendais pas à te revoir et
encore moins à retrouver cette étroite relation qui nous a
toujours liés. Actuellement je suis en proie aux doutes,
abandonner tout ce que j'ai construit là-bas et revenir
m'installer au pays me tente bien mais à une seule
condition et je ne sais pas si je peux me permettre de rêver
à cela.
- Pourquoi pas ? Tout est possible Ousmi !
Qu'est ce qui te bloque ?
• Toi ...
• Moi ? Comment ça, moi ?
• Je te veux dans ma vie ...
• Mais je suis déjà dans ta vie.
• Oui mais pas comme ça, pas seulement comme ma
meilleure amie. Je te veux comme....humm ... épouse.
- ....
- Siamy, je sais que c'est trop bizarre de te le dire comme
ça mais je suis tombé amoureux de toi, je ne peux plus le
garder pour moi et aussi je ne veux pas venir m'installer ici
si je n'ai pas l'assurance de t'avoir à mes côtés comme
épouse et mère de mes futurs enfants. Siamy, tu es ma
paix, mon soleil, te retrouver est la plus belle chose qui ait
pu m'arriver après toutes ces années. Je veux que tu sois
ma maison et mon foyer. Épouse-moi Siamy.
- Euuhhh ... je ... je ... Je suis très surprise et aussi
embarrassée Ousmi, vraiment. Tu ne trouves pas que c'est
trop brusque ? Trop fou ? En si peu de temps, comment
peux-tu affirmer que tu es amoureux et que tu veux lier tout
le reste de ta vie à la mienne ?
Et si tu étais juste ébloui par l'euphorie du moment ? C'est
une trop grande décision. Je ne sais vraiment pas quoi te
dire.
- Je suis sûr de mes sentiments. Tu sais, mon amour pour
toi ne date pas d'aujourd'hui.
Il date de l'année de mes Seize et de tes quatorze ans. Tu
te souviens de cet anniversaire fêté ensemble
? J'ai éprouvé mon premier coup de cour ce jour-là et c'était
pour toi. J'ai eu des nœuds et des papillons dans le ventre à
entendre ta voix chaque fois qu'on s'appelait. J'en avais les
mains moites et les pieds tremblants lorsque ma mère
composait le numéro de la tienne pour moi. Je n'ai pas eu le
courage d'en parler, jusqu'à ce qu'on m'arrache à ce pays et
à ma vie. J'ai rêvé de toi durant longtemps, j'ai pleuré des
nuits entières ma solitude et ma tristesse, loin dans ce pays
froid et je me réconfortais avec l'espoir de revoir un jour ton
visage. Il m'a fallu plusieurs années pour enfouir tout ça en
moi et t'effacer pour mieux vivre car j'ai fini par me résigner.
Mais si je te disais que j'avais oublié cet amour et la façon
dont il était violent et doux à la fois, je te mentirais. Te revoir
à ce mariage a été un cadeau du ciel, et te savoir
célibataire encore plus. J'ai eu peur de ne jamais pouvoir
t'avouer mes sentiments à temps à cause de ton Karim.
J'avoue que la jalousie m'étranglait chaque fois que tu me
parlais de lui, raison pour laquelle je ne voulais pas le voir.
Mais aujourd'hui, j'ai la chance de saisir cette opportunité
qui se présente à moi: tu es de nouveau libre de tout
engagement et je pense avoir mes chances. Je ne veux pas
faire l'erreur de ne pas essayer. Si je perds, je me serais
quand-même battu. Et si je gagne alors ça en aura valu la
peine...
Des larmes s'échappent de ses yeux pendant qu'il parle, sa
voix est enrouée par l'émotion, il serre les poings, je le sens
faible, vulnérable et touché et j'ai du mal à croire que c'est
moi qui lui fait cet effet. J'ai du mal à croire que je puisse
autant bouleverser quelqu'un et étrangement, ça me plaît.
Je me souviens de tous ces moments qu'il évoque et la
nostalgie me prend, je ressens des choses pour lui. Des
choses confuses et bizarres mais fortes et entraînantes.
Une chose est sûre, il ne me laisse pas indifférente, loin de
là, il me fait envie.
Je ressens un désir incroyable pour lui, j'aimerais
l'embrasser,
toucher sa peau, glisser mes mains sur son corps et me
fondre en lui, recevoir ses baisers et ses caresses... mais
est-ce suffisant ? Est ce qu'il me suffit de le désirer
fortement pour être sûre que ie l'aime ? D'ailleurs c'est quoi
aimer ? Véritablement ? Ce que je ressens pour lui est
différent de ce que je ressens pour Karim, pour Karim c'est
plus paisible, moins affolant et plus attachant. Mais je dirais
plutôt c'était, car je m'efforce d'oublier.
Et si c'était le meilleur moyen d'oublier ? Et si je donnais
une chance à ce tumulte en moi face à Ousmi ? Je suis
complè- tement perdue dans mes pensées et dans mes
sentiments.
Il se rapproche de moi sans que je ne m'en rende compte et
lorsque je ressens son souffle sur mon visage, je lève les
yeux vers lui. Il m'enlace de ses grands bras et tout mon
corps est parcouru de frissons. Je n'ai pas le temps de
réfléchir qu'il pose ses douces lèvres sur les miennes. Je
garde la bouche fermée, tétanisée par son geste. Il force un
peu le passage avec sa langue. Je résiste un peu plus mais
tout en moi bouillonne au point de me faire trembler. Je
veux arrêter tout ça car je sais que c'est mal mais c'est déjà
trop tard, ma volonté me quitte et une force à l'intérieur de
moi me fait répondre à son baiser. Je ne peux plus
m'arrêter, je ne sais pas ce qui me prend mais c'est plus fort
que moi, plus fort que nous. Il me caresse le corps et
chaque tracé de ses doigts dans mon dos et sur mes
hanches me rendent encore plus folle. Nous nous
embrassons à en perdre l'haleine, il glisse les mains dans
mon dos et fait tomber mon soutien-gorge comme par
magie à l'intérieur de mon boubou. Je ne savais pas qu'on
pouvait faire ça, sans déshabiller. Il glisse ses mains sous
mon boubou et le remonte jusqu'à mon cou. En une fraction
de seconde, mes seins se retrouvent entre ses mains et j'en
gémis si fort que je crois avoir été entendue dehors.
Tous mes sens s'ébranlent, c'est la toute première fois de
ma vie qu'un homme touche, vois mon corps, et j'ai beau
savoir que c'est mal de faire ce qu'on est en train de faire, je
n'ai aucune force pour lui dire d'arrêter. Il me soulève et je
me retrouve toute nue quelques minutes plus tard, dans la
chambre, dans mon lit, avec lui au-dessus de moi, me fixant
droit dans les yeux.
La chaleur en moi fait dresser mes cheveux sur ma tête. Il
me mordille le lobe des oreilles et me suce tendrement le
creux du cou, sa langue se promène sur ma peau et mes
yeux laissent échapper des larmes. Je n'ai jamais ressenti
ça, je suis comme chauffée dans un four, je suis à moitié
folle et tout ce que je veux à ce moment ce n'est plus qu'il
arrête mais qu'il continue et qu'il me libère en faisant de moi
sienne. Pas parce que je l'ai choisi mais parce que je n'en
peux plus. Il balade sa langue sur mes seins et les suce au
passage, descend sur mon ventre et joue à lécher mon
nombril. Il remonte son visage vers moi, me pose un léger
baiser sur les lèvres puis me les mordille avec les dents.
Il souffle dans mon visage puis au moment où je m'y
attends le moins, il glisse ses doigts en moi. Je hurle
presque. Je ne sais plus si c'est de plaisir ou de supplice
mais les gémissements s'échappent de ma gorge malgré
moi. Il joue au piano en moi quelques minutes et alors que
je me tords comme un ver de terre sur lequel on aurait mis
du sel, il retire brusquement ses doigts. Il me fixe droit dans
les yeux, porte ses doigts à sa bouche pour les sucer puis il
me murmure à l'oreille: " tu as un goût incroyable ) et il se
relève.
Je ne comprends pas ce qu'il fait, je me demande s'il va
vraiment me laisser là comme ça. Il part aux toilettes puis
revient et s'assoit sur le rebord du lit. Le silence règne et je
ne sais absolument pas quoi faire ni dire.
Mon cœur continue de battre fort, trop fort, à me briser la
poitrine. Il se tourne vers moi et me lance :
«Tu devrais te rhabiller, je pense que... on n'aurait pas dû
faire ça. Je suis vraiment désolé, je ne veux pas qu'on le
fasse maintenant, pas comme ça, après ça va compliquer
les choses. Réfléchis à ma proposition et dis-moi si tu veux
m'épouser, je te promets de ne plus te toucher avant d'avoir
fait de toi mon épouse, je suis vraiment désolé... »
Il se lève et sort de la chambre en refermant la porte
derrière lui. Il éteint la lumière du salon et quelques minutes
après, je crois l'entendre ronfler.
Je suis déstabilisée, blessée, frustrée dans ma chair et sub-
mergée. Je ne sais pas comment réfléchir ni comment
respirer. Je me regarde et j'ai mal. J'ai le bas ventre gonflé
par l'envie, j'ai honte de l'avoir laissé me déshabiller et me
voir nue et aussi vulnérable, de l'avoir laissé jouer en moi,
se jouer de moi. Je suis en colère, contre moi-même, de
n'avoir pas pu être plus forte que ça face au désir. Je me
sens minable et sotte.
Mais surtout, au fond de moi, malgré moi, j'ai envie de
ressentir tout ça encore une fois, tout ce par quoi il vient de
me faire passer. Je m'en veux pour ça mais j'ai envie de le
sentir me posséder. Mais est-ce une raison valable pour
accepter de l'épouser ? Mes larmes coulent sur mes joues.
Pourquoi la vie est-elle souvent si compliquée ?

Chapitre 5

Je suis assise dans le jardin chez ma mère en train de


siroter des jus de fruits. J'attends aue Sorava me ramène le
choukouva? de que Soraya me ramène le choukouya? de
mouton que je l'ai envoyée chercher depuis plus d'une
heure maintenant. Je pianote sur mon téléphone lorsque je
vois maman arriver vers moi. Elle tire une chaise en
plastique et s'assoit près de moi.
• Nakognon", comment tu vas aujourd'hui ? Tu as
terminé tes courses ?
• Oui maman, tu as déjà commencé avec tes noms là ?
Pardon épargne-moi.
• Comment ça ? C'est comme ça qu'on dit !
Ou bien tu ne vas pas te marier ?
• Mais maman, ce n'est pas un peu trop tôt pour
m'appeler comme ça?
• Trop tôt? Tes trois colas ont été déposés, ta dote
payée. Il ne reste plus qu'à célébrer à la mosquée et te
laver la tête* et tu me dis que c'est trop tôt ! Pardon, ne
me fais pas parler. N'est-ce pas moi qui te disais il y a
quelques semaines que c'était trop tôt et que ça allait
trop vite à mon goût ? Qu'est-ce que tu m'as répondu ?
2
Viande cuite au grill avec des épices.
3
Nouvelle mariée
Rituel traditionnel de mariage en culture mandingue.
• Eh maman ! On ne va pas revenir sur ça encore non ?
• C'est toi qui me provoque, sinon je suis déjà passée à
autre chose.
• Humm OK.
• Il y a Karim qui te salue.
• Quel Karim ?
Tu as ramené combien de Karim ici ? Le sénégalais
voyons !
• Mais comment ça il me salue ? Tu discutes avec lui?
• De temps en temps.
• Mais ahi ? Comment ça ? Il t'appelle ? Vous vous dites
quoi ?
Hey, c'est toi qui l'as chassé, pas nous.
C'est un gentil garçon, il me passe le salam de temps en
temps, c'est tout. Et puis, il est très ami avec ta sour donc il
est toujours le bienvenu ici. Enfin, s'il rentre du Sénégal un
jour.
• Ah, il est toujours là-bas ?
• Oui!
• Ah, pour une de visite prévue pour deux semaines, il a
déjà fait des mois là-bas ! Je suis sûre qu'il s'est
réconcilié avec sa femme !
• Hummm pardon, je n'en sais rien!
• Tous les mêmes ces hommes mariés.
• Qui s'est réconcilié avec qui ? Lance Soraya en
arrivant avec le plat tout fumant de viande.
• On parlait de Karim ... répond ma mère.
• Ah ! Siamy accepte de parler de Karim ?
C'est nouveau ça ! ajoute Soraya avant de s'asseoir.
Je secoue la tête et lui explique comment nous en sommes
venues à parler de Karim.
Elles ont l'air de discuter avec lui presque tous les jours et
j'avoue que leur proximité avec lui me gêne énormément.
Quand j'ai annoncé à maman il y a quelques semaines que
j'allais épouser Ousmi, elle m'a parue choquée dans un
premier temps, elle n'a pas cessé de demander d'où cette
idée sortait et comment nous en étions arrivés là. Je n'ai
pas pu lui expliquer véritablement comment mais j'ai réussi
à la convaincre que j'avais mûrement réfléchi et que je
voulais vraiment le faire. Elle m'a parue très sceptique,
jusqu'à ce qu'Ousmi vienne lui demander ma main et lui
expliquer ses motivations à faire de moi son épouse. Il a
réussi à la convaincre je ne sais comment, qu'il m'aime
énormément et que je serais en sécurité avec lui.
Le lendemain, elle m'a appelée, puis m'a laissé un message
qui disait ceci : "ce garçon est fou amoureux de toi, je n'ai
pas peur pour toi mais pour lui, sois sûre que l'histoire de
Karim est vraiment derrière toi avant de te lancer dans cette
aventure. J'espère que tu vois clair dans tes sentiments.»
J'ai lu et relu son message des dizaines de fois, puis j'en
suis venue à la conclusion que si Ousmi était vraiment fou
amoureux de moi comme elle le disait, il n'y avait aucune
raison pour qu'il ne me rende pas heureuse.
J'ai tiré un trait définitif sur Karim et j'ai décidé de me
donner la chance de vivre cet amour pur qu'Ousmi m'offrait.
Le lendemain de sa demande en mariage, Ousmi est parti
très tôt, avant mon réveil.
Tourmentée, j'avais essayé de le joindre sans succès deux
jours durant. La peur, l'inquiétude, le manque et le vide qu'il
a laissé m'ont fait comprendre que je tenais fortement à lui.
Le troisième jour, lorsqu'il a refait surface et m'a demandé
de le rejoindre à Bassam pour qu'on parle, j'y suis allée
avec la boule au ventre. Puis, il s'est excusé et m'a expliqué
qu'il avait été trop bouleversé par ce qui c'était passé entre
nous et qu'il avait peur à l'idée que je le rejette. Il avait
besoin de réfléchir, il n'avait pas pensé que sa disparition
me mettrait dans un tel état.
Soulagée, je le pris dans mes bras et le serrai très fort.
C'est à ce moment-là que j'ai été convaincue que je voulais
vraiment l'épouser, car je n'aurais pas supporté de le
perdre.
Ensuite, tout est allé très vite car dès la semaine qui a suivi,
j'en ai parlé à maman puis lui-même est passé lui parler et
une fois son accord obtenu, les oncles d'Ousmi n'ont pas
tardé à contacter les miens. Du moins, le seul oncle éloigné
qui lui reste encore ainsi que quelques vieux de son village.
La liste de mariage leur est parvenue et Ousmi a tout payé
d'un coup, y compris la dote, dès le lendemain. J'en étais un
peu sous le choc !
Avant qu'il ne reparte pour Londres, s'occuper de signer les
papiers de son nouveau poste et gérer son transfert vers
Abidjan, nous avons dîné en famille avec maman, soraya et
Mme Milanne. Ce soir-là après le dîner, il m'a remis tout un
tas de documents avec inscrit en gras sur le porte-
documents :
"Pour te rassurer ma princesse) .
C'étaient des contrats de travail, contrats de bail, fiches
d'impôts, bulletins de paie, etc... où je pouvais voir marqué
partout célibataire sans enfant. Je me sentis un peu gênée
mais en même temps tellement soulagée
qu'il y ait pensé sans que je ne demande !
C'est l'une des choses qui m'ont encore plus confortée dans
mon engagement avec lui, il n'a rien de similaire avec tous
ceux que mon chemin a croisé jusque-là. Je suis tellement
reconnaissante pour cela.
Alors, nous avons entamé les courses pour le mariage. Il
rentre dans une semaine et le mariage est dans dix jours
exactement.
Je ne peux vraiment pas dire comment je me sens face à
tout ça mais une chose est sûre c'est que j'ai hâte ! Hâte
d'être son épouse et de vivre avec lui au quotidien. C'est
toujours mon meilleur ami alors les choses ne peuvent
qu'être faciles entre nous comme ça l'a toujours été.
Nous sommes assises dans le salon de ma cousine Sita,
avec Soraya et cinq autres cousines. C'est la troisième
réunion de préparation du mariage et nous avons déjà
terminé les points importants de l'organisation. L'une de
mes cousines, Adja est en entrain de faire du thé athaï
pendant que nous grignotons des arachides et discutons de
tout et de rien. J'avoue que j'aime beaucoup cette ambiance
avec mes cousines. Nos ras- semblements m'avaient
manqué même si je n'ose pas l'avouer car à un moment je
les évitais. Chaque fois qu'on se voyait, les questions de
mariage étaient au rendez-vous et à ce moment-là, je
préférerais éviter le sujet pour ne pas affronter le fait que
ma solitude me pesait énormément. Aujourd'hui, j'ai enfin
trouvé la bonne personne alors parler mariage ne me
dérange plus, ça me ravie même parce là, c'est de " mon "
mariage qu'on parle. Je souris rien qu'en y pensant.
Adja reçoit un message qu'elle nous lit à haute voix puis
éclate de rire, alors que notre curiosité est attirée, elle nous
explique ce qui se passe.
Adja a un frère aîné, Tega il s'appelle, qui ne sait
absolument rien faire de ses dix doigts, d'après ce qu'elle
en dit. Il a été trop gâté et couvé par leur mère. Étant le seul
garçon, Adja, sa soeur fatou et sa mère ont toujours été à
son service. Sa lessive, le ménage dans sa chambre, sa
cuisine et même le nettoyage de ses dessous revenaient
aux filles. La mère ne voulait pas que son fils chéri fasse
quoi que ce soit. Résultats, monsieur ne sait absolument
rien faire, à part la comptabilité qu'il a étudiée. Il travaille
depuis quelque temps et a décidé de quitter la maison
familiale et de s'installer seul. Là encore, maman est venue
à sa rescousse pour les choses les plus basiques au début.
Il avait commencé à vivre avec une jeune dame qu'il était
sur le point d'épouser, mais elle l'a quitté parce qu'il ne
pouvait même pas remettre une cuillère à sa place après
l'avoir utilisée, qu'il laissait traîner ses chaussettes,
vêtements et ses dessous partout, faisait toujours pipi sur la
lunette des toilettes et oubliait même parfois de tirer la
chasse lorsqu'il allait aux toilettes. Après juste deux mois de
cohabitation, celle-ci n'en pouvait plus de son désordre et
sa façon de croire que c'est à la femme de nettoyer
systématiquement derrière lui et que cela lui était dû.
Adja lui avait conseillé d'apprendre au moins les bases de
l'hygiène car même lorsqu'on a une femme de ménage ou
qu'on paie une société de nettoyage, ce n'est pas évident
de nettoyer certains déchets et s'occuper de certaines
choses pour une personne adulte.
Mais il ne l'a pas écoutée comme toujours.
Là, il vient de se faire larguer pour la troisième fois en un
mois parce qu'il est trop borné, macho et non autonome.
Elle rit de lui car il avait rendez-vous avec une fille et
pendant la discussion celle-ci lui a demandé pourquoi son
ex l'avait quitté.
Il a répondu que c'était pour une banale histoire de pipi sur
la lunette des toilettes.
La fille lui a dit que l'ex avait totalement raison, que ce
n'était pas banal du tout et que elle non plus ne voulait pas
sortir avec quelqu'un dont elle serait obligée de nettoyer
l'urine chaque fois. Elle avait donc écourté le rendez-vous et
était partie.
Après avoir expliqué sa mésaventure à Adja dans une note
vocale sur WhatsApp, Il lui a ensuite envoyé ce message
qu'elle nous a lu à haute voix: " Je suis au bout de ma vie
là, les filles de maintenant ne veulent plus s'occuper des
hommes ? Vous êtes méchantes vous wallah, on fait
comment nous ?
Nous éclatons toutes de rire. C'est bien fait pour lui. Puis, la
discussion repart sur le fait que la plupart des hommes sous
nos tropiques et ailleurs ne sont pas du tout autonomes et
que la plupart du temps, le mariage devient pour la femme
un lieu où son travail consiste à "materner " un adulte et
prendre soin de lui comme un enfant, en mettant en
sourdine ses propres besoins et ses aspirations.
Lancée dans le débat, Soraya développe :
" en fait, tout commence au berceau, dans la famille, où
l'éducation des garçons est très différente de celle des filles.
Les parents aiment bien infantiliser leurs garçons la plupart
du temps. Pour eux, le seul domaine où ils doivent être
compétents c'est dans le domaine professionnel. Ils se
disent que la réussite
professionnelle, le bon emploi et le pouvoir financier une
fois acquis, vont tout mettre à leur disposition.
Sauf que très souvent, ils ne réussissent pas tous
professionnel-lement, nombreux sont ceux qui se démènent
avec de petits boulots et ont du mal à joindre les deux
bouts.
On se retrouve donc avec des adultes non autonomes,
avec un besoin constant d'assistance, qui ne savent rien
faire seuls et qui sont pressés de se marier pour avoir enfin
une femme qui va les "aider" à tout faire, pour ne pas dire,
qui va tout faire à leur place.
Combien de familles survivent grâce à la mère qui, en plus
de prendre soin de la famille, s'occuper des tâches
ménagères, de la cuisine et de tout le reste, ramène en plus
des sous à la maison parce que monsieur n'arrive pas à
arrondir les fins du mois ? Elles sont nombreuses à payer la
scolarité de leurs enfants, payer la nourriture et les factures
tout en se tuant à la tâche à la maison. Leurs hommes
refusent de participer aux tâches ménagères car ils trouvent
cela rabaissant pour un homme, mais n'hésitent pas à
manger la nourriture de celle qui en plus de payer pour
cette nourriture, doit encore la cuisiner.
Certains sont vraiment très inutiles dans la vie des gens, ils
n'ont aucune valeur ajoutée!
On doit pouvoir s'entraider dans un couple, comme les deux
mains qui se lavent. Tu fais un peu de ce côté, je fais un
peu de l'autre côté et on se complète.
On doit vraiment revoir cette façon de les éduquer. Les
filles, misez sur vos petits garçons, apprenez leur à prendre
soin d'eux-mêmes, de leur environnement et des autres.
Apprenez-
leur que leur seule utilité sur cette terre n'est pas de
chercher l'argent pour assujettir les autres avec.
Actuellement, tout le monde sait comment chercher de
l'argent, et si toutes les femmes commencent à se choisir et
décider clairement de ne pas trimballer des assistés
notoires dans leurs vies, beaucoup
d'hommes tomberont de haut I Voilà Tega qui n'arrive pas à
se caser, garçon qui ne sait rien faire de lui-même, on ne
met plus dans foyer! »
Toutes les filles éclatent de rire à la fin de son speech. On
commence à proposer des cours d'hygiène, de ménage et
de cuisine à Tega. Adja répertorie les propositions et les lui
envoie. Elle et Fatou sont mariées et ne peuvent pas
continuer à faire ces choses pour lui, la maman est vieille et
malade, il doit donc se débrouiller seul et apprendre.
Heureusement, les époux des filles sont presque tous de
vrais alliés et aides pour elles. Ils font partie de cette
nouvelle génération d'hommes qui désapprennent pour
réapprendre, qui n'ont pas peur de changer les choses et
qui font réellement des efforts pour être des personnes sur
qui on peut compter. La preuve, elles sont en train de se
prélasser avec moi chez Sita ici tandis que leurs hommes
sont à la maison avec les enfants.
Je prie pour que mon Ousmi soit aussi doux et attentionné,
aussi responsable et autonome, aussi ouvert d'esprit et
bienveillant que l'époux de Sita qui est un véritable
exemple.
Notre rencontre se termine tard dans la nuit et je rentre
avec Soraya, épuisée mais heureuse. Tout est fin prêt pour
mon jour J.

Je suis couchée dans le lit, je discute par appel vidéo avec


Ousmi. Il a fait ses cartons et vide sa maison. Chaque soir,
depuis qu'il est parti, il m'appelle en vidéo et me fait faire un
tour de la maison en discutant.
Il m'a tellement tout montré dans cette maison que j'ai
l'impression de la connaître, comme si jy avais vécu. Ce
soir, il est un peu triste parce qu'il va bientôt tout laisser et
venir me rejoindre. Je sens qu'il a un peu peur de cette
nouvelle vie qui commence.
Mais il est sûr de vouloir le faire, je sens l'amour dans
chacun de ses gestes, chacun de ses mots. Il abandonne
les quinze dernières années de sa vie derrière lui, pour
commencer une toute nouvelle aventure avec moi à ses
côtés.

Ces derniers jours n'ont pas été de tout repos,


mentalement, physiquement et financièrement. Je voulais
faire un petit mariage, mais c'était sans compter sur la taille
de ma famille et la façon dont tout le monde attendait ce
jour avec impatience.
Alors voilà, c'est enfin le jour J. Je suis moins stressée
qu'hier, beaucoup plus zen mais déjà fatiguée. Je suis
heureuse, je sais que j'ai fait le bon choix, Ousmi n'a pas
cessé de me prouver cela depuis le premier jour. J'ai hâte
de sortir de cette voiture, accompagnée de Bilal, Soraya et
maman.
J'ai hâte de retrouver Ousmi devant l'imam, de m'asseoir
auprès de lui et entendre les bénédictions se déverser sur
nous. J'ai hâte de voir son beau sourire, hâte de pouvoir le
serrer de nouveau dans mes bras, légalement cette fois-ci,
et aussi pouvoir l'embrasser, quand tout ça sera fini.
Je sors de la voiture accompagnée des filles, mes cousines.
Nous entrons dans la mosquée. Je marche lentement. Mes
pieds commencent à trembler lorsque j'aperçois Ousmi
assis, non loin de l'imam. La mosquée du plateau est
particulièrement bondée, je vois des amis, des tantes, des
collègues à moi, madame Milanne assise à côté de maman.
Ma tante Korotoum, la mère de Sita, qui est ma marraine
pour l'occasion, vient vers moi, me prend par la main et me
conduis à ma place. Une fois installée, je regarde du côté
d'Ousmi, il a l'air si heureux!
Un jeune homme s'approche du pupitre où se trouve un
micro, et entonne la psalmodie du coran " Aa'oudhou billahi
mina shaytani
rajim... Alif, lam, raa...»
Dès les premières notes, je reconnais la Sourate Yussuf,
ma Sourate préférée. La psalmodie pénètre au plus profond
de mon coeur. La voix du jeune homme est majestueuse !
Je regarde la foule venue me soutenir, je regarde mon frère
Bilal, aux côtés de mon oncle, qui a tout fait pour rentrer,
afin d'être mon deuxième témoin, afin d'être là pour moi. Je
regarde maman, fière et toute souriante et je pense à mon
père. Il aurait dû être là pour voir ce jour. Il aurait dû être
assis auprès de maman, tout vêtu de blanc. J'imagine
comment il aurait été fier de me voir mariée avec Ousmi, lui
qui aimait Ousmi comme son fils. La psalmodie du coran
continue et mes larmes coulent à ne plus pouvoir s'arrêter.
Ousmi me tient la main et la serre fort dans la sienne.
Nous tremblons tous les deux, secoués par l'émotion.
L'imam se racle la gorge puis lance la salam. Il souhaite la
bienvenue à tout le monde puis débute la célébration du
mariage.
Nous sommes dans la voiture en direction de la maison. Je
n'arrive pas à croire que nous sommes désormais mari et
femme. De la mosquée, nous sommes allés faire des
photos, et
maintenant, nous nous dirigeons vers le lieu de la réception.
Nous nous arrêtons à une station-service pour faire le plein
et Ousmi descend de la voiture pour acheter quelque chose
dans la boutique de la station. J’en profite pour récupérer
mon téléphone avec Soraya qui est assise à l'avant, et lire
quelques messages. Je tombe sur les messages de Maya
qui ont presque saturé ma messagerie WhatsApp. Elle est
encore chez son père et est à terme, elle va accoucher d'un
jour à l'autre. Elle n'a donc pas pu venir et elle a l'air
vraiment affectée d'avoir raté mon mariage.
Je lui envoie des photos de nous, faites par Soraya et je la
rassure qu'elle sera sûrement présente pour le mariage civil
vu qu'on ne fera pas tout en même temps. Elle m'envoie
des notes vocales, s'exclamant de ma beauté avec le
maquillage, criant qu'Ousmi et moi sommes magnifiques!
Je m'apprête à redonner le téléphone à Soraya lorsque que
je remarque la notification d'un e-mail reçu la veille. Je
l'ouvre par curiosité, je ne connais pas l'adresse mail en
question. Je me mets à lire le message rapidement puis
mon cœur fait un bond! J'ai des sueurs froides et des
palpitations tout à coup.
Le message dit : «J'ai prié, espéré et supplié Dieu, afin que
tout ce dont ta soeur m'a parlé soit un mensonge, une
blague, un canular pour me punir de t'avoir déçue. Jusqu'à
la dernière minute, je continue d'espérer que je peux encore
rêver d'être un jour ton époux. Je ne t'ai pas menti. Je suis
resté au Sénégal pour en finir avec cette histoire de divorce,
j'ai abandonné mon emploi pour pouvoir suivre le dossier et
le régler le plus rapidement possible. J'avais encore espoir
de pouvoir tout réparer en rentrant. J'avais vraiment espoir.
Je n'aurai jamais pensé que tu pourrais m'oublier en si peu
de temps et t'engager
avec quelqu'un d'autre. Tu vas vraiment te marier demain ?
Massiami, tu vas vraiment faire ça ? Je suis enfin divorcé.
S'il te plait, ne me dis pas que c'est trop tard et que j'ai fait
tout cela pour rien. Ci-joint, les papiers signés de mon
divorce, une copie de la décision du tribunal et une copie de
mon nouvel extrait de naissance avec la mention.
Massiami, je rentre, je serai là ce soir, appelle-moi s'il te
plaît, il faut qu'on parle, même si ce sera la dernière fois.
Abdul Karim »
Je ne sais pas pourquoi son message me met tout à coup
dans un tel état. Si je l'avais vu hier soir, l'aurais-je appelé ?
Serais- je allée le voir pour parler ? Me serais-je mariée ce
matin malgré tout ? Je n'arrive pas à répondre à ces
questions.
Je referme son message et le mets aux archives, puis je
redonne le téléphone à Soraya comme si de rien n'était.
Je vois Ousmi arriver, il semble discuter au téléphone avec
quelqu'un depuis un moment, mais il raccroche juste avant
de remonter dans la voiture.
« C'était le boulot ! Tu m'as manqué ma princesse, tiens)
Lance-t-il avant de m'embrasser et me tendre une barre de
chocolat.
Je suis dans un état second, je ne sais pas comment va se
terminer cette journée mais j'ai tout à coup envie de fuir et
aller loin de tout, juste pour respirer.
Chapitre 6

Je suis assise au bord de la mer, les pieds croisés devant


moi et enfouis dans le sable.
Je dessine des arabesques tout en rêvassant.
Le soleil est doux et ses rayons caressent ma peau. La
brise marine me souffle au visage et je respire profon-
dément. L'air salé est si agréable, l'océan est si grand et
majestueux ! J'aperçois des bateaux et des pirogues à
moteur dans le lointain, sûrement des pêcheurs à la
recherche de leur butin quotidien. Je suis heureuse.
Je ressens le bonheur avec chaque fibre de mon être,
chaque battement de mon coeur.
Nous sommes arrivés il y a trois jours et depuis, je n'ai pas
cessé de rire, sourire, jubiler, soupirer...
C'est le genre de choses qu'on ne vit pas tous les jours, et
que tout le monde n'a pas la chance de vivre.
Chaque seconde passée ici a été merveilleuse, et continue
de l'être.
Je sens ses mains froides se poser sur mes yeux, je les
recon- naîtrais entre milles, seulement au toucher. Je ris, il
retire ses mains et se présente à moi, un énorme bouquet
de fleurs à la main. Il les pose sur moi, elles sont
magnifiques. Je les hume et savoure leur délicieuse odeur
fraîche. Il me demande si je compte les manger, j'éclate de
rire et serre les fleurs contre mon cœur, doucement pour ne
pas les abimer. Il me tend ensuite
une belle noix de coco avec une paille, je la récupère et me
mets à siroter le contenu avec appétit. On est tellement bien
là!
Nous discutons pendant des heures, allongés tous les deux
sur cette belle plage, les vagues allant et revenant
chatouiller nos pieds. J'adore nos conversations, nous nous
parlons de tout, du monde et de nous.
Nous dessinons l'avenir et repeignons le passé, nous rions
de bon coeur et retraçons les contours de notre vie. Je le
regarde intensément, c'est l'homme de ma vie ! Il a donné
un sens à ma vie. il m'a offert ces choses dont j'ai
secrètement rêvé toutes ces années. Avec lui, je me sens
en sécurité, comme si rien ni personne d'autre n'existait.
Je me demande encore comment j'ai pu douter, l'espace
d'un instant, juste à cause d'un message, un simple mail.
Comment j'ai pu ? Je ne sais plus. Mais je sais que je me
suis très vite ressaisie une fois sur les lieux de la réception
en voyant tout ce beau monde ! J'ai très vite oublié mes
doutes et mes réflexions après les acclamations, les cris
nourris de mes proches et mes premiers pas de danse. Les
différents changements de vêtements et les lourds
protocoles ont vite fait de m'effacer la mémoire et me
plonger dans l'instant présent. Ma fête de mariage fut très
belle, elle fut encore plus magnifique et originale que je ne
l'imaginais.
Nous sommes, Ousmi et moi, en l'une de miel, au Sénégal.
J'ai toujours rêvé de visiter le Sénégal. Ce fut une belle
surprise de voir Ousmi sortir les billets d'avion de sa poche
lorsque mes tantes m'ont déposé à notre nouveau domicile,
après les cérémonies traditionnelles finales. Épuisée, je me
suis affalée sur le canapé. Il s'est rapproché de moi et m'a
demandé de m'allonger et de poser les pieds sur lui. Puis, il
m'a massé les pieds, de façon si douce et chaleureuse que
j'en ai oublié ma fatigue. Il a tellement pris soin de moi ! Il
m'a aidée à prendre un bain relaxant et m'a transporté
jusqu'à notre chambre. Là-bas, il s'est mis à genoux et a
sorti un écrin de sa poche, contenant une magnifique bague
en or, sertie de pierres. Il me l'a offerte avec les mots les
plus beaux de son vocabulaire, venant tout droit de son
cœur. C'est après avoir mis la bague à mon doigt qu'il a
sorti les billets d'avion de sa poche et m'a annoncé qu'on
partait le lendemain. J'étais aux anges!
Ousmi est une perle et je m'en rends compte chaque
minute passée auprès de lui.
Nous sommes à l'hôtel Terra Lodge, situé à 65 kilomètres
au sud de Dakar, le long du littoral de la petite côte dans la
commune de Mbour, non loin de Saly et à trois quart
d'heure de l'aéroport international. Cet endroit est un cocon
de paix, un havre de bonheur. Les logements ont l'air d'être
construits en terre, comme des grandes cases modernes
avec des toits de chaumes. La couleur orange des édifices
donne un éclat particulier à l'endroit. Tout paraît naturel et si
paradisiaque. Les meubles sont en beaux bois vernis, des
bois atypiques, pas des planches raffinées mais plutôt
comme des branches de vieux arbres à qui on aurait
redonné une seconde vie. Et les plantes ?
Elles sont à tomber par terre ! Un immense tapis de verdure
s'étend tout le long des cases, avec des fleurs grimpantes,
couvrant les murs par endroits et coulant sur le sol. De
jolies clématites violettes recouvrent certaines haies, des
rosiers grimpants coulent du toit aux fenêtres en laissant
pendre de belles roses et des ipomées bleues couvrent le
gazon et le haut de la pergola en bordure. La mer,
majestueuse, bruyante et rafraîchissante, brille de loin,
faisant scintiller les rayons que le soleil lui envoie.
Je n'aurais pas rêvé meilleur endroit pour ma
lune de miel.
Ousmi sait aimer, je veux dire pour de vrai, aimer mon
corps et en prendre soin. Il sait quel endroit caresser, sur
quoi appuyer, quoi toucher... il devine mes désirs dans mon
regard et dans ma posture. C'est un véritable maître en la
matière et j'avoue être accro et avoir développé une vraie
dépendance sexuelle envers lui. L'avouer me fait rire,
heureusement que c'est mon époux!
Notre première nuit a été magique.
Contrairement à beaucoup de personnes, j'ai toujours
pensé que les premières fois ne se passaient jamais
vraiment bien. Il y a très souvent la douleur, le stress, les
appréhensions et beaucoup d'autres choses qui font que
malgré tout le désir qu'on peut ressentir pour l'autre, les
choses ne se passent pas comme on le rêve. Je m'étais
préparée à ce que ce soit juste normal, sans plus ou un peu
catastro- phique à la rigueur, mais j'ai été agréablement
surprise.
La nuit du mariage, nous étions si épuisés !
Nous nous sommes allongés l'un près de l'autre et il m'a
juste serré très fort contre lui et m'a dit qu'on n'était pas
obligé de faire quelque chose, qu'on pouvait juste dormir.
Alors, on a parlé pendant un petit moment
et nous nous sommes endormis l'un dans les bras de
l'autre. Le matin, à l'heure de la première prière, il m'a
réveillée. Nous n'avions pas fait les deux unités de prière
qu'il fallait faire la nuit de noce avant de nous endormir. J'ai
attiré son attention sur ce point et, après notre bain, nous
avons rattrapé les deux unités de prières avant de prier fajr,
la prière de l'aube. Nous avons ensuite partagé nos dattes
et notre lait et sommes retournés nous coucher. Quelques
heures plus tard, ma marraine et deux de nos tantes ont
débarqué pour "constater" les choses et " rapporter la
bonne nouvelle
", selon elles, à la famille. Nous étions déjà préparés pour
ça. Je suis restée dans la chambre sans bouger et Ousmi
ne les a pas laissé entrer. Il les a juste informés que j'étais
pure et qu'elles pouvaient aller annoncer la bonne nouvelle.
Elles ont jubilé pendant une bonne trentaine de minutes
avant de s'en aller. Après leur départ, nous avons fait nos
valises pour l'aéroport. C'est étant dans le véhicule que je
les ai toutes informées, ma mère y compris, qu'on partait
passer notre lune de miel au Sénégal et qu'on serait de
retour une semaine plus tard. J'ai senti qu'elles n'avaient
pas apprécié mais c'était vraiment le cadet de mes soucis.
Le vol dura une heure et quarante-cinq minutes. Nous
avons atterri en plein après-midi et, après avoir pris un
copieux déjeuner au restaurant du Lodge, nous nous
sommes retirés dans notre chambre pour encore dormir
quelques heures. Le soir venu, nous sommes descendus
dîner en bordure de mer, avec une vue magnifique et une
brise à faire frissonner n'importe qui. C'était si paisible et
romantique. Après le repas, nous avons marché le long de
la plage, courant çà et là comme des enfants, plongeant
nos pieds dans le sable tiède et ensuite dans l'eau des
vagues froides.
Nous avons ri, discuté, joué. Nous nous sommes enlacés,
embrassés, nous avons flirté long- temps avant d'enfin
rejoindre notre chambre.
La chambre était si bien décorée, pétales de roses sur le lit,
bougies parfumées sur le sol, voilages et rubans autour du
lit, lumière tamisée et cette bonne odeur d'encens oriental.
Nous nous sommes couchés puis il a commencé à
m'embrasser.
Lentement, chaleureusement, doucement puis
fougueusement. Je savais qu'il attendait ce moment avec
impatience et moi, encore plus. Il déboutonna fébrilement
ma chemise et enfouit sa tête dans ma poitrine, me
caressant de ses longs doigts doux et fins.
Puis, la folie du désir s'empara de nous, nous étions
brûlants, maladroits et pressés. En se relevant pour retirer
son tee-shirt, sa tête s'entremêla dans le voilage de
décoration autour du lit, il tira dessus et se retrouva avec
tout le tissu entre les mains. Il le balança par terre. Je retirai
moi-même ma jupe que je lançai sur le canapé à côté.
Ses lèvres se promenèrent sur ma peau, descendant
toujours plus bas. Ivre de désir et torturée par son touché et
ses gestes, je l'invitais à me faire sienne. Il me serra contre
lui et plaça sa bouche dans le creux de mon cou puis me
murmura à l'oreille que ça allait faire mal. Effectivement
j'eus mal, extrêmement mal. Ce fut tellement rapide et
brusque que je n'eus pas le temps de réaliser. Alors que la
douleur avait irradié tout mon bas-ventre et me remontait au
coeur, il m'embrassa le visage et termina sa course sur mes
lèvres. Il me fixa ensuite dans les yeux et me dit de jolis
mots. Il chuchota à mon oreille tout en les mordillant, me
murmura à quel point j'étais magnifique, irrésistible, belle,
spéciale et unique, à quel point sa vie n'aurait plus de sens
sans moi. La douleur disparut aussitôt qu'elle apparut et un
sentiment de plaisir énorme conquis tout mon être à mesure
qu'il bougeait et faisait de moi ce qu'il voulait. J'étais à
présent une femme, comblée et lui était mon homme, mon
alter-ego et mon unique, pour la vie.
Je m'agrippai à lui en lui griffant doucement le dos quand
l'odeur de la fumée envahit tout à coup la pièce. Je sentais
cette odeur depuis peu mais je me demandais bien d'où elle
venait. Puis ce fut au tour des flammes de jaillir et là,
déconcertés, on sauta tous les deux du lit : le tissu du
voilage jeté par terre était tombé sur une bougie parfumée.
Il courut dans la salle de bain prendre de l'eau dans un
bocal et le verser sur le feu tandis que moi, armé de mon
coussin, J'essayais d'étouffer le feu en tapant dessus.
Après trois aller- retours dans la salle de bain avec son
bocal, il réussit à éteindre le feu.
Éreintés, choqués et amusés, nous nous sommes mis à
rigoler tout en respirant comme si l'on venait de courir un
marathon, et ça y ressemblait fortement.
Je pris le téléphone pour appeler la réception de l'hôtel
quand il me coupa net: nous n'avions pas encore terminé ce
que nous faisions. Il me tira dans la salle de bain pour m'y
aimer, encore et encore.
Repus plus d'une heure plus tard, nous avons enfin appelé
la réception pour expliquer l'incident et pendant qu'une
équipe venait nettoyer le bazar, nous sommes sortis
marcher sur la plage jusqu'au petit matin. Ce fut la plus
merveilleuse nuit de toute ma vie.

Je sors de mon bureau et je dis au revoir à mes collègues.


Je passe au bureau de madame Milanne pour lui apporter
des documents et lui faire un bisou avant de sortir du lycée
pour me
diriger vers la gare routière. Il n'est que Seize heures mais
je prie pour vite avoir un véhicule pour Bonoua où je veux
faire des achats avant d'aller à Bassam. Je fais ce trajet
depuis quelques mois maintenant et j'avoue que ça me
fatigue vraiment.
Avant, je vivais au sein du lycée même et je pouvais rester
au bureau jusqu'à dix-huit heures ou dix-neuf heures. Les
autres étaient toujours pressés de rentrer chez eux et cela
me faisait rire, je passais mon temps à me moquer d'eux.
Mr Pascal Ayafi vit à Adiaké, à quelques kilomètres du
lycée. Mr Amani et Mr Koné vivent tous les deux à Bonoua,
ils rentrent à la maison ensemble chaque jour. Je suis leur
petite protégée, la plus jeune mais aussi la seule femme.
Maintenant, je comprends mieux pourquoi ils s'empressent
de rentrer chez eux chaque jour, la circulation n'est pas
clémente.
Ma vie au sein du lycée me manque un peu. Les matins, je
pouvais dormir jusqu'à 8h avant de me présenter à mon
poste à
8h30. Maintenant, je ne peux plus. Chaque matin je dois
faire le trajet Bassam-Bonoua, ensuite Bonoua-Adiaké et
chaque soir faire l'inverse. Mais c'est si réconfortant de
rentrer chez moi et de retrouver mon époux ! Choisir
d'habiter Bassam a été un compromis pour tous les deux.
Les bureaux d'Ousmi étant situés au Plateau, en plein cour
d'Abidjan, il avait souhaité vivre non loin de là. Mais la
distance aurait été trop longue pour moi. l souhaitait au
début rester à Marcory ou Port-Bouët à la rigueur, mais j'ai
finalement réussi à le convaincre d'aller jusqu'à Bassam
pour que le trajet soit moins contraignant pour moi qui n'ai
pas de voiture et qui doit prendre les transports en commun.
Il a accepté après des bisous et quelques yeux doux.
Alors, nous avons pris une belle villa au centre de Bassam,
au quartier France.
Chaque matin, il me dépose à la gare routière et ne bouge
pas avant que je n'aie pris mon car pour Bonoua. Il
m'appelle chaque heure pour savoir si je suis bien arrivée.
Lorsqu'il arrive à son bureau, il me fait signe. Puis, pendant
la pause entre midi et deux, nous nous appelons encore,
juste pour discuter. Le soir, je lui fais signe dès que je sors
du lycée. Parfois, quand j'arrive à Bassam, il est garé juste
là où je descends, pour qu'on puisse rentrer ensemble à la
maison. Les jours où je rentre avant lui, je me fais belle pour
l'accueillir et les jours où il rentre avant moi, il lui arrive de
faire à manger pour que je puisse me reposer quand je
rentre. Notre maison est meublée de rires, de jeux d'enfant
et d'amusement.
Même lorsque nous parlons de projets sérieux, nous le
faisons toujours en étant relaxes et taquins l'un envers
l'autre.
Avec lui, j'ai découvert ce que c'est que d'être aimée et
protégée. Me coucher dans ses bras et contre son cœur
chaque nuit est une réelle bénédiction pour moi. Savoir qu'il
tient autant à moi, qu'il s'inquiète pour tout et n'importe quoi
me concernant me fait me sentir importante. Cela change
tellement de tous ces jours passés seule dans ma petite
maison au sein du lycée, sans parler à personne quand
l'école était vide. Je me sens revivre. Je suis épanouie,
comblée et heureuse. Et je bénis chaque jour Dieu pour
cette grâce qu'il m'a faite.
Une fois à Bonoua, j'achète du poisson frais et des légumes
ainsi que des ananas et de l'Atoupkou. Heureusement, je
trouve un taxi brousse qui accepte de mettre mes bagages
dans
Semoule de manioc cuit à la vapeur en bloc, en forme de
cercle. le coffre. Je m'assois à l'avant et je mets la ceinture
de sécurité qui, soit dit en passant, est dans un très
mauvais état.
Je m'endors dans le véhicule et le chauffeur me réveille une
fois à destination. J'emprunte ensuite un autre taxi jusqu'à
la maison.
Je me dépêche de nettoyer et faire frire les poissons. Puis,
je fais une sauce tomate et des oignons confits. Je ne sais
pas pourquoi mais les nombreuses odeurs et effluves
venant des plats me mettent mal à l'aise. Je suis prise de
nausées par deux fois et je me sens de plus en plus faible.
Je me force quand même pour terminer la cuisson du
repas. Je nous sers dans des soupières que je pose sur la
table. Je décide d'aller prendre une longue douche quand je
commence à ressentir des picotements dans le bas-ventre,
une chaleur intense et inhabituelle m'envahit du bas du dos
jusqu'aux orteils. Je m'allonge sur le canapé pour essayer
de gérer la douleur.
Je me sens de plus en plus faible. Je respire difficilement et
tout à coup, c'est le brouillard puis le noir total.
j'ouvre les yeux et me rends compte que je suis sur la
banquette arrière de la voiture tandis qu'Ousmi roule à vive
allure. Il jette quelques coups d'œil vers moi chaque minute
et n'arrête pas de répéter " t'inquiète pas, ça va aller,
t'inquiète pas, ça va aller"
...
Nous arrivons à la clinique et je suis immédiatement prise
en charge. On m'emmène en civière faire une échographie
d'urgence car je saigne. On m'installe ensuite dans une
chambre et après avoir pris mes constantes et tout vérifié,
on me met sous perfusion. Je ne tarde pas à m'endormir.
Quelques heures plus tard, je me réveille et il est assis à
mes côtés, ma main entre les siennes, penché sur mon
visage, faisant des invo- cations pour moi. J'essaie de me
relever mais la douleur me freine et lui aussi. Il me rassure
que tout va bien et qu'il faut juste du temps pour que les
médicaments agissent.
Je sens une lueur dans ses yeux, que je n'arrive pas à
définir. Il se rapproche encore plus de moi, me pose un
léger baiser sur la bouche et m'annonce :
" on va être papa et maman !)
Je n'en reviens pas. Je suis un peu sonnée. Le médecin
• Arrive Ça va mieux madame ?
• Oui Docteur, un peu. Mais j'ai toujours mal au bas-
ventre.
• C'est normal, vous avez fait un décollement placentaire
mais heureusement juste à petite échelle, vous avez
très vite été prise en charge donc ce n'est plus qu'une
question de jours avant que tout rentre dans l'ordre.
Félicitations pour le bébé !
• Merci... Mais docteur, je ne comprends pas, je n'ai pas
eu de retards...
• Vous avez eu vos règles le mois dernier ?
• Oui Docteur, et aussi le mois d'avant ce n'était pas
abondant comme les autres fois et ça n'a duré que
trois jours mais je les ai eues.
• Ce sont les règles anniversaires ! Juste un mécanisme
de votre corps, habitué à cette période. Ils peuvent se
manifester ainsi les trois premiers mois de la
grossesse, sans que ce ne soit de
vraies règles. Vous êtes enceinte de six semaines. On va
vous garder pendant deux jours. Mais il faudra faire très
attention à vous. Vous allez devoir réduire vos activités au
maximum et rester couchée, prendre vos médicaments et
ne rien faire qui demande trop d'efforts jusqu'à ce que vous
soyez au moins à quatre mois de grossesse.
On va vous suivre et s'assurer que votre placenta reste en
place et se solidifie. Vous aurez des ovules vaginaux à
prendre ainsi que de l'acide folique et des vitamines...
• Mais docteur, je travaille ! Je ne peux pas rester
couchée. Je suis éducatrice au lycée moderne
d'Adiaké.
• Vous vivez à Adiaké ?
• Non docteur, nous vivons à Bassam.
• Vous faites le trajet Bassam-Adiaké chaque jour ? Il va
vous falloir un arrêt de travail si vous souhaitez garder
ce bébé.
Votre état ne pourra pas supporter ces nombreux
déplacements, surtout si vous prenez les transports en
commun. On sait tous comment ça se passe avec les taxis
brousse et les cars sans compter les massa.
Ne mettez pas votre vie en danger. Reposez-vous. Je vous
produirai les documents dont vous avez besoin pour l'arrêt
de travail.
• D'accord docteur.
• OK, je reviens vous voir dans quelques heures.
• Merci Docteur.
Je soupire. Je suis heureuse d'être enceinte mais je ne sais
pas, j'ai comme un pincement au cour. Ça ne commence
pas bien du tout. Déjà je vois mes règles, ce qui fait que je
ne suis pas
mentalement préparée à une éventuelle grossesse.
Ensuite, je m'évanouis chez moi, je saigne, je fais un
décollement placentaire avant de savoir que je porte un
bébé et maintenant je ne vais plus pouvoir travailler et je
vais devoir rester couchée pendant au moins deux mois !
Ce n'est pas comme ça que j'imaginais cette période de ma
vie. Et puis, je voulais quand même attendre un peu, profiter
un peu plus de mon mariage. C'est vrai que je n'utilise pas
de contraceptifs mais je comptais très bien mes jours et je
ne sais pas à quel moment j'ai pu me tromper dans mes
calculs. Tout ce qui me rassure en ce moment, c'est
qu'Ousmi est ému et très heureux, il est prêt à débuter cette
aventure et il a l'air d'être beaucoup plus apte à gérer que
moi-même. Je me recouche et j'essaie de me convaincre
que j'irai beaucoup mieux dans quelques jours et qu'on
n'aura pas besoin de me clouer au lit pendant des mois.

*
Je suis au téléphone avec madame Milanne, nous
discutons de ma reprise du travail.
Les quatre derniers mois passés chez moi n'ont pas été
faciles. Ma santé revient au beau fixe et j'ai vraiment besoin
de retourner travailler. J'ai besoin de retrouver l'ambiance
du bureau avec mes collègues, retrouver les élèves et leur
joie de vivre contagieuse. J'ai besoin de replonger dans
mes dossiers, de tirer mes documents à l'imprimante, de
retrouver mes cartons de dossiers scolaires et mes feuilles
de rames toutes neuves. J'ai envie de jouer avec mon
agrafeuse, d'avoir mon bocal de stylos sous les yeux, de
passer dans les classes pour donner les informations et
contrôler les vêtements et coiffures des élèves. J'ai besoin
de les entendre me parler, de les voir s'extasier en
m'expliquant les activités qu'ils veulent organiser. Je veux
rencontrer les parents d'élèves dans la rue et avoir les
salutations chaleureuses de ces braves hommes et femmes
qui travaillent dur dans les champs d'ananas pour offrir une
éducation à leurs enfants.... Je veux sentir l'air frais, l'herbe
verte et les arbres du lycée m'entourer et me réconforter. Je
veux retourner au travail, j'adore mon travail et sans ce que
je fais, j'ai l'impression de ne pas exister.
Lorsque nous sommes rentrés de l'hôpital après mon
malaise, Ousmi a pris une semaine de congés pour rester à
la maison, prendre soin de moi et de la maison. Il se levait
le matin et faisait le ménage dans toute la maison avant de
nous faire le petit déjeuner. Il commandait ensuite le
déjeuner et le dîner en ligne, ou allait faire le tour des
restaurants en fonction de ce que je souhaitais manger. Il
m'aidait à prendre ma douche et m'habiller, me donnait mes
médicaments et s'assurait que j'étais installée
confortablement. Chaque soir, il me faisait des massages
de pieds et sortait à n'importe quelle heure, me trouver de la
glace ou des fruits, selon mes envies du jour.
Il a vraiment été formidable. Maman est venue, par deux
fois, me voir avec Soraya.
Puis, l'arrêt de travail m'a été imposé et je n'ai pas pu faire
autrement. Ousmi devait retourner au boulot alors Soraya a
pris le relais pendant deux semaines. Elle est restée à mes
côtés et ne se reposait que lorsqu'Ousmi rentrait le soir.
Lorsque Soraya est partie, j'allais mieux. J'arrivais à faire
certaines choses par moi-même. On engagea une
ménagère, une dame d'un certain âge qui venait trois fois
dans la semaine, faire le ménage et la cuisine qu'on gardait
au réfrigérateur. Ousmi ne voulait pas d'une fille de ménage
qui reste en permanence. Alors je passais la majorité de
mes journées seule, devant la télévision. La femme de
ménage ne parlait pas beaucoup.
Elle venait, faisait son travail et repartait.
Mes journées se ressemblaient et mis à part les fois où
j'appelais maman, madame Milanne ou mes collègues pour
parler un peu, je pouvais rester toute une journée sans
ouvrir la bouche, sans dire un seul mot. La solitude me
pesait énormément.
Maya est rentrée avec son fils il y a juste quelques
semaines. Elle est venue me voir et j'ai vraiment adoré
passer un peu de temps avec elle. Elle est retournée à
Adiaké et c'est l'une des raisons pour lesquelles je veux
vraiment retourner travailler. Je veux proposer à Ousmi de
me laisser retourner dans ma petite maison dans le lycée. Il
n'y a pas eu de nouvelle recrue pour le moment alors la
maison est toujours disponible même si mes affaires n'y
sont plus. Je peux mettre juste un matelas et y dormir en
semaine et rentrer à Bassam chaque week-end. Ça
m'évitera de faire le long trajet chaque jour. Au moins
jusqu'à ce que je prenne mon congé de maternité. Ça me
fera du bien mais j'imagine ce que ce sera pour lui de
dormir seul dans la maison chaque soir de la semaine et ne
pouvoir toucher mon ventre et parler à son bébé que les
week-ends. Je sais que ce n'est pas une décision facile
mais j'ai vraiment besoin de travailler, j'ai l'impression de
devenir folle toute seule dans cette maison.
Nous sommes assis tous les deux devant la télévision après
avoir dîné lorsque j'aborde le sujet. Il rit d'abord, pensant
que je plaisante puis sa mine change lorsqu'il s'aperçoit que
je suis très sérieuse. Il se lève et marche dans la pièce,
semble
désemparé et ne comprend pas ma décision.
Il a l'air d'un animal en cage, sur les nerfs et prêt à exploser.
Il n'arrive pas à comprendre que je veuille retourner
travailler sachant que c'est dangereux pour moi et pour
l'enfant de faire le trajet chaque jour. Il ne conçoit pas que je
sois prête à retourner vivre dans ma petite maison du lycée
et à m'éloigner de lui toutes les semaines, juste parce que
le travail me manque. Il est consterné que je puisse lui
proposer cela et il est catégorique, c'est non et c'est tout. Je
suis surprise par son attitude, alors j'argumente :
• Je rentrerai tous les week-ends ! Tu pourras venir me
chercher chaque vendredi, Maya et Madame Milanne
prendront soin de moi, je serai entourée.
• Il ne s'agit pas de cela. Que tu sois entourée ou pas, je
m'in- quiéterai tous les jours, je ne pourrai pas dormir
ici te sachant là-bas. Ce n'est qu'une question de
temps, pourquoi tu ne patientes pas le temps
d'accoucher avant de reprendre le travail ?
• Quoi ? Ça voudrait dire que je ne travaillerai pas avant
que l'enfant ait au moins trois mois ! Je ne suis qu'à
quatre mois de grossesse, c'est trop long pour moi,
c'est presque un an à rester ici à me morfondre toute
seule. La solitude me pèse ! Mon travail me manque,
j'ai l'impression de ne pas avoir de vie.
Mais comment le simple fait de rester seule pendant la
journée peut te rendre ainsi ? Je rentre tôt les soirs, je fais
tout pour rentrer très tôt. Les moments qu'on passe
ensemble chaque soir ne te suffisent pas ? Écoute Siamy,
tu es mariée et le mariage c'est tout ça. Tu ne peux pas
juste abandonner ton époux et partir vivre ailleurs parce que
tu t'ennuies, ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. Tu
vas rester ici et mener à bien ta grossesse, je ne veux plus
en reparler.
• Non ! Non Ousmi tu ne m'imposes pas ce que tu veux
comme ça. On discute, on fait des compromis, c'est ça
le mariage. Tu ne me dis pas fais ceci un point c'est
tout. Ce n'est pas comme ça que je conçois les
choses.
• Et pourtant, c'est ainsi ! Tu n'iras nulle part.
Pour ton propre bien et pour le bien-être de la famille, il n'y
a aucun compromis qui puisse passer ici. La meilleure des
choses est que tu restes ici et c'est ce que tu vas faire.
- Je suis restée là pendant quatre mois et je n'en peux plus !
Je déprime, j'ai besoin de retrouver ma vie Ousmi, j'ai l'im-
pression d'être en prison !
• Arrête d'être aussi puérile s'il te plaît ! Pense au bébé
et arrête ces caprices !
• Ce ne sont pas des caprices ! Je vais mieux, le
médecin a dit que je n'étais plus vraiment en danger, je
veux reprendre le cours de mon existence là où je
l'avais laissé. Arrête de faire comme si j'étais une
gamine qui ne sait pas ce qui est bon pour elle-même.
J'ai parlé avec madame Milanne et elle m'a dit que je
pouvais reprendre le boulot dès lundi alors je vais y
aller.
• Quoi ? Tu rêves ! Tu n'iras nulle part ! Et puis, depuis
quand tu prends ce genre de décision sans m'en parler
? Je compte pour du beurre ? J'ai dit que tu n'iras pas.
Et j'attends le lundi pour voir ce que tu feras.
N'importe quoi !
Il se lève et part dans la chambre. Je l'entends murmurer,
jurer et maudire et je suis choquée par la tournure que notre
discussion a prise. Il claque très fortement la porte derrière
lui et je sursaute. Je me demande comment et pourquoi on
en est là. Quelques minutes plus tard, je le vois ressortir
avec son coussin et un drap, il part s'enfermer dans la
chambre d'amis. Je reçois un message de lui les secondes
qui suivent :
*je dors ici ce soir, ne me dérange que si tu as des
contractions, sinon bonne nuit.
Je respire profondément, j'essaie de ne pas laisser la
situation m'affecter mais c'est impossible, je tremble de tous
mes membres et mes larmes me trahissent en ruisselant en
cascade sur mon visage.
Je me réveille les yeux bouffis. Je pars prendre ma douche
et faire ma prière du matin.
Je ressors de la chambre pour me faire un lait chaud quand
je remarque qu'Ousmi est sorti. La porte de la chambre
d'amis est entrouverte et il n'est pas à l'intérieur. Les
crochets de la porte principale ne sont pas mis et ses
sandales ne sont plus devant la porte. Je retourne me
coucher en me disant qu'il a dû sortir juste pour prendre l'air
et qu'il ne va pas tarder. C'est la première fois que nous
dormons séparés depuis notre mariage et j'avoue que ce
n'est pas évident.
Je commence à me demander si je pourrai supporter son
absence si je pars à Adiaké malgré tout. Je me dis que ce
n'est certainement pas le moment de laisser des choses
nous séparer. Je savais que notre première dispute
viendrait tôt ou tard mais je ne m'attendais pas à ce que ça
fasse si mal.
Qu'il m'infantilise et m'impose son point de vue sans
prendre en compte mes besoins me blesse énormément
mais le fait qu'il me menace encore plus. Si je pars vraiment
au boulot ce lundi, que va-t-il faire ? Divorcer ?
Me battre ? Me punir ? Je me pose la question mais
je sais au fond de moi que je n'ai pas envie de voir ça car
quoique ce soit, ça fera mal, et je ne veux pas avoir mal.

Je reviens de l'hôpital fatiguée et affamée, le taxi me


dépose devant la maison et je m'arrête à la boutique non
loin du portail pour prendre une brique de jus de fruits bien
fraîche. Je suis de retour chez maman depuis quelques
semaines. Alors que je m'apprête à boire mon jus, j'aperçois
de loin Soraya qui sort d'une voiture. Le conducteur
descend et part ouvrir le coffre, il sort un grand carton et le
pose par terre. Je la vois sautiller partout. Il sort son
téléphone et discute un moment puis raccroche et lui
explique quelque chose.
Elle lui saute au cou et il l'a soulève puis la fait tournoyer
avant de la reposer. Elle tient entre ses grandes mains
comme une poupée. Je me fige sur place car je connais
cette silhouette, ces grandes mains et ces épaules
robustes, c'est Abdul karim.
Ils discutent encore quelques minutes puis elle lui ouvre ses
bras et il la serre longuement contre lui, avant de la relâcher
et de lui poser un baiser sur la main. Il retourne ensuite à sa
voiture et démarre.
Elle reste plantée là un bon moment, un sourire béat sur le
visage, le sourire de quelqu'un de follement amoureux. Elle
se décide ensuite à récupérer le carton posé par terre et se
dirige vers la maison en chantonnant. Je suis clouée sur
place et si choquée que j'ai l'impression de ne plus sentir
mes pieds. Comment Soraya peut-elle faire ça ?
Elle me retrouve devant le portail et sans que je ne m'en
rende compte, la question m'échappe :
" Soraya, tu sors avec Karim ? )
Les disputes avec Ousmi étaient devenues fréquentes et je
boudais, me murant dans le silence parce que j'avais mal
qu'il ne me laisse pas travailler et me retienne comme
captive dans la maison, soi-disant pour me protéger alors
que j'allais mieux. Irrité, il m'avait finalement demandé de
partir si c'était ce que je voulais réellement. Il me déposa
lui-même au lycée ce jour-là, acheta tout ce dont j'avais
besoin pour la maison et me confia à Maya et sa mère. Il
me supplia de prendre soin de moi et à sa façon d'être
inquiet, j'ai fini par comprendre qu'il ne voulait que mon bien
et que j'avais peut-être un peu exagéré en voulant lui forcer
la main.
Je repris le travail et ma vie s'illumina, j'avais vraiment
besoin de ce retour à ma vie. Contre toute attente, ça me
faisait du bien de dormir seule et de passer la nuit à discuter
avec Ousmi.
J'étais impatiente de le retrouver les weekends et nos
retrouvailles se passaient tellement bien que lorsque je
retournais le lundi au travail, je passais ma journée à
chanter. C'était la vie qu'il me fallait : mon travail, ma liberté
et mon foyer.
Avoir les trois contribuait à mon équilibre, et je n'étais pas
prête à sacrifier une partie pour une autre.
A sept mois de grossesse, je fis un malaise au bureau et je
dus être conduite d'urgence à l'hôpital. Après quelques
jours d'hospitalisation, je rentrai chez moi, à Bassam, avec
Ousmi. Madame Milanne proposa alos que je prenne
directement mon congé de maternité en plus du mois d'arrêt
maladie que le médecin m'avait donné. Je ne pus refuser.
Ousmi resta deux semaines auprès de moi, à mes petits
soins comme au tout début. Et puis il fallut qu'il voyage pour
une mission alors nous avons décidé que j'allais rester chez
maman pour un moment, pendant son absence. Mais
depuis, il n'a pas arrêté de voyager, chaque fois qu'il
revenait, il devait repartir aussitôt.
Je suis chez maman depuis presque trois mois déjà et je
suis à terme. Je voudrais tellement qu'il soit là ! Je reviens
de chez le médecin pour mon dernier bilan et je pourrais
accoucher d'un jour à l'autre, mais Ousmi n'est pas là et je
ne veux vraiment pas qu'il rate ce moment.
Soraya me dévisage et se met à rire, elle ouvre le portail et
entre sans répondre à ma question. Je la suis jusque dans
sa chambre.
• Je t'ai posé une question Soraya, réponds-moi !
• Et si je n'ai pas envie de répondre ? C'est ma vie
privée non ?
• Vie privée ? Tu sors avec l'ex de ta grande sœur et tu
parles de vie privée ?
Te souviens-tu du jour où je t'ai dit que je pourrais sortir
avec lui ? Qu'est-ce que tu m'as répondu ? Je pouvais le
faire et que tu n'en avais rien à faire ! Et puis d'ailleurs, ce
n'est pas vraiment ton ex vu que vous n'avez fait que parler,
il n'y a rien eu de concret! Et c'est toi qui l'as chassé en
plus!
Elle dépose son carton et continue de rire, l'air amusé par le
fait que je sois aussi médusée par ses propos. Je reste
plantée là, sans pouvoir bouger ni faire quoique ce soit, je
me demande si c'est moi qui exagère en réagissant ainsi ou
si c'est elle qui est trop désinvolte et guindée.
Elle se tourne vers moi, les mains sur les hanches.
- Je ne sors pas avec Karim, j'aurais bien pu hein, mais il
n'a toujours d'yeux que pour toi, même s'il sait
pertinemment que c'est impossible maintenant. Karim est
devenu mon meilleur ami, c'est quelqu'un de génial, il me
traite comme une princesse, comme sa petite sœur adorée.
Je n'ai pas connu cette proximité que tu as toujours eue
avec Bilal. Eh bien, Karim il me protège et veille sur moi
comme Bilal l'aurait fait s'il vivait ici avec nous. C'est tout.
- Et c'était quoi la scène que j'ai vu dehors tout à l'heure ?
Les embrassades et tout ça?
Ça fait partie de votre truc de grand frère et petite sour ?
Chaque jour, t'es au téléphone avec lui! Et je suis sûre que
c'est parce que je suis là actuellement qu'il ne vient plus à la
maison, sinon il venait toujours ici. Et vous vous voyez
toujours dehors.... Soraya, dis-moi la vérité...
- Siamy, je ne sors pas avec Karim. J'ai flashé sur son
cousin, Hamid ils sont venus ensemble ici lorsqu'il est rentré
du Sénégal.
Alors, si je sors souvent avec Karim, c'est pour aller voir
Hamid. Si je traîne avec Karim et qu'on s'appelle tout le
temps, c'est pour parler de Hamid et aussi passer du temps
avec lui. Là, on revient d'un déjeuner avec Hamid et Sacha,
une amie à Karim. Il m'a annoncé tout à l'heure que Hamid
lui a avoué avoir des sentiments pour moi. Vu que je ne
voulais pas faire le premier pas, je suis soulagée et
heureuse que mes sentiments soient réciproques, voilà
pourquoi j'ai sauté dans ses bras pour festoyer. Ces
dernières semaines ont été dures pour moi et cette nouvelle
est venue illuminer ma journée.
- Oh... d'accord, OK. Je suis heureuse pour toi. Et je suis
désolée d'avoir pensé ça.
Excuse-moi. C'est quoi dans le carton?
• Du matériel pour peindre sur des toiles
• Waouh! Tu t'es enfin décidée!
• Oui ! Grâce à Hamid et Karim. Ils m'ont offert tout le
matériel.
• Je suis vraiment contente pour toi
• Merci.
Elle se rapproche de moi et me serre très fort dans ses
bras. Je m'en veux de l'avoir si vite jugée et je me demande
si ça aurait été juste de ma part de la condamner, même s'il
s'avérait qu'elle sortait avec Karim. Je n'ai aucun droit de le
lui interdire, elle ne me doit pas cela et Karim non plus.
Je suis assise dans la cuisine en face de mon plat de
placalif. J'ai dû faire la tête pour que maman le cuisine
exactement comme je le souhaitais. Je ne voulais pas en
acheter au res- taurant, je voulais celui de maman. Mais je
suis assise en face et je n'arrive pas à manger. L'odeur est
agréable et la vue aussi mais la douleur lancinante qui me
strie l'abdomen depuis quelques heures, m'a coupé toute
envie. Je n'ai pas dormi de la nuit, j'ai été torturée pendant
des heures par des contractions, mais elles étaient assez
espacées pour que je puisse respirer et penser à autre
chose pendant un moment. La seule chose à laquelle je n'ai
cessé de penser, c'est l'absence d'Ousmi. Je ne veux pas
accoucher sans lui pour me tenir les mains. Il m'a
promis de rentrer dans deux jours et je ne veux pas
accoucher avant. Mais la douleur se fait de plus en plus
forte et les contractions sont de plus en plus rapprochées.
Je suis profondément triste. Il me manque énormément et
j'ai l'impression d'être seule au monde, d'être vide.
Soraya sort faire de la peinture avec des amis lorsqu'elle
n'est pas de garde à l'hôpital, je ne la vois presque pas, elle
a sa vie. Maman passe me voir en chambre chaque matin
et chaque soir mais le reste du temps, elle vaque à ses
occupations. Je passe mes journées à parler avec Maya par
message car Ousmi est tellement occupé qu'il ne me fait
signe qu'une seule fois dans la journée ou le soir avant de
dormir.
Je suis en train de fixer mon plat quand de
l'eau tiède suinte de la table et me mouille les pieds. Je
sursaute en me disant que ma carafe d'eau doit être percée
mais lorsque je me mets debout, je remarque que la table
n'est pas mouillée et que l'eau qui coule vient d'en bas : Je
viens de perdre les eaux.
Je suis transportée à l'hôpital par maman qui avait déjà
préparé mes affaires depuis deux semaines environ.
J'essaie de joindre Ousmi tant que mes forces me le
permettent encore mais c'est peine perdue, il ne décroche
pas.
Les contractions s'accélèrent et maman me prend mon
téléphone. Je n'ai pas le temps de protester car j'ai mal, je
ne peux pas stopper ce bébé qui est déterminé à venir et je
n'ai aucun pouvoir sur l'horreur que ie suis en train de vivre.
Nous arrivons à l'hôpital et on m'installe dans la salle
d'accou-chement. Je me mords les doigts, me frappe les
cuisses et me pince pour ne pas hurler chaque fois que la
douleur me traverse. J'en oublie Ousmi sur le coup…
Cinq heures plus tard, je suis encore là, suant, respirant à
peine. J'ai fini par hurler, pleurer, supplier et maudire tout ce
que j'ai pu mais la douleur est encore là, encore plus forte
et je ne me dilate toujours pas, pas assez vite, pas comme il
faut.
Les sages-femmes entrent et ressortent, plusieurs femmes
venues après moi ont pu être délivrées mais je suis encore
là. Je sais que quelque chose ne va pas mais personne ne
me dit quoi que ce soit. Je suis seule face à mon destin et je
commence à envisager le pire. Je ne sens presque plus
mes jambes et je suis de plus en plus faible. Dix heures
plus tard, on m'informe que je serai transférée vers le CHU
pour une césarienne d'urgence.
Au moment où je suis posée sur la civière, je perds con-
naissance.
Je me réveille au bloc opératoire, de nombreuses
personnes s'affairent autour de moi. L'anesthésiste me
prend la main et me parle, il essaie de me rassurer. Je ne
comprends pas tout ce qu'il dit mais j'ai espoir que je serais
très bientôt libre alors je ramasse tout ce qui me reste
comme force pour me redresser afin qu'il puisse me poser
la rachi. Je suis aidée par une infirmière et les autres
médecins autour. Le chirurgien en chef me rassure et
quelques minutes plus tard, je peux sentir mon corps
s'engourdir et toute la douleur disparaît peu à peu.
Je suis consciente de tout ce qu'ils font et j'essaie de dormir
mais je n'y arrive pas, je m'inquiète pour mon bébé, ma
petite fille.
J'entends son premier cri et mes yeux s'emplissent de
larmes. On me la montre très vite et j'ai juste le temps de lui
toucher la main avant de m'évanouir à nouveau.
Je me réveille nauséeuse et endolorie, je suis allongée
dans une salle, j'essaie de lever la tête mais je n'y arrive
pas. Un jeune homme entre dans la salle et me demande
comment je vais. Je n'arrive pas à lui répondre sur le
champ, il me faut un peu de temps pour réussir à parler et
tout ce que je réussi à lui dire c'est que je veux vomir. Il
regarde un peu partout à la recherche de quelque chose
qu'il puisse me mettre sous la bouche mais ne trouve rien.
Je suis poussée par la forte nausée et je relève la tête,
prête à régurgiter.
Le jeune infirmier retire des gants de sa poche qu'il ouvre et
place sur ma bouche, la seconde d'après je vomis dans le
gant, non sans avoir sali les mains du jeune homme. Il
attache le gant et part le jeter. Il se lave les mains et revient
vers moi. Il retire le drap sur mes jambes et les tape à tour
de rôle avec son stylo puis me demande si je sens quelque
chose. Je hoche la tête pour dire oui, il sourit et me dit que
je n'en ai plus pour longtemps dans la salle de réanimation,
je devrais rejoindre la salle d'hospitalisation dans moins
d'une heure. Je suis encore pris de nausée, il ressort un
autre gant de sa poche et reprend l'exercice encore une
fois.
Lorsqu'il part, je me couche et ferme les yeux pour essayer
de reprendre des forces.
Une heure plus tard, je suis conduite en salle
d'hospitalisation.
La douleur dans ma poitrine est insupportable, la sonde me
gêne et le fait qu'elle passe dans la couche pour adulte
qu'ils m'ont mise n'arrange rien. Je saigne énormément et
chaque fois je suis obligée de sonner l'alarme des
infirmières pour qu'elles
viennent me changer, de peur de salir les draps et imbiber
le lit de sang.
Les antidouleurs se succèdent dans ma perfusion mais ma
plaie est très douloureuse et me picote. J'ai mal partout, je
suis faible et j'ai faim, je n'ai rien mangé depuis plus de
quarante-huit heures et je ne pourrai rien manger avant
d'avoir fait du vent. Je n'ai pas cessé de pleurer depuis hier
soir lorsqu'on m'a emmenée en salle d'hospitalisation.
Maman est vite passée me voir et m'a fait savoir qu'elle a
prévenu Ousmi de mon accouchement. Elle a dû rentrer à
la maison se reposer et revenir ce matin. Après tout ce que
nous avons vécu ces deux derniers jours, elle méritait
quand même une bonne douche et une bonne nuit de
sommeil. Chose que moi je n'aurai pas avant très
longtemps.
Je suis sortie de l'hôpital après quatre jours d'hospitalisation
et c'est le jour de la sortie que j'ai pu tenir ma fille dans mes
bras.
Ousmi n'est finalement plus rentré, il a eu une urgence et il
a dû se rendre dans un autre pays. Je suis restée un mois
chez maman et j'ai décidé de rentrer chez nous. J'ai engagé
une aide- ménagère afin qu'elle reste à mes côtés car je
sentais maman un peu à bout de souffle.
Je pleure chaque jour, plusieurs fois, pour presque rien. Je
ne supporte pas mon corps, cette chose que je suis
devenue. J'ai du mal avec mon ventre qui n'est pas
vraiment descendu et cette plaie qui met du temps à guérir.
Il a fallu attendre trois longues semaines pour que je puisse
avoir droit à une vraie douche, pour que je puisse me laver
et me sentir propre. L'odeur du lait maternel dans mes
vêtements me dégoûte, j'ai d'horribles crevasses au bout
des seins et cet enfant n'arrête pas de téter, quitte à téter
du sang. Je me sens mal, je suis extrêmement
fatiguée et surmenée. Je ne m'attendais pas à tout ça, je
n'imaginais pas la maternité comme ça. J'ai parfois envie de
fuir, ne serait-ce qu'une journée, pour flâner en ville ou au
bord de la mer, sans enfant, sans personne.
Nous l'avons appelée Farah, je m'en veux de ne pas
pouvoir me connecter à elle. Quand elle pleure, je ne sais
pas ce qu'elle veut ni comment la calmer, elle pleure un peu
trop et j'en ai marre. Je me sens comme la pire des mères,
comme si je ne la méritais pas. Je la regarde pleurer et je
m'en veux énormément. Je me sens minable, moche et
incapable. Je suis dans une spirale infernale et j'ai
l'impression chaque jour de tomber au fond d'un trou, un
trou noir sans fin. Je suis malheureuse et j'en veux
énormément à Ousmane de ne pas être là au moment où
j'ai le plus besoin de lui, et je m'en veux de ne pas pouvoir
affronter tout ça toute seule, et je me juge, et je me hais...

Chapitre 7
Je suis restée au lit pendant des jours.
N'eut été la diligence et la gentillesse de Safiatou, mon
aide- ménagère, je ne sais pas ce qui serait advenu de moi.
Je pleurais sans cesse, je ne voulais pas et ne pouvais pas
allaiter Farah du fait de mon état psychologique et
physique.
Safiatou s'occupait de la petite et de moi.
Elle lui donnait le biberon et la berçait.
Elle me forçait à manger et à prendre mes médicaments et
mes douches. Elle sortait marcher avec la petite pour que je
puisse dormir et parfois, elle restait souvent à mon chevet,
inquiète et triste pour moi. Je n'arrivais plus à me regarder
dans le miroir.
L'image que me renvoyait mon reflet était difficile à accepter
pour moi. J'avais perdu ma belle chevelure soyeuse et
bouclée, je n'avais plus qu'une petite touffe sèche et rêche
à la place. Ma peau était devenue extrêmement sèche, ma
cicatrice qui était très visible, tiraillait, grattait et picotait.
Mes pieds et mes mains étaient devenues calleuses et ce
masque de grossesse avait hyper pigmenté mon visage et
mon cou qui étaient à présent parsemés de points noirs.
Mon poids était le pire pour moi : j'avais pris plus de quinze
kilogrammes et mon ventre semblait contenir un second
bébé. J'avoue que je n'avais rien fait pour arranger cela
mais comment faire ? Par quoi commencer ? Il fallait que je
sois assez lucide mentalement pour penser à me faire belle.
Je me suis mise à lire des articles sur le baby blues et la
dépression post partum. J'essayais de comprendre ce qui
m'arrivait et comment reprendre le dessus.
Ousmi est rentré un lundi soir. J'avais accouché depuis
deux mois et trois semaines déjà. J'appréhendais son retour
autant que je l'attendais, car j'avais peur de la façon dont il
verrait cette nouvelle personne que j'étais devenue. J'avais
peur qu'il ne m'aime plus, ne me désire plus.
Il me serra dans ses bras pendant longtemps, très
longtemps au point où j'en perdis la notion du temps. Il
pleura, me remercia, me bénit et me félicita. Il se baissa
même pour m'embrasser les pieds et me remercia pour ma
patience et pour tout. Je fus émue aux larmes. Lorsque
Safiatou lui déposa la petite Farah dans les bras, il éclata
en sanglots et pleura comme un enfant. La petite était déjà
si grande!
Même Safiatou ne pût retenir ses larmes face au spectacle
qu'il nous offrit.
Pendant presque un mois, il resta près de nous, à prendre
soin de nous, Farah et moi. Il m'offrit plusieurs soins en
institut de beauté, ainsi que des massages complets.
Au bout d'un moment, je recommençais à me sentir mieux.
J'entrepris de perdre du poids en faisant du sport et en
changeant mes habitudes alimentaires. Il paya pour que je
sois suivie par un diététicien. Dès que j'émettais le désir de
faire quelque chose, il mettait tous les moyens en œuvre
pour que je puisse le faire. Peu à peu, je recommençais à
avoir confiance en moi et à apprécier la vie que j'avais. Il
était tellement proche de sa fille que j'en étais parfois
jalouse. Ousmi était tellement un
bon père que j'avais l'impression qu'il avait déjà eu des
enfants avant. Il s'y connaissait tellement et s'y prenait si
bien...

Farah a six mois et j'ai repris le boulot il y a à peine un


mois. Je fais le trajet Bassam-Bonoua et Bonoua-Adiaké
chaque jour comme à mes débuts. Sauf que cette fois, je
fais du covoiturage avec une voisine. Rita travaille dans une
entreprise qui exporte les ananas de Bonoua vers
l'extérieur. Elle habite à une villa de chez moi. Elle nous
dépose donc, Safiatou, Farah et moi à Bonoua chaque
matin et nous empruntons ensuite le taxi brousse pour
Adiaké. On gagne beaucoup de temps et les soirs, nous la
rejoignons à Bonoua pour rentrer mais parfois elle pousse
la gentillesse jusqu'à venir nous chercher à Adiaké.
Rita est très bavarde et drôle. Elle conduit avec prudence
mais n'hésite pas à recadrer les chauffeurs de transport en
commun sur la route lorsqu'ils s'adonnent à des conduites
dangereuses. Elle lance parfois des injures à leur encontre
et s'excuse ensuite auprès de nous tout en demandant à
Safiatou de fermer les oreilles de Farah. J'en ris toujours.
Bientôt, lorsque Farah aura dix mois, elles resteront à la
maison. Je les emmène avec moi car Farah est encore très
accrochée au sein et n'accepte pas facilement la
diversification, mais aussi parce que j'aurai l'impression de
l'abandonner trop tôt et que l'avoir près de moi quand je
travaille me fait du bien. J'ai enfin cette connexion, cette
fibre maternelle et ce lien fort avec elle et il m'a fallu
tellement de temps pour l'avoir que j'ai peur de le perdre si
je m'éloignais d'elle, ne serait-ce qu'une journée.
Je ne suis pas allée travailler aujourd'hui, j'ai décidé d'aller
faire une petite surprise à Ousmi au travail et l'inviter à
déjeuner. Il y a quelques jours, il m'a fait part de son envie
de faire le mariage civil au plus vite. Sa demande m'a
agréablement surprise et j'en ai été véritablement heureuse.
Il m'a demandé de me rendre à la mairie de mon choix pour
prendre les renseignements nécessaires.
Souhaitant tous les deux faire un mariage en très petit
comité, contrairement à ce qui a été fait pour le mariage
traditionnel et religieux, j'ai préféré choisir la mairie de
Bassam. Je l'ai décidé parce que c'est tout proche de chez
nous, mais aussi parce qu'on pourra ainsi organiser une
petite réception dans un restaurant en bordure de mer et
qu'on n'aura pas à faire de long trajet. J'y suis donc allée ce
matin et c'est avec la liste des pièces à fournir que je me
mets en route pour le plateau, histoire de lui faire la
surprise.
Lorsque j'arrive sous l'immeuble où il travaille, j'essaie de le
joindre pour savoir s'il est effectivement au bureau mais son
téléphone sonne dans le vide. Il est presque douze heures
et je me demande s'il n'est pas déjà descendu pour
déjeuner. J'insiste pendant un moment et puis, je crois voir
une silhouette qui lui ressemble sortir du hall. Je vérifie bien
et je me rends compte que c'est lui lorsqu'il se dirige vers
une voiture qui n'est pas la sienne. Je m'apprête à me
lancer à sa suite quand il ouvre la portière côté conducteur
et qu'une dame sort, lui pose un baiser sur la joue et le
serre fort contre elle. C'est une dame assez grande de
taille, très claire de peau, disons mulâtre, avec des cheveux
bruns très longs et bouclés. À ce moment-là, je recule et
reste à une bonne distance pour les observer. Je ne sais
pas si je dois bouger, rire ou pleurer. Je suis sous le choc et
mes pieds tremblent mais j'essaie de stabiliser ma
respiration et me dire que tout ira bien et qu'il y a forcément
une bonne explication à cela. Il ouvre la portière arrière côté
passager et j'aperçois des enfants. Je n'ai pas le temps de
voir combien ils sont et à quoi ils ressemblent.
Il semble les saluer et ils ont l'air joyeux.
Il contourne ensuite la voiture et monte à l'avant côté
passager. La dame remonte et fait sa manœuvre avant de
démarrer. Je me demande où ils vont. Je reste plantée là
pendant un long moment, me demandant si je dois
retourner à la maison ou pas. Au bout de trois quarts
d'heure, je me décide à monter à son bureau et l'y attendre.
Je lui laisse un message disant que je suis là et que je
voulais lui faire une surprise.
Trente minutes plus tard, il arrive. Un peu troublé et l'air
perdu, mais il m'accueille avec joie et me remercie pour la
surprise.
Il m'informe qu'il vient de déjeuner avec une partenaire
d'affaire qui est de passage à Abidjan mais m'invite quand
même au restaurant afin que je puisse manger.
J'accepte et nous y allons. Je finis par lui dire que je l'ai vu
avec cette dame et qu'elle n'avait pas du tout l'air d'être une
partenaire d'affaire pour lui. Il se justifie et raconte qu'il a
travaillé avec elle par le passé et que c'est juste de la
familiarité de longue date. Que les bisous et l'étreinte ne
voulait rien dire et que j'aurais dû m'approcher pour qu'il
puisse me présenter. Il a l'air si sérieux et est tellement
convaincant que j'accepte, craignant de l'accuser à tort et
pourrir l'atmosphère entre nous. Il décide de prendre sa
soirée afin qu'on rentre ensemble à la maison. J'essaie de
profiter de l'instant présent et d'oublier tous mes soupçons.
Nous rentrons ensemble à la maison et il m'invite à dîner.
Après le dîner, il m'offre une belle montre sertie de pierres
et me fait la surprise de m'emmener dormir dans un hôtel
de luxe,
pour briser un peu la routine. Je passe une merveilleuse
nuit et il me comble d'amour comme il sait si bien le faire.
Deux semaines sont passées, c'est le weekend et je suis en
train de ranger les vêtements venus du pressing dans les
placards. Ousmi est sorti acheter de la viande braisée
dehors. Je sors quelques vêtements pour mieux les classer
quand je sens quelque chose vibrer entre les chemises. Je
touche le haut de la pile et je me rends compte que ça vient
du bas. Je sors toute la pile du placard et je découvre un
téléphone, que je ne reconnais pas. Il sonne et le numéro
qui s'affiche à l'écran n'est pas enregistré dans le répertoire
du coup, je me pose beaucoup de questions. Je suis tentée
de me dire que ce téléphone n'est peut-être pas à Ousmi
mais la photo de lui sur l'écran de veille fini de me
convaincre. Le numéro insiste alors je me décide à
décrocher.
A peine je pose le téléphone sur mon oreille que j'entends
Allô, mon amour?) .
Surprise et choquée, je raccroche aussitôt.
Mon cour bat la chamade et j'ai l'impression que le monde
se dérobe sous mes pieds.
Je reste figée pendant quelques secondes et mon cœur
rate un battement. Mes mains deviennent moites et je
transpire du cou à la poitrine tout à coup. Le téléphone
recommence à sonner, c'est le même numéro. Je décroche
instinctivement sans parler, convaincue que j'ai peut-être dû
me tromper la première fois, que je n'ai pas bien entendu.
La personne au bout du fil lance à nouveau : " Allô bébé ?
Chouchou ?
Ousmane t'es pas drôle là, arrête tu me fais
peur …
Je raccroche encore une fois. Cette fois-ci c'est clair, il n'y a
aucun doute, elle a prononcé son nom. Je me rue sur son
téléphone principal, celui que je connais et qu'il ne me
cache pas, qui est en charge, posé sur la commode. Je
compose son code de déverrouillage de façon machinale, je
l'ai déjà vu faire plusieurs fois. Je n'ai jamais pensé à fouiller
dans son téléphone, je suis donc moi-même surprise de
réussir à le déverrouiller du premier coup. Je compose le
numéro qui vient d'appeler sur le second téléphone et je
remarque qu'il a enregistré le numéro sous le nom " A".
Juste "A", rien d'autre. J'entre alors dans sa messagerie
WhatsApp et recherche ses conversations avec "A". Je ne
tarde pas à retrouver la conversation. Je m'assois sur le sol
froid et je lis. Des spasmes traversent mon corps au fur et à
mesure que je déchiffre leurs mots, leurs phrases. C'est
comme si tout ce qui m'entoure n'existe plus, comme si des
soldats armés de sabres me lacèrent les entrailles. Je
n'arrive ni à crier, ni à bouger.
Je ne comprends pas ce que je vois, ou plutôt, je refuse de
comprendre. Mon être tout entier refuse, c'est comme si la
foudre vient de s'abattre sur moi. Mon existence entière
vient d'être anéantie, j'ai l'impression de mourir. Mon corps
ne me répond plus.
J'entends sa voix depuis le salon, il demande à Safiatou
d'aller renverser la viande dans un plateau et de faire frire
des bananes. Je sais qu'il se dirige vers la chambre mais je
n'ai pas la force de bouger, ranger le téléphone ou faire
quoi que ce soit d'autre. Il entre en chantonnant et son
regard croise le mien, inondé de larmes. Son téléphone
principal entre mes mains, le second posé sur mes genoux,
il comprend directement. Il soupire et tourne le dos pour
fermer la porte à clef. Il s'approche de moi, pas trop près, et
s'assoit par terre. Il
fait signe de la main pour que je me calme et n'arrête pas
de répéter & ne crie pas s'il te plaît, ne crie pas...) je dépose
le téléphone sur la commode, là où je l'ai pris. Je lui tends le
second téléphone, il le prend et le pose par terre, près de
lui. Nous restons assis pendant une bonne trentaine de
minutes, dans le silence. De longues minutes pendant
lesquelles toutes sortes d'idées de meurtre me viennent en
tête. Mon cœur est lourd et à chaque battement, j'ai
l'impression que je vais avoir une attaque cardiaque. Je
souhaite même avoir une attaque, afin qu'il se rende
compte à quel point il vient de me détruire et à quel point la
douleur me traverse à l'instant. C'est une douleur sourde et
muette mais une douleur vive et cruelle. Je ne me souviens
pas avoir déjà eu aussi mal de toute ma vie. Je ne la
compare pas à celle de mon accouchement car il s'agissait
là d'une douleur physique palpable alors qu'aujourd'hui,
c'est à mon âme que j'ai mal et cette douleur ne peut être ni
décrite ni quantifiée. J'aimerais bien m'évanouir car je me
sauverais ainsi de ce face à face silencieux mais mes yeux
restent rivés sur mes pieds et j'en veux à l'univers entier de
permettre que cela m'arrive.
Il se lève et marche jusqu'à la fenêtre de la chambre et s'y
adosse.
- J'aurais préféré mourir plutôt que de t'infliger ça, Siamy. Si
en rentrant je savais que je te trouverai ainsi, sachant toute
la vérité, je ne serais pas rentré, je serais peut-être allé me
jeter à la mer, ou sauter d'un immeuble. Te suis en train de
réfléchir à le faire en ce moment, j'ai juste peur de ce que tu
feras une fois que j'aurais ouvert la porte et que je serais
sorti...
- J'aurais peut-être préféré que tu sois mort aussi, plutôt
que ça. J'aurais au moins conservé mon amour et mon
admiration pour toi comme ça. Notre histoire aurait été très
belle, triste mais belle. J'aurais gardé foi en l'humanité et
j'aurais élevé ma fille avec l'espoir que les hommes bons et
honnêtes existent. J'aurais préféré que tu sois mort, comme
mon père, en conservant ce souvenir de l'homme droit et
juste à mes yeux et à ceux de ton enfant. Je ne sais pas
quoi dire d'autre, tu peux y aller, te jeter du haut d'un
immeuble, même si ça n'arrangera en rien ton image que tu
as déjà salie. Pars et ne reviens plus. Je préfère t'enterrer
demain plutôt que d'avoir à expliquer aux gens pourquoi je
te quitte.
Vas-y s'il te plaît, meurs et qu'on en finisse Ousmane, peut-
être que te voir allongé, attaché dans un linceul me
soulagera.…
Il soupire, ouvre le placard, prend les clés de sa voiture et
sort.
Je reste assise là deux heures durant, sans bouger. Je ne
réfléchis pas, je regarde juste dans le vide, ma vie n'a
absolument plus de sens. Je réussis à me lever, à sortir de
la chambre pour demander à Safiatou de manger et d'aller
se coucher avec Farah. Je lui demande de fermer les portes
et de ne pas s'inquiéter car Ousmi ne rentrera pas.
Je sens son regard surpris et interrogateur mais je n'en fais
pas cas. Je retourne dans la chambre, j'ouvre la boîte à
pharmacie à la recherche d'un médicament qui puisse me
faire dormir sans réfléchir. Je tombe sur plusieurs cachets
contre la grippe et le rhume, pouvant causer de la
somnolence, j'en prends plusieurs, je ne sais plus combien,
puis un sirop mentholé contre la toux grasse dont je vide la
bouteille qui en est à la moitié. Je me couche et met la
climatisation en marche. Je veux dormir et ne plus me
réveiller, pour ne pas avoir à affronter la réalité.
J'ouvre les yeux péniblement, une serviette humide et tiède
est posée sur mon front. Je vois le visage de Rita, penchée
sur moi.
«Siamy, ça va ? Tu m'as fait une de ses peurs !... me dit-
elle.
* Hum, hum) Fais-je en hochant la tête.
Elle m'explique que c'est Safiatou qui est allée frapper à sa
porte, lui demandant de venir me voir car je ne me suis pas
réveillée ce matin et jusqu'à quinze heures, je ne bougeais
toujours pas, allongée dans le lit.
Elle m'a alors transportée à la clinique pour qu'on s'occupe
de moi.
Je suis là depuis seize heures trente et il est quatre heures
du matin actuellement.
J'ai dormi plus de trente-deux heures. Les médecins ont dit
que j'étais droguée par des médicaments. Je ne sais pas
trop ce qu'ils m'ont fait mais juste envie de vomir. Elle
m'aide à aller aux toilettes et après avoir fini, elle me
ramène dans mon lit. On me sert du thé chaud et après
avoir bu plusieurs gorgées, je me sens un peu mieux mais
j'ai faim. Rita me donne deux pots de yaourt et une pomme,
que je mange machinalement puis je me recouche. Elle
essaie de comprendre ce qui ne va pas et ce qui s'est
passé pour que je sois dans cet état. Safiatou lui a dit que
mon mari n'était pas rentré depuis la veille et qu'elle n'a pas
pu le joindre non plus, elle est très inquiète pour moi. À ce
moment-là, tout me revient et je me mets à pleurer à
chaudes larmes. Je suis secouée par les sanglots et j'ai
l'impression que ma poitrine va exploser. Je regrette les
mots dits à Ousmi. Et s'il avait vraiment mis fin à sa vie ?
N'aurais-je pas dû lui donner l'occasion de s'expliquer ? Je
ne sais plus où j'en suis. Je réponds à Rita que nous nous
sommes disputés sans lui expliquer le motif. Elle me tient la
main et me console.
Elle reste auprès de moi jusqu'à ce qu'on me libère au petit
matin et me raccompagne à la maison.
Quand on arrive, je remarque qu'Ousmi est rentré. Je suis
soulagée de le savoir en vie.
Je l'entends jouer avec sa fille sur la terrasse.
Lorsqu'il se rend compte que je suis là, il vient
immédiatement vers moi, les bras
ouverts.
Siamy, ça va ? J'ai tenté de te joindre mais ton téléphone
était ici, Safiatou m'a dit que Rita t'avais emmenée à
l'hôpital. J'ai essayé de la joindre sans succès, je ne savais
pas dans quel hôpital vous étiez... je ... je suis vraiment
désolé...
Je m'écarte de lui et me dirige vers notre chambre.
/ Eloigne-toi de moi, je vais bien. , lui dis-je avant d'ouvrir la
porte.
Rita remet mes effets à Safiatou et s'excuse auprès
d'Ousmi en lui disant qu'elle essayé de le joindre tout
l'après-midi sans succès et que son téléphone s'est ensuite
éteint. Il la remercie pour tout et la raccompagne.
Je m'allonge dans la chambre pendant un long moment et
je pars ensuite prendre une douche. Le soir venu, on
mange chacun de son côté, je pars coucher Farah et lui lis
une histoire sous le regard attendri de Safiatou.
Je me demande si je dois dormir avec Farah, quitte à faire
dormir Safiatou par terre ou si je dois retourner dans ma
chambre, sachant qu'il y est. Je ne vais pas pouvoir l'éviter
toute ma vie alors je me décide à y aller. Lorsque j'entre
dans la chambre, il est couché à même le sol, sur une
couette. Il a pris sa couverture et a laissé la mienne sur le
lit. Il me voit entrer et fais semblant d'être endormi, je le
contourne et je monte sur le lit me coucher. Le silence
règne, je n'ai pas vraiment sommeil après tout ce temps
passé à dormir. Je me mets à réciter des sourates, jusque
tard dans la nuit. Je ne sais pas trop comment mais je finis
par m'assoupir à un moment. Je suis réveillée par le bruit
de l'eau dans la douche, j'ouvre les yeux et je le vois faire
ses ablutions et venir prier. Je ne veux pas prier avec lui
alors j'attends qu'il finisse et se recouche pour me lever et y
aller à mon tour. Lorsque je termine ma prière et que je
reviens me coucher, il n'est pas rendormi. Il se lève de sa
couette et s'assoit en face du lit.
- Tu pensais vraiment ce que tu m'as dit la dernière fois,
Siamy ?
Tu aurais réellement préféré que je ne revienne plus ?
• Je ne sais pas. Peut-être...
Je suis revenu pour elle. Pour toi aussi mais pour elle
encore plus. Je ne conçois pas une vie où elle grandit sans
moi, aussi imparfait que je sois. Tu sais, je suis sûr que tu
aurais préféré mille fois ton père vivant et imparfait comme
la majorité des hommes, plutôt que de l'avoir perdu si tôt.
Farah mérite de grandir auprès de son père, même si celui-
ci est le pire des salauds. Une fois adulte, qu'elle puisse
accepter et reconnaître le fait que même si son père n'a pas
pu être un bon époux pour sa mère, il aura quand-même
été un bon père pour elle.
• J'aimerais comprendre pourquoi ?
• Pourquoi ?
• Oui, pourquoi moi ? Pourquoi tu as fait tout ça? Les
men-songes, la traîtrise... T'ai-je déjà fait du mal ? Es-
tu entré dans ma vie pour me punir de quelque chose ?
Parce que bien avant d'entrer dans ma vie tu savais
que ça me détruirait mais tu l'as quand-même fait.
Ton but était-il de me détruire ? Pourquoi
Ousmane ?
- Ça a toujours été toi, toi et personne d'autre.
D'aussi loin que je me souvienne, mon cour a toujours battu
pour toi et toi seule. T'avoir avec moi était mon rêve ultime,
le but de ma vie. J'ai eu l'occasion de réaliser mon rêve
alors je n'ai pas hésité. J'ai foncé, j'ai mis toutes les
chances de mon côté et j'ai prié pour que ça marche et que
ça tienne. Mon but n'a jamais été de te détruire mais juste
de t'aimer et de te protéger. Je savais que ça pouvait mal
se passer oui, mais ma volonté de vivre mon amour pour toi
a été plus forte que mes craintes.
• Et son histoire à elle, c'est quoi ? Pourquoi l'avoir
épousée si tu prétends n'aimer que moi ?
• Elle a été là, quand personne ne l'était.
J'étais seul, à la rue, sans personne et sans rien. Je
dormais dans le froid, dehors sur les cartons en rêvant de
toi. Je ne cessais de te chanter mais chaque jour, mon
espoir de te revoir un jour disparaissait à l'horizon. Elle m'a
tendu la main, quand j'avais faim et soif, elle a été tout un
univers pour moi et nous nous sommes attachés. Puis, le
temps est passé et j'ai perdu espoir, le temps est passé et
je me suis résigné. l'avais besoin de papiers, de travail et de
sécurité, elle avait besoin d'amour alors chacun a donné ce
qu'il pouvait donner. Notre ménage n'a pas été un conte de
fée, mais on a essayé de le faire marcher, pour les enfants,
pour tout ce qui pouvait nous entourer. Très souvent, le
mariage ce n'est pas seulement deux personnes qui
s'aiment, mais c'est tout un environnement qui s'y prête. On
a essayé et ça semblait fonctionner mais avec le temps les
choses se sont détériorées, j'ai arrêté de forcer les choses,
de faire des efforts. Elle en a eu marre alors elle est partie.
Elle m'a fait part de son envie de divorcer et je n'ai pas
refusé. J'étais au Royaume-Uni, elle en Australie durant
deux ans. Nous étions séparés et elle s'y plaisait.
Puis, j'ai eu l'offre d'emploi et j'ai décidé de rentrer au pays
voir, juste pour me changer les idées. Je ne pensais pas te
revoir, je te pensais déjà mariée avec des enfants, je te
pensais perdue pour toujours jusqu'à ce que je te retrouve à
ce mariage et que toutes ces choses mortes en moi se
réveillent après toutes ces années... à partir de ce moment,
je n'ai pensé qu'à une seule chose : t'épouser et vivre enfin
la vie dont j'avais toujours rêvé à tes côtés quoiqu'il m'en
coûte.
- Pourquoi ne pas avoir été honnête avec moi dès le départ
? Pourquoi ne pas m'avoir expliqué ? J'aurais peut-être
compris, j'aurais au moins eu le choix de décider.
- Siamy, tu rigoles ? Tu étais avec le sénégalais ! Tu
n'arrêtais pas de parler de lui. Le premier jour de nos
retrouvailles, tu n'as pas voulu rester avec moi car tu devais
dîner avec lui le soir ! Il était déjà entré dans ta famille, tu
insistais pour me le présenter, tes yeux brillaient lorsque tu
parlais de lui...
C'était comme si j'avais été poignardé dans le coeur. Je me
demandais comment faire car je pensais t'avoir déjà
perdue. Puis, il t'a avoué qu'il était en instance de divorce et
j'ai vu comment tu l'as traité. Comment tu l'as vite barré de
ta vie comme s'il n'avait jamais existé. Je t'écoutais parler
de lui avec tellement de mépris que je me suis demandé ce
qu'il adviendrait de moi si je t'avouais la même chose et que
je proposais ensuite de t'épouser. J'aurais subi le même
sort que ce type. Voilà pourquoi je n'ai rien dit.
Elle devait juste signer les papiers et tu ne l'aurais jamais
su...
• Tu m'aurais caché tes enfants toute la vie ?
• Non, pas toute la vie, mais j'aurai choisi le moment
opportun pour t'en parler.
Et pourquoi n'a-t-elle toujours pas signé les papiers ?
Pourquoi est-elle là actuellement ?
• Elle a changé d'avis, elle veut réessayer de sauver les
choses, elle veut faire découvrir mon pays aux enfants,
elle veut beaucoup de choses impossible à avoir.
• Elle sait pour moi ? Pour Farah ?
• Oui...
• Hummm ...
Écoute je ne veux pas vous opposer, j'aurais voulu que tu
n'en saches rien avant que je n'aie réglé le problème mais
ce qui est fait est fait. A présent, je veux juste un peu de
temps pour la convaincre de continuer la procédure de
divorce.
• Et avec ça, tu voulais m'épouser légalement...
• Et je le veux toujours. Écoute, j'ai trois nationalités :
canadienne, anglaise et ivoirienne. Alice et moi nous
sommes mariés en Angleterre et c'est là-bas que nous
devons divorcer, étant tous les deux anglais.
Je peux me marier en Côte d'Ivoire car je n'ai jamais fait
valoir mon mariage avec elle ici. Je suis venu travailler ici
en tant que Canadien et sur mes documents canadiens je
suis toujours célibataire.
- Ces fameux documents que tu m'as remis soi-disant pour
me rassurer... j'ai l'impression de parler à un parfait
inconnu.
Comment tu peux être aussi sournois et perfide ? Tu es
célibataire ici jusqu'à ce qu'on te dénonce avec les preuves.
• Et qui va le faire ? Elle ne le fera pas si c'est ce à quoi
tu penses.
Je ne ferai pas avec toi un mariage qui peut être annulé à
tout instant. D'ailleurs, je ne t'ai pas dit que je comptais
rester avec toi.
- Elle part bientôt, elle ne te dérangera pas....
• Son existence me dérange déjà, elle est ton épouse, la
mère de tes deux garçons. Et je suis quoi dans tout ça
? Ta maîtresse... Tu as réussi à faire de moi ce que j'ai
le plus répugné de toute ma vie. Merci !
• Tu n'es pas ma maîtresse Siamy, tu es ma
femme ...
• Ousmane, je te déteste! Je ne veux plus te parler.
Laisse-moi dormir maintenant.
• Siamy, je t'aime.
Je ne lui réponds pas, je mets ma couverture sur ma tête et
je pleure en silence jusqu'au lever du soleil.

Maman porte Farah sur le dos, elle essaie de la faire dormir


mais celle-ci joue et rit, en balançant ses petits bras de
gauche à droite. Maman ne se décourage pas pour autant.
Safiatou est dans la cuisine avec la ménagère de maman,
en train de faire frire des bananes plantain. Je tire une
chaise longue et me pose sous l'arbre du jardin, qui étend
généreusement son ombre.
Je suis en train de profiter du vent frais lorsque j'entends
des voix bruyantes venir du portail. J'entends des rires, des
éclats de voix et des blagues. Je reconnais la voix de
Soraya, je me dis qu'elle doit être avec amis de l'hôpital
peut-être. Depuis qu'elle a eu son diplôme d'infirmière d'état
et commencé à travailler au Centre Hospitalier Universitaire
semi-privé d'Angré dans la commune de Cocody, elle se fait
de plus en plus rare à la maison et je la vois beaucoup
moins, d'autant plus que je vis toujours à Bassam et que je
ne viens voir maman qu'une fois par mois.
Ils entrent dans la cour, toujours dans le même vacarme.
Lorsqu'elle m'aperçoit, elle saute à mon cou avec des cris
de joie et nous nous étreignons pendant un petit moment.
Puis, elle se détache et me présente sa petite bande. Je
suis un peu gênée de me retrouver nez à nez avec Abdul
Karim. Elle me présente Hamid, avec qui elle sort depuis
quelques mois déjà, Sacha qui semble être la compagne
d'Abdul Karim, même si elle ne le dit pas clairement, Claude
sa collègue infirmière qui fait aussi partie de sa bande de
peintres amateurs et Aboudi, un ami peintre professionnel
qui leur apprend beaucoup. Ils s'installent tous dans le
jardin autour de moi et continuent leurs débats et éclats de
rire. Je me sens de trop, je finis par m'éclipser au bout d'un
moment.
Lorsqu'il est l'heure pour moi de partir, je vais chercher
Farah qui était avec Soraya quelques minutes auparavant.
Je la retrouve finalement dans le jardin, endormie sur les
pieds d'Abdul Karim. Sacha n'est pas là alors je reste pour
échanger les civilités avec lui avant de récupérer la petite.
Je suis soulagée qu'il n'y ait plus de gêne entre nous et
qu'on soit tous les deux passés à autre chose.
Lorsque je rentre à la maison, j'entre dans la salle de bain
pour prendre une bonne douche, mais avant, je prends
trente minutes pour me poser sur la cuvette des toilettes et
pleurer. Ça va faire cinq mois que je vis ainsi, au jour le
jour. Que je survis à cette vie de maîtresse malgré moi.
J'aurais aimé avoir eu la force de partir mais je n'ai pas pu.
Beaucoup de choses en moi voulaient croire en Ousmane
et à son histoire. Beaucoup de choses en moi sont restées
accrochées à lui et à la famille que nous formons. Petit à
petit, l'espoir s'est glissé en moi. L'espoir qu'on puisse
surmonter ça, que son divorce soit vite acté et que ce secret
demeure entre nous. L'espoir que cette histoire soit derrière
nous dans quelques mois et qu'on ressorte plus forts et plus
soudés. Alors, j'ai enfoui ma tête dans le noir pour ne pas
voir, j'ai fait l'autruche et décidé de faire comme si elle
n'existait pas. Mais je survis car maintenant je dois faire
profil bas lorsqu'elle appelle ou lorsqu'il doit se rendre chez
elle. Je dois me faire violence pour ne pas m'écrouler en
larmes lorsque ses enfants l'appellent en vidéo et qu'il se
retire dans la cour arrière
pour discuter avec eux. Je dois serrer la poitrine un peu
plus lorsque je les entends rire, et serrer les dents lorsque
je reçois un message de lui me disant qu'il ne rentrera pas
le soir. Il ne dit pas clairement qu'il part là-bas, il ment
encore sur le boulot mais je le sais. Et j'en souffre tellement.
J'ai plusieurs fois ressenti le besoin d'en parler, à maman, à
Soraya, à Sita, à Adja et même à Rita mais je n'ai pas pu.
La honte m'en a empêché. Moi qui ai crié sur tous les toits
que
jamais je n'épouserais ou n'aurais de relation avec un
homme marié. Moi, la terreur des hommes en couples et
infidèles. Moi, qui n'hésitais pas à insulter et honnir tout
homme déjà engagé qui s'approchait de moi, comment
pourrais-je leur expliquer que mon homme est marié à une
autre et que je continue de l'aimer ?
À Soraya qui m'avait tant supplié d'accorder le bénéfice du
doute à Karim, à maman qui m'avait prévenue que j'allais
trop vite avec Ousmi, à Sita et Adja à qui j'avais vanté les
mérites d'Ousmi et son honnêteté infaillible ? À qui pourrais-
je le dire ? À Rita pour qui notre couple est un exemple, un
modèle ?
Je n'ai rien dit à personne, je me suis contentée d'écrire
mon ressenti sur des feuilles de papier et les brûler une par
une.
Je me contente de pleurer chaque jour trente minutes dans
les toilettes avant de prendre ma douche du soir. Je prie
beaucoup, surtout pour ne pas que cette histoire s'ébruite,
car j'ai peur d'être exposée à la risée du monde.
C'est une situation honteuse pour moi, et je sais que si ça
se découvre, je ne serais plus respectée. J'ai honte de moi-
même et je m'en veux car malgré tout je continue d'aimer
Ousmi. Je continue d'aimer le meilleur ami d'enfance qu'il a
été pour moi, je continue d'aimer ce mari doux et aimant
qu'il sait être.
Je continue d'aimer ce papa extraordinaire qu'il est pour sa
fille. Même si actuellement je déteste le menteur et
manipulateur qu'il a été pour me mettre dans cette situation,
je n'arrête pas d'aimer le garçon fragile et drôle qu'il
continue d'être. Je suis déchirée entre ce qu'il est et les
actes qu'il a posés, et je ne peux pas choisir.
Farah a onze mois à présent et est beaucoup plus proche
de son père. Je vis au jour le jour cette vie de maîtresse,
faisant profil bas et serrant les dents quand je sais qu'il est
chez elle, en espérant que ça ne dure pas trop longtemps et
que je puisse tourner cette page noire un jour.

*
Soraya va se marier ! Elle va épouser Hamid. J'ai beau être
heureuse pour elle, j'ai peur et je m'inquiète. Je ne veux pas
qu'elle souffre, qu'elle ait de mauvaises surprises après le
mariage ou qu'il lui arrive de tristes choses. Je lui ai donné
tous les conseils que je pouvais, je ne peux que prier
maintenant pour que tout se passe bien pour elle.
Une femme amoureuse est impossible à convaincre dit-on,
que pourrais-je donc faire de plus que prier ? Je prie pour
qu'elle ne souffre pas un jour comme j'ai souffert sans
pouvoir lui en parler.
Ousmi est rentré un soir tout joyeux et m'a annoncé qu'Alice
avait décidé de retourner en Australie et qu'elle était enfin
d'accord pour divorcer. Il m'a montré les messages où elle
lui disait avoir tout essayé et qu'elle n'en pouvait plus.
Mitigée, gênée pour elle mais assez soulagée, j'ai soufflé et
accepté que mon cauchemar tirait enfin à sa fin.
Il me fit la surprise de m'emmener à San Pedro le week-end
suivant le départ d'Alice.
Le voyage se fit en avion, on logea à l'hôtel la baie des
sirènes. J'y fis ma première balade en hélicoptère, pour
admirer la beauté de la côte et sa biodiversité. On alla
visiter les piscines naturelles de Tabaoulé, les petites
cascades, le village des pêcheurs et le rocher des
amoureux. On profita des feux de bois nocturnes en
bordure de mer et l'atmosphère s'y prêtait tellement que je
réussis à faire abstraction de tout ce qui s'était
passé. Je lui ouvris à nouveau mon cour et reposai encore
sur lui, mes espoirs d'un lendemain meilleur et sans
embûches.
A notre retour, il m'a acheté une belle voiture neuve. Les
vacances scolaires étant là, j'avais quelques mois pour
apprendre à conduire afin qu'à la rentrée je puisse me
rendre à Adiaké toute seule. Il se proposa de m'apprendre
mais après plusieurs disputes pendant l'apprentissage, il
finit par engager quelqu'un d'autre pour le faire.
Les préparatifs du mariage de Soraya vont bon train. Avec
Sita et Adja, nous faisons toutes les boutiques d'Abidjan à
la recherche des meilleurs tissus pour les vêtements de
Soraya et les nôtres. Nos courses se terminent toujours par
des découvertes culinaires inédites dans les restaurants.
Nous terminons nos plats et discutons un bon moment
avant que je me décide à rentrer chez moi. Je traine un peu
les pas car Ousmi est en voyage pour un séminaire à
Yamoussoukro depuis deux jours. J'arrive à la maison et
Safiatou m'informe que quelqu'un a livré un colis pour moi.
Je me dépêche d'aller voir ce que c'est et je découvre une
magnifique robe rouge de chez Yaba signature. J'en rêvais
depuis quelques semaines. Il y a une carte et un mot. C'est
Ousmi qui m'invite à dîner car il rentre plus tôt que prévu. Je
suis aux anges, je retrouve à nouveau la paix et l'amour
dans mon foyer et je remercie Dieu de m'avoir donné la
force et le courage de traverser ces épreuves et m'en sortir.
J'arrive au restaurant de l'hôtel qu'il m'a indiqué, il
m'accueille comme une reine. Il me dit avoir pris une
chambre afin qu'on puisse y passer la nuit après avoir
mangé. Il a un autre cadeau pour moi qu'il m'offre après le
dîner : un joli collier en or avec un pendentif en perle
authentique. Il me le met au cou et n'arrête pas de me faire
des compliments. Je me sens belle, unique et désirable à
travers ses yeux.
Après avoir fini de diner, nous discutons pendant un long
moment et je demande à aller aux toilettes. J'y vais donc et
en revenant, je rencontre un ami de longue date, voisin de
classe pendant ma formation à L'École Normale
Supérieure. Je m'attarde un peu pour discuter avec lui.
Nous rions tous les deux en revenant ensemble dans le
restaurant puis au moment de le laisser, celui-ci me retient
en me tenant la main et me tend son téléphone pour que j'y
inscrive mon contact. Je n'y trouve pas d'inconvénient, alors
je le fais. Il me serre la main encore une fois et se dirige
vers le Bar où il est attendu. Je me dirige vers notre table.
Au moment où je m'apprête à m'asseoir et lui dire qui j'ai
rencontré, Ousmi se lève brusquement et s'engage vers la
sortie. Paniquée, ne sachant pas ce qui se passe, je me
lève et le suis dehors. Je le retrouve debout devant sa
voiture, le poing fermé. Je ne comprends pas ce qui se
passe.
• Ousmi, qu'est-ce qui ne va pas ?
• Tu te moques de moi, n'est-ce pas ? Tu veux
m'humilier, c'est ça? Eh bien, bravo!
• Mais ... qu'est-ce qu'il y a ? Explique-moi, je ne te
comprends pas, qu'est-ce qui se passe ?
• Monte! On part à la maison.
• Mais ... le restaurant...la chambre
d'hôtel... ?
- J'ai dit monte, on part. Je ne resterai pas une minute de
plus ici. J'ai déjà payé les plats, la chambre j'ai annulé,
allons !
• Mais explique moi au moins ce qui se passe !
• Tu te fous de moi Siamy ! Tu te fous de moi ! C'est ce
que tu as trouvé pour te venger hein, fricoter avec
n'importe qui sous mes yeux, laisser les gens te
toucher n'importe comment comme une vulgaire
prostituée !
Tu oses même rire pendant qu'il te touche la hanche et pour
couronner le tout, tu donnes ton numéro ?
- Mais purée Ousmi, tu n'es pas sérieux là ?
C'est un ami d'école, mon ex voisin. Il avait perdu mon
contact alors je le lui ai redonné et puis, il ne m'a pas
touché la hanche, il m'a seulement serré la main, d'où est-
ce que tu sors ça ?
• Je vous ai vus de mes propres yeux! Ose me dire que
j'ai mal vu.
• Eh ben dis-donc, quel culot ! Tu oses faire le jaloux
après ce que tu m'as fait vivre ? Toi qui trompe ta
femme avec m...
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que la gifle part,
sifflante, brûlante. La violence du coup me fait perdre
l'équilibre et je tombe sur le bitume cassant l'un de mes
talons et frottant mon genou sur le goudron. Je suis
déstabilisée, mon visage me brûle et mon cour bat tellement
fort que je suffoque. Il se rue vers moi et essaie de m'aider
à me relever, je le repousse.
Il n'arrête pas de me répéter qu'il est désolé mais je ne
l'entends plus, mes oreilles bourdonnent encore et les
larmes envahissent mes yeux. Bon Dieu, qu'est-ce qui se
passe ? Qu'est ce qui ne va pas avec nous? Il se met à
genoux et se met à me supplier « je ne sais pas ce qui m'a
pris, je suis désolé, pardonne moi, je suis désolé...».
Certaines personnes s'approchent de nous et me
demandent pardon sans même demander ce qui se passe.
Je ne réponds pas mais je finis par me relever et monter
dans la voiture pour rentrer à la maison avec lui.
Le mariage de Soraya est dans deux jours et j'ai prévu aller
passer ces jours avec elle. J'ai fait mes affaires et celles de
Farah et nous sommes parties avec Safiatou.
J'ai passé plus de deux semaines sans adresser la parole à
Ousmi. Cette fois-ci, j'ai carrément quitté notre chambre
pour dormir avec Farah dans la sienne. Pauvre Safiatou, j'ai
pris sa place dans le lit et lui ai donné une couette pour
dormir par terre. Je n'en reviens toujours pas qu'il m'ait
porté main, même si ce n'est qu'une gifle. Il s'excuse depuis
chaque jour et se fait tout petit dans la maison mais j'ai peur
que ce ne soit le début de quelque chose de mauvais. Je
me remets à peine de sa trahison avec l'autre qu'il vient en
rajouter avec de la jalousie mal placée. Lui qui n'a toujours
pas divorcé et qui n'arrive pas à me dire concrètement ce
qui se passe avec cette femme depuis son retour en
Australie, est très mal placé pour se plaindre du fait que je
donne mon numéro à un ami.
Chaque jour, il me glisse des mots et des cartes sous la
porte de la chambre de Farah avant d'aller au travail. Il
ramène les friandises et des en-cas que j'adore et me fait
parfois livrer des fleurs. J'ai l'impression qu'au-delà du fait
de s'excuser sincèrement, il pense que les cadeaux
peuvent tout changer, ce qui n'est pas le cas. J'ai besoin
d'être rassurée qu'il ne le fera plus jamais.
J'ai besoin d'une assurance, d'une garantie, n'importe
laquelle.
Cette nuit, je l'ai entendu pleurer dans la chambre et j'ai
beau faire la dure, ça m'a fendu le cœur. J'ai eu envie d'y
aller et de le prendre dans mes bras. Safiatou l'a aussi
entendu et avec la mine triste elle m'a dit ce matin « tantie
s'il te plaît, il faut pardonner à tonton, à cause de Dieu... ».
Le grand jour est enfin arrivé, je me suis réveillée aux côtés
de ma petite sœur chérie.
Nous avons prié ensemble puis pris le petit déjeuner. La
maquilleuse et la coiffeuse sont arrivées quelques temps
plus tard et avec maman, nous avons tout mis en place
pour qu'elle soit prête à temps pour la mosquée.
Elle est si belle et rayonnante que nous ne pouvons nous
empêcher de verser quelques larmes. Bilal, qui a dû rentrer,
nous taquine en disant que Soraya et moi avons décidé de
nous marier exprès à deux ans d'intervalle juste parce qu'il
nous manque et qu'on veut le faire venir à Abidjan. On en
rigole tous.
Après la lecture coranique d'ouverture, L'imam débute la
cérémonie avec des conseils puis un prêche sur
l'importance du mariage, les responsabilités des époux et
l'importance du pardon dans la vie de couple. Son
enseignement me touche profondément. Je jette un coup
d'œil dans la rangée des hommes et mes yeux croisent
ceux d'Ousmi, qui semble verser des larmes.
Après la mosquée et les photos, nous arrivons au lieu de
réception. Les mariés font leur première entrée et nous
dansons un peu avec eux avant de faire une haie autour
d'eux et les admirer célébrer. Ils sont si beaux !
Je me rappelle de mon jour et de combien j'étais heureuse
d'épouser Ousmi. J'aimerais tellement pouvoir effacer tout
le négatif que nous avons vécu
pour ne garder que le positif. J'aimerais tellement qu'on
efface tout le mal et que notre quotidien ne soit que
bonheur !
Il s'approche et m'invite à danser, je ne refuse pas, je lui
prends la main et nous nous suivons sur la piste de danse.
L'ambiance me fait oublier un peu nos déboires, nous rions,
chantons et dansons.
Et je peux voir de la fierté dans les yeux de nos proches, je
peux voir de l'admiration des gens envers nous mais aussi
de l'envie et de la jalousie de certaines personnes. Ce
moment me donne envie de consolider ce couple, de faire
durer cet amour que nous ressentons l'un pour l'autre, de
préserver notre mariage et notre foyer.

C'est déjà la rentrée et je suis heureuse de retrouver mon


travail, mes collègues, Maya et Madame Milanne. J'arrive à
bien conduire mon véhicule. Je fais donc le long trajet toute
seule maintenant. Farah et Safiatou restent à la maison et
j'avoue que le trajet avec Rita me manque à cause de ses
causeries toujours intéressantes.
Mais j'aime beaucoup le fait de pouvoir aider des personnes
en les prenant sur mon chemin. Je m'arrange à prendre
généralement des femmes qui vont dans ma direction. J'ai
peur de prendre des hommes que je ne connais pas
personnellement car on ne sait jamais.
Je me sens plus en en sécurité avec les femmes, surtout
les mamans qui partent ou reviennent des champs ou du
marché.
Maya s'est installée à Abidjan pour continuer ses études
universitaires, elle a laissé son fils à sa mère, madame
Milanne.
Mr Fancy est sorti de prison après avoir purgé sa peine de
deux ans et demi. Il a été radié de l'effectif des professeurs
du lycée et Milanne ne veut plus le voir mais il se permet
quand même de venir au lycée de temps en temps et
surtout, il réclame la garde de son fils.
Sa femme quant à elle a écopé de huit ans de prison ferme
et n'est même pas encore à la moitié de sa peine. J'imagine
qu'il se fera le plaisir de chasser de nouvelles conquêtes
librement. Pauvre femme qui s'est noyée dans sa propre
urine !
Soraya ne se porte pas très bien, je décide de cuisiner un
petit plat pour elle et le lui apporter. Elle s'est installée à
Port-Bouët, non loin de l'aéroport alors elle est maintenant
plus proche de moi que de maman. Je termine ma cuisine
et je range tout dans mon coffre, je donne des instructions à
Safiatou avant de prendre mon sac et mes clefs. Je
m'installe confortablement et au moment de démarrer, je
réalise que quelque chose ne va pas. Je descends vérifier
et me constate que j'ai un pneu crevé. Je soupire
longuement puis je pars chercher un taxi finalement.
J'arrive chez Soraya et lui dépose son repas dans la
cuisine. Nous papotons dans sa chambre un long moment
avant qu'Hamid n'arrive. Il n'est pas seul, il est avec Abdul
Karim. Le reste de la discussion se passe à quatre, dans
une ambiance bon enfant. Après la prière de dix-huit heures
trente, je demande à rentrer. Je compte aller chercher un
taxi mais Karim propose de me raccompagner. Je refuse
mais Hamid et Soraya insistent alors je ne finis par
accepter.
Karim me dépose devant le portail, il ouvre son coffre pour
que je puisse récupérer mes assiettes. Nous nous disons
au revoir de la main, il me lance une vanne et j'éclate de
rire. Je reste
debout devant le portail, le regardant rejoindre sa voiture et
s'en aller.
J'entre et je vais déposer les assiettes dans la cuisine.
Farah sort de sa chambre et cours vers moi, je la prends
dans mes bras et lui fais des câlins. Elle retourne à ses jeux
et je me dirige vers ma chambre quand je vois Ousmi entrer
dans le salon en trombe. Je me dis qu'il doit avoir la
diarrhée pour marcher aussi vite vers la chambre sans
même saluer. Je m'apprête à lui poser la question sur un
ton moqueur quand il arrive à mon niveau et me tire par le
bras vers la chambre. Il pousse la porte derrière lui et elle
claque violemment.
Je n'ai pas le temps de lui demander ce qui se passe qu'il
me pousse contre le mur. Ma tête cogne le porte manteau
et j'étouffe un cri, il avance vers moi, furieux, les poings
serrés. Les coups pleuvent, s'abattent sur moi. J'ai juste le
temps de croiser les bras au-dessus de la tête pour me
protéger mais ils ne me protègent pas contre les coups de
pieds et coups de genoux dans mes côtes ni contre les
objets qui volent, se brisent sur le mur et dont les débris
versent sur moi. Mes mains ne me protègent pas contre les
injures, la douleur, les déchirures de ma peau et les
déchirements de mon cœur.
Entre deux sanglots, j'ai seulement le temps d'entendre «
foutaises ... Le sénégalais...
tromper.ex..tuer.»

Chapitre 8
Maya est assise en face de moi et me tient la main, son
regard est triste et larmoyant.
Dehors, Farah et Curtis, le fils de Maya, jouent avec
Safiatou. Je les entends rire, courir et crier de joie. Comme
j'aimerais revenir à ces moments d'enfance où l'innocence
de nos gestes était belle ! Comme j'aimerais ne plus avoir
toutes ces responsabilités, ne pas avoir à affronter les
lourdes réalités de la vie d'adulte et tout le corollaire de
souffrance qui accompagne cette vie. Je voudrais pouvoir
courir dans les herbes comme avant, à la recherche de
jolies sauterelles, m'extasier devant les fleurs et les
papillons, rouler dans le sable et dans les flaques d'eau en
riant.
J'aimerais courir dans la savane comme autrefois, jouer à
cache-cache avec mes amis, grimper sur le cou de mon
père et danser de joie face aux bons plats de ma mère.
J'ai l'impression que, maintenant adulte, les choses n'ont
plus la même saveur ni la même beauté à nos yeux. Les
choses ne sont plus aussi magiques quand on grandit, on a
l'impression que la vie qui nous est offerte a été diluée et
n'est plus qu'une pâle copie de tout ce qui existait dans
notre enfance.
Je ne sais pas trop comment ni pourquoi, mais Maya a
recommencé à sortir avec Fancy à l'insu de sa mère. Elle
m'a même confié qu'elle s'était rendue plusieurs fois à la
Maison d'Arrêt et de correction d'Abidjan (MACA) pour le
voir lorsqu'il y était encore détenu. Elle n'a connu et ne
connaît que lui en tant qu'homme, et elle a beau vouloir
suivre les conseils
de sa mère et s'éloigner de lui, elle n'y arrive pas. Elle rêve
d'un monde où ils pourraient vivre ensemble avec leur fils,
elle n'arrive pas à lui en vouloir pour ce que sa femme et
ses belles soeurs lui ont fait, elle l'aime malgré tout.
J'aurais voulu lui dire d'arrêter tout ça et que ce n'était pas
sain encore moins correct, j'aurais voulu pouvoir lui hurler
dessus, lui demander d'ouvrir les yeux parce que cet
homme ne fera que lui gâcher la vie davantage. J'aurai
aimé la mettre face à un miroir et lui montrer les cicatrices
encore visibles de son agression, de ce qu'elle a subi ce
soir-là pour Fancy et lui dire qu'il n'en vaut vraiment pas la
peine. Mais je n'ai rien pu lui dire. Peut-être parce que moi
aussi, j'en suis à rêver d'une vie où Ousmi ne serait pas ce
menteur, manipulateur et violent homme que je découvre.
Peut-être parce que moi non plus je n'arrive pas à cesser
d'aimer quelqu'un qui me pousse vers ma perte.
Toutes les deux nous rêvons d'offrir à nos enfants une vie
avec leurs pères, dans une famille soudée et heureuse
même si la réalité se charge de nous montrer que nous
avons choisi à ses enfants, des pères avec qui ces rêves
seront difficiles à réaliser. Mon souhait en ce moment est
que rien de tout ce qui s'est passé ne soit vrai.
J'imagine un monde où Ousmi ne m'a pas battue, deux fois.
Un monde où il ne m'a pas menti et fait de moi une seconde
épouse, pire, une maîtresse. Un monde où il n'est pas si
jaloux et si impulsif. Un monde où il est seulement doux,
généreux, attentionné et drôle. J'imagine ce monde où le
Ousmi de mon enfance serait encore là et ne serait pas
cette pâle copie que la vie d'adulte m'a donné.
Mais je ne fais qu'imaginer parce que regarder la réalité en
face fait très mal.
Maya et moi nous tenons les mains, tristes, fatiguées et
malmenées par la vie. Nous essayons de trouver en nous,
la force de faire face à nos démons.
Je suis retournée dans ma petite maison au lycée depuis
presque deux mois. J'ai pris quelques affaires et je suis
venue, avec Farah et Safiatou. C'était le seul endroit où je
pouvais trouver refuge après ce qui s'est passé. Si j'avais
su que Ousmi prendrai si mal le fait que Karim me
raccompagne, je serais descendue beaucoup plus loin et
j'aurais marché pour atteindre la maison. Je me suis dit que
cette histoire de jalousie était derrière nous. Il sait que je l'ai
choisi lui et pas Karim. Il sait que jamais je ne ferais quoi
que ce soit qui puisse mettre notre relation en danger, mais
la colère a eu raison de lui. Il s'est emporté et j'ai fini avec
une côte brisée, un oeil au beurre noir, des déchirures, des
contusions et des hématomes partout.
Je saignais déjà du nez et du front quand Rita et Safiatou
ont commencé à taper la porte en hurlant. Il a donc ouvert
et est parti.
Rita m'a conduite à l'hôpital et j'ai dû mentir aux médecins
j'avais été agressée par un groupe de jeunes voyous en vue
de me voler mon téléphone. La dame qui m'a soignée ne
m'a pas crue mais vu que j'insistais sur ma version des
faits, elle n'a rien dit. En partant, elle m'a remis un
prospectus que j'ai juste glissé dans mon sac sans le lire.
Une fois à la maison, j'ai pris mes médicaments et je me
suis couchée.
Bizarrement, j'ai eu très mal physiquement mais je n'ai pas
senti cette douleur morale désagréable ressentie la
première fois qu'il a osé lever la main sur moi. C'était
comme si au fond de moi, je savais qu'il le referait et que
mon esprit s'était préparé à cela. C'était comme si mes
limites avaient été repoussées au point où cette bastonnade
avait été acceptée par mon corps comme étant quelque
chose de normal. J'ai ressenti de la peine pour moi mais
aussi pour lui. Je sais qu'il a de plus en plus de mal à
contrôler ses accès de colère.
Je sais aussi qu'il regrette très profondément juste après et
qu'il s'en veut à mort. J'aurais tellement voulu pouvoir l'aider
à y voir plus clair et trouver une solution.
Lorsqu'il est rentré le lendemain, tête baissée, regard fuyant
et les yeux bouffis, il m'a annoncé qu'il avait pris rendez-
vous avec un psychologue et qu'il comptait se soigner, afin
de ne plus jamais recommencer. Il s'est affalé par terre et a
pleuré pendant près d'une heure. Il avait peur de me perdre,
peur que je ne le quitte pour Karim, peur que je lui arrache
son enfant disait-il. Il pleura comme un gamin puis prit
quelques affaires et s'installa à l'hôtel pour quelques jours,
pour me laisser du temps pour réfléchir.
« Siamy, je sais qu'il a très mal fait de te battre ainsi et ce
n'est pas normal mais il t'aime ! Tu sais, les hommes se
laissent trop souvent guider par leur ego. Il était en
compétition avec ce type avant de t'épouser, il sait que tu
étais amoureuse de ce monsieur et il ne se sent pas en
sécurité face à lui.
Le fait que tu sois restée avec lui dans son véhicule à rire et
discuter jusqu'à venir garer devant ton portail est un
manque de respect envers ton mari. À quel moment tu
ramènes ton ex chez toi en tant que femme mariée ? Je ne
dis pas qu'il devait te taper pour ça, mais comprends que tu
as un peu mal agit aussi et que le
diable a profité de sa faiblesse pour vous conduire à cette
situation. Prends le temps pour y réfléchir mais s'il te plaît,
n'abandonne pas ton foyer pour ça. Il regrette
profondément, vous pouvez encore arranger les choses ».
C'est le discours que m'a tenu Rita lorsque je lui ai expliqué
ce qui s'est passé. Je ne lui ai pas dit que c'était déjà la
deuxième fois et que cette fois était beaucoup plus violente
que la première fois. J'ai cru en ce qu'elle a dit, je me suis
sentie un peu coupable de tout ça. Je n'ai pas réussi à trop
lui en vouloir, malgré moi.
J'ai juste eu peur qu'il n'arrête plus et que cela devienne
notre quotidien.
Il est revenu quelques jours plus tard et nous avons
longuement parlé. Je lui ai fait part de mes craintes et pour
me rassurer, nous sommes allés voir un thérapeute
ensemble le lendemain. Je suis ressorti de là avec
beaucoup d'espoir et j'ai médité longuement sur mon sort.
J'ai fini par me dire que Dieu me mettais à l'épreuve parce
que j'avais eu l'habitude d'avoir le cour dur et être
intransigeante sur beaucoup de choses.
Je devais apprendre à être plus souple, à pardonner, à
comprendre les autres et les aider. Je voulais donc aider
Ousmi à aller de l'avant, à guérir et à changer.
Cependant, malgré les séances qu'il me disait faire chez le
thérapeute, un mois jour pour jour après, il a recommencé.
Il ne m'a pas vraiment agressé cette fois-ci mais il a encore
eu un gros accès de colère pendant lequel il a lancé des
objets au mur et cassé des verres.
Les morceaux de verre brisé ont blessé Farah.
C'est après cela que nous avons décidé que je vienne
m'installer à Adiaké pour quelques mois avec Safiatou et
Farah.
C'est en fouillant dans mon sac à la recherche d'un carnet
que je suis tombée sur le prospectus reçu à l'hôpital le jour
de l'incident. Le prospectus était celui d'une association qui
lutte pour les droits des femmes et contre les violences
basées sur le genre (VBG), appelée "La Ligue ivoirienne
des droits des femmes". J'ai longtemps regardé ce bout de
papier sans vraiment savoir quoi en faire. En quoi est-ce
que ces gens pouvaient m'aider ? Sauraient-ils faire
changer Ousmi et le soigner ? Pouvaient-ils m'offrir un foyer
harmonieux et la paix dans ma vie ?
C'était tout ce que je voulais et rien d'autre.
J'ai quand-même gardé ce papier dans mon portefeuille et
enregistré le numéro dans mon téléphone, tout en espérant
ne pas avoir besoin de les appeler un jour.
Nous sommes là depuis plus de deux mois et Ousmi passe
très souvent, pour nous voir et passer du temps avec Farah.
Lorsqu'il vient, il est toujours superbement habillé et
parfumé et a toujours un petit cadeau, pour moi et pour
Farah. Il reste souvent très tard et nous bavardons, au clair
de lune, devant la porte jusqu'à ce que les chats de nuit et
autres animaux nocturnes cessent de hurler et laissent
place au silence de l'aube naissante. Il a déjà insisté pour
passer la nuit, quelques fois. Mais j'ai toujours poliment
refusé. Toujours, jusqu'à il y a deux semaines où je n'ai pas
pu résister. Mon corps privé de douceur et de câlins depuis,
j'étais à fleur de peau. Il a su appuyer là où il fallait, dire ce
qu'il fallait, murmurer à mon oreille comme il sait si bien le
faire et toucher à ce qu'il fallait pour me faire perdre le
contrôle.
Tôt le lendemain, il est parti et je ne m'en suis pas vraiment
voulu car il est toujours mon époux. Et même si j'aurais
voulu que les choses se passent autrement, je suis toujours
amoureuse de lui, toujours aussi accro à lui et j'ai toujours
aussi envie de lui lorsqu'il est près de moi.
Mon travail est la meilleure chose que j'ai dans ma vie en ce
moment et je m'y donne à fond. Je revis presque toutes ces
choses que je vivais ici lorsque j'étais encore célibataire
mais cette fois, j'ai ma fille auprès de moi et un mari qui
essaie d'être présent pour moi. Je sais qu'on ne va pas
rester éternellement ici et qu'il va falloir un jour où l'autre,
que je rentre à la maison. Mais pour le moment, j'essaie de
soigner mon coeur et penser à autre chose.

Nous sommes assis sous un cocotier non loin de la mer, les


vagues font un bruit très apaisant et le vent est d'une
fraîcheur extrême. Il n'y a pas de soleil et le temps est un
peu gris. Une fine pluie vient de cesser, laissant derrière
elles l'humidité et l'odeur du pétrichor mêlée à la brise
marine. Je ne sais pas trop comment je me sens, bien ou
mal, heureuse ou malheureuse, je suis juste là. Un peu
inquiète, oui, mais pas assez pour prendre une décision
radicale, ce qui me fait un peu peur, j'avoue.
Ousmi quand à lui, est heureux, le visage illuminé, un
sourire béat posé sur le visage depuis quelques minutes. Je
viens de lui annoncer que je suis de nouveau enceinte.
J'ai négligé d'aller faire mon injection le trimestre dernier, je
me suis dit que j'allais prendre des pilules journalières en
attendant mais j'ai plusieurs fois oublié d'avaler ces
comprimés. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. C'est
une grossesse gémellaire et je vais avoir besoin de
beaucoup de soin et de soutien. Je sais qu'il est capable de
me donner tout le soutien du monde, capable de prendre
soin de moi comme d'un œuf, de me veiller et me soigner,
de gérer tout à la perfection jusqu'à ce que j'accouche. Mais
je sais aussi qu'il peut basculer à tout moment et faire une
bêtise qui peut nous coûter cher.
Je me demande si je dois lui faire confiance et retourner à
la maison. Je n'y arriverai pas seule je le sais, j'ai besoin de
lui mais en même temps, j'ai peur.
Nous discutons pendant des heures durant lesquelles il ne
fait que me rassurer, me donner des garanties et me jurer
des choses.
Je décide finalement de rentrer à la maison avec lui, en
priant pour que tout se passe bien.
Soraya nous a invitées, Sita, Adja, les autres cousines et
moi à faire une balade lagunaire pour nous détendre un
peu. Je ne pensais pas que ce serait aussi intéressant mais
j'ai découvert beaucoup de choses et d'endroits que je ne
connaissais pas, grâce aux guides.
On a eu droit à des cocktails et des amuses bouches. Adja
nous a raconté les épisodes délirants de son frère Tega et
on n'a pas arrêté de rire. Mon coup de cour fut la visite du
cimetière des bateaux. J'ai aussi aimé l'île boulay et je me
suis promis d'y revenir pour un week-end, avec Ousmi.
J'ai annoncé ma grossesse à maman et à Soraya et elles
en ont été très heureuses. Au fond de moi, j'ai eu envie de
leur raconter les épisodes malheureux vécus avec Ousmi il
n'y a pas si longtemps mais j'ai fini par me dire que ça n'en
valait plus la peine, vu que les choses semblent rentrer
dans l'ordre.
Ousmi
a
reçu certains documents
concernant son divorce avec Alice et il m'a dit qu'il devait
peut-être aller bientôt à Londres. Je n'aime pas l'idée qu'il y
retourne, surtout si elle doit le retrouver là-bas pour finaliser
tout ça. Mais, je préfère cela au fait qu'elle revienne à
Abidjan. Car me savoir dans la même ville qu'elle me donne
des sueurs froides et le sentiment d'être menacée chaque
seconde. Je me demande parfois ce qu'elle ressent, si elle
l'aime autant ou plus que moi, si elle souffre de cette
séparation...
Prier pour que quelqu'un divorce n'a jamais fait partie des
choses que je pensais pouvoir faire un jour dans ma vie.
Mais je suis là, à essayer de protéger ma petite famille. À
essayer de sauver mon mariage et préserver mon cœur,
saturé par cet amour incommensurable que je ressens pour
Ousmane. Alors je prie, pour que cette femme s'en aille et
s'éloigne de nous même si au fond de moi, je ressens
quand-même un pincement, une culpabilité.
La Massiami fougueuse, dure, à cheval sur ses principes et
ses codes n'est plus que cette femme blessée par la vie
que je suis devenue.
Le temps m'a fait comprendre que les choses ne sont pas
toujours comme on les imagine.
J'ai compris que c'est un peu trop facile de faire des
déclarations sur l'honneur quand on est encore jeune, belle
et ambitieuse.
Quand on a encore les seins bien galbés, la peau douce et
le ventre plat. Quand on sait encore rêver et qu'on a assez
d'énergie pour oser sauter au-dessus du monde et toucher
les étoiles. Puis le temps passe et la vie nous épuise, on se
retrouve dans des situations dans les-
quelles toutes les choses auxquelles on aurait pensé avant
ne nous viennent plus à l'esprit.
On rencontre un homme qu'on pense avoir toujours connu
et qui a été là pour nous dans les moments les plus
importants de notre vie. Un homme qui nous connaît mieux
que quiconque, qui nous fait rire et qui prend soin de nous.
On se dit au'on a trouvé le bon car il correspond à nos
attentes et à nos standards. On se dit qu'on a fait le bon
choix, alors on aime sans réserve parce que l'amour se
donne lui-même sans la permission du coeur. On lui fait des
enfants en sacrifiant notre corps et en risquant notre vie car
un amour sans fruit est souvent comme une rivière sans
poissons. Notre corps change, on prend ou on perd du
poids, les vergetures s'installent, les traces d'opérations, les
déchirures du périnée et les seins tombés nous rappellent
chaque jour notre sublime sacrifice.
On s'investit dans cette mission de construction du bonheur,
on crée une vie équilibrée à laquelle on s'habitue avec cet
homme. Et lorsqu'on s'y attend le moins, un comportement,
un acte, des paroles ou des actions inattendues surgissent
au sein de notre havre de paix. On pense aux années
passées à se déshabiller chaque jour devant ce seul
homme et lui offrir chaque recoin de notre peau et chaque
cellule de notre corps. Aux années passées à partager les
mêmes habitudes avec lui, chaque matin et chaque soir,
aux années passées à l'aimer chaque jour un peu plus. On
ne peut certainement pas tout balayer du revers de la main
aussi facilement. Alors on se dit que ces actes et ces
actions sont des erreurs, des faux pas, qui seront bientôt
derrière nous.
Honnêtement, partir dès les premiers coups, les premières
infidélités, les premiers mensonges et les premiers mauvais
traitements, est presqu'impossible. Nous restons, croyant
fortement que ce sera cette seule fois et que ça va s'arrêter.
Nous restons, espérant que ce soit une secousse à laquelle
nous devons résister. Nous restons parce qu'on n'a ni
l'envie ni la force de retourner là où nous étions quelques
années auparavant. Parce qu'on ne sait plus comment vivre
seul, sans cette famille. On ne sait plus comment vivre sans
cette personne auprès de nous et ses habitudes ancrées en
nous.
On dit souvent que l'homme propose et que Dieu dispose.
Mais parfois, l'homme propose et Dieu s'oppose. D'autres
fois encore, l'homme rêve et Dieu en rit.
Dans ces cas-là, ce n'est pas toujours évident de dire qu'on
reste sur nos principes, car on finit souvent par ne même
plus en avoir.
Il est dix-sept heures lorsque je sors du supermarché, je
suis aidée par un vigile pour soulever mes courses. Nous
arrivons à ma voiture et j'ouvre le coffre, il dépose les
cartons et place les sacs de course par-dessus.
Je referme soigneusement le coffre avant de fouiller dans
mon portefeuille pour lui offrir un billet en guise de
reconnaissance. Il me remercie en se baissant plusieurs
fois et en posant la main sur le coeur, puis finit par s'en
aller. J'entre dans la voiture pour me poser quelques
minutes et me reposer avant de reprendre la route. Je suis
en train de défiler sur les réseaux sociaux lorsque j'entends
tapoter sur la vitre. Surprise, je me dis que c'est sûrement le
vigile qui revient, j'ai dû oublier quelque chose.
Je lève la tête et j'aperçois une femme, vêtue d'un tee-shirt
noir et d'une casquette noire.
Elle a une frange assez fournie sur le front et des lunettes
de soleil. Elle me fait des signes de la main et je n'arrive
pas à déterminer ce qu'elle veut et ce qu'elle dit. Sans
arrières pensées, j'ouvre alors la portière et je sors du
véhicule pour mieux l'écouter. C'est une fois debout en face
d'elle qu'elle retire ses lunettes de soleil. Elle me fixe, du
haut vers le bas et du bas vers le haut. Ça y est, je la
reconnais ! Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. J'ai
envie de fuir mais je ne peux pas, je suis collée à la portière
de ma voiture et elle est en face de moi, très proche.
Elle est imposante, effrayante, intimidante.
Je tremble un peu mais j'essaie de ne pas le laisser
paraître. Je ne sais pas quoi dire, je me contente de
l'observer comme elle m'observe. J'ai perdu mes moyens,
je ne veux surtout pas de scandale, nous sommes dans un
lieu public et les gens ont trop la caméra facile en ces
temps, ils ne ratent aucune occasion d'animer leurs réseaux
sociaux avec des choses sensationnelles, quitte à
outrepasser les règles de vie en société ou la bienséance
entre humains. On ne tarde pas à devenir une bête de foire
si on a le malheur de faire des his- toires au mauvais
endroit, au mauvais moment. Je m'apprête à ouvrir ma
portière et retourner dans ma voiture sans un mot
lorsqu'elle me retient brusquement le bras. Sa pression sur
mon bras est très forte, je ne peux pas me dégager.
Elle a énormément de force. Pourtant vue en photos, elle
semble si douce ! Je ne l'ai aperçue qu'une seule fois en
vrai et elle était bien loin de moi pour que je puisse autant
remarquer les traits de son visage. Je lui demande de me
lâcher.
Elle fait un sourire, presque effrayant, comme celui des
psychopathes dans les films.
• Tu as cru que nos chemins ne se croiseraient jamais
hein, sale traînée !
• Lâchez-moi Madame, lâchez-moi!
• Tu veux que je hurle? On peut faire un gros scandale
si tu veux, les gens seront sûrement ravis d'apprendre
que tu te tapes le mari d'une autre. Moi, je n'en ai rien
à foutre!
• Qu'est-ce que vous me voulez?
• Je veux que tu laisses Ousmane tranquille !
C'est moi sa femme. Tu m'entends ? Il est marié bordel! Il a
deux enfants.
- Je suis aussi sa femme Madame. Nous avons une fille et
je vais bientôt avoir des jumeaux. Je me fiche de ce que
vous êtes pour lui. Je suis sa femme, il m'a épousée et je
n'ai aucun compte à vous rendre.
Maintenant lâchez-moi.
• Ces enfants ne sont pas de lui ! Tu n'es rien de plus
qu'une sale maîtresse, une profiteuse, une salope qui
cherche juste à se servir dans ses poches. Tu es le
genre de fille légère à la cuisse facile qui l'ouvre
facilement devant des expatriés en espérant un avenir
meilleur. Mais vous n'aurez rien de lui, toi et tes
têtards. Que vos parents l'aient forcé à te doter contre
son gré ne garantit rien et ne fait pas de toi son épouse
non plus. Tu n'auras rien du tout, tu m'entends ? Tu
iras chercher les pères de tes bâtards ailleurs. Et je te
préviens, quitte le pendant qu'il est encore temps, ce
sera mieux pour ta gueule.
Ousmane vous a dit qu'il a été forcé de m'épouser ?
- Qu'est-ce que tu crois ? Écoute, nous sommes rentrés
ensemble de Londres et pour de bon cette fois-ci. Je
compte m'installer ici et je ne suis aucunement disposée à
le partager
avec qui que ce soit. Je sais me battre, et si c'est ce que tu
veux, eh bien, que la meilleure gagne.
- Lâchez-moi Madame !
Elle me relâche aussi violemment qu'elle m'a attrapée. Elle
sort une cigarette de sa poche et l'allume avec un briquet
qu'elle tient en main, elle tire dessus et relâche la bouffée
de fumée sur mon visage. Elle se rapproche de moi jusqu'à
me coincer la tête sur la vitre du véhicule. Je ne peux pas
bouger.
- Je ne te préviendrai pas deux fois.
Ousmane sait déjà de quoi je suis capable et je pense que
tu le sauras, à tes dépends. On ne détruit pas le foyer de
tout le monde, on ne touche pas à la famille de tout le
monde.
Si tu as des doutes, moi la toubab, je te montrerai de quoi je
suis capable.
Elle me pousse la tête et au moment où je m'y attends le
moins, elle appuie sa cigarette sur mon cou et me brûle. Je
pousse un cri et je la repousse de toutes mes forces. Elle
fait quelques pas en arrière et se met à ricaner.
Elle jette ensuite la cigarette par terre et se met à shooter
mes phares arrière en me traitant de traînée et de
prostituée. Je me précipite dans ma voiture et condamne
les portières avant de démarrer. Je la vois courir à sa
voiture, un grand 4x4 gris.
J'ai l'impression qu'elle me poursuit, je roule à vive allure et
je suis tellement bouleversée que je pleure. Les larmes
embuent mes yeux, je les essuie tout en essayant de voir
dans le rétroviseur si elle me suit toujours. J'arrive à un feu
tricolore et le feu passe au rouge, je suis obligée de
m'arrêter. Quelques secondes plus tard, elle me percute
violemment par derrière
puis grille le feu et passe devant moi pour s'en aller en me
sortant le doigt d'honneur.
Je suis sidérée, retournée. Je cherche un endroit où me
garer et je respire quelques minutes. La frayeur passée, la
colère commence à faire surface. Une rage s'empare de
moi, j'essaie d'appeler Ousmi mais il ne répond pas au
téléphone. Je fonce directement à la maison.
Lorsque j'arrive, il est en train de cuire un plat dans la
cuisine, Safiatou et Farah sont sur la terrasse. Je suis
tellement en colère que je ne salue personne, je fonce
directement sur lui.
• Menteur ! Tu n'es qu'un sale menteur et manipulateur !
Égoïste! Méchant!
• Mais qu'est-ce qui se passe bébé ? Qu'est qu'il y a ?
Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il y a ? l y a que tu m'as
menti ! Tu ne comptes pas divorcer d'Alice, au contraire, tu
comptes l'installer ici, avec vos enfants. Et tu as osé lui dire
qu'on t'avait obligé à m'épouser ! Tu as osé lui dire que je
ne suis là que pour l'argent et que mes enfants ne sont pas
de toi ! Qui es-tu Ousmane ? Je ne te connais pas, tu n'es
qu'un sale monstre !
• Oh oh oh, tu te calmes là, qui t'a raconté des inepties
pareilles ?
• Qui ? Eh bien c'est elle-même ! Ta première dame
blanche comme neige, c'est elle-même
• Elle est métisse, pas blanche. Et puis ce ne sont que
des conneries tout ça, tu sais qu'elle veut nous nuire !
• Je m'en fous ! Et pourquoi tu ne m'a pas dit que vous
êtes revenus ensemble de Londres ? Tu m'as fait
croire qu'elle était restée là-bas et que le divorce
suivait son cours. Qu'elle repartait même en Australie
alors qu'elle est ici depuis tout ce temps ?
C'est quoi tous ces mensonges ? Oh mon Dieu ! Ousmane
que t'ai-je fait ? Et en plus de me menacer, elle m'a
agressée ! C'est une psychopathe!
• Elle ment ! Elle ne t'a raconté que des mensonges !
Je m'en fiche ! Tu sais quoi ? Je vais porter plainte contre
elle ! De ce pas ! Elle a osé poser les mains sur moi,
regarde mon cou, regarde ! Elle m'a brûlé avec une
cigarette et elle m'a tordu le bras, elle m'a aussi cogné la
tête contre la vitre de ma voiture. Je vais porter plainte.
• Hey Siamy, tu n'iras nulle part. Tu vas juste te calmer
OK? Je vais arranger ça!
• Tu vas arranger quoi ? Tu vas effacer ce qu'elle m'a
fait ? Tu m'énerves ! Je vais au commissariat.
Je tourne les talons pour sortir quand il me rattrape et me
tient par le bras.
- Tu es folle ? Ça ne va pas chez toi ? Tu n'iras nulle part
j'ai dit !
Tu vas te calmer et aller dans la chambre tout de suite!
- Lâche-moi Ousmane, lâche-moi ! Je vais porter plainte
contre vous deux ! Contre vous deux tu m'entends ? Lâche-
moi!
Je me mets à le taper de toutes mes forces, avec le seul
bras libre qui me reste. Il me soulève et me porte sur son
épaule, il compte aller me déposer dans la chambre,
comme un vulgaire petit objet. Je me débats, je le tape et je
crie. Quand il arrive devant la porte de la chambre, ne
pouvant plus me débattre et le taper plus fort, je le mords à
l'épaule, si fort qu'il me laisse tomber. Mon front cogne la
porte et je tombe sur mon ventre. Je me mets à pleurer.
Il me gifle à plusieurs reprises et me tire cette fois par les
cheveux.
• Tu m'as mordu? Nom d'un chien ! Siamy tu es malade
? Tu es dingue ?
• Je t'emmerde Ousmane ! Lâche-moi! Salaud! Il me
soulève et me jette sur le lit.
C'est comme si quelques minutes auparavant je n'étais pas
tombée sur mon ventre, comme s'il ne voyait pas que la
porte avait ouvert mon front et que je saignais déjà, comme
si y ajouter des gifles et me tirer par les cheveux étaient des
choses anodines. Je ne ressens pas vraiment de douleur
mais de la colère et de la rage. Il essaie de me taper encore
lorsque je m'empare de la veilleuse au chevet du lit et que
je lui tape sur la tête.
Il hurle et tombe à son tour. Je saute du lit pour voir s'il est
évanoui mais il se lève brusquement et m'attrape par la
gorge. Il essaie de m'étrangler avec une main, mais sa main
tremble. Il finit par me lâcher.
Je me réfugie dans le coin du lit, transpirant et tremblant
comme une feuille. Il se lève difficilement, ramasse ses clés
et son portefeuille et sort de la chambre, ensuite de la
maison.
J'entends Farah hurler au salon, elle pleure, Safiatou aussi.
Cette fois-ci, aucun voisin n'est venu s'enquérir de la
situation. Rita étant en voyage depuis des semaines pour
une formation hors du pays, je sais que personne ne
viendra.
Safiatou se précipite dans la chambre, je la vois s'élancer
vers moi mais mes forces m'abandonnent, puis c'est le trou
noir.
A peine quelques minutes après, j'ouvre les yeux. Safiatou
m'a aspergé d'eau froide.
J'essaie de reprendre mes esprits, je me rends compte que
je saigne encore du front et que le sang me coule dans
l'oeil. Safiatou part me chercher une serviette que je pose
sur la plaie. Je dois me rendre à l'hôpital, je pense que
j'aurais besoin de quelques points de sutures. J'essaie de
me lever, c'est pénible. Je commence à ressentir la douleur
dans tous mes muscles et dans ma chair. Je range mon sac
avec mes effets importants, je prends de l'argent et je confie
la maison à Safiatou. Je marche péniblement vers le salon,
mais juste après quelques pas, je sens quelque chose
couler entre mes jambes. C'est comme si je perdais les
eaux, mais ce n'est pas possible ! Je ne suis qu'à six mois
de grossesse, je ne peux pas être en train de perdre les
eaux. Je demande à Safiatou de m'aider à atteindre les
fauteuils dans le salon. Je réussi à m'asseoir mais la
douleur irradie tout mon corps, parcourt mes jambes et se
ressent fortement jusqu'au bout de mes orteils. Je n'ai
jamais ressenti pareille douleur. Ce n'est pas une
contraction et je ne sais absolument pas ce que c'est mais
j'ai mal, horriblement mal. Je suis tombée sur le ventre et
après tout ce que j'ai subi après je sais que quelque chose
ne va pas et que c'est grave. Je me mets à pleurer, je
panique, j'ai l'impression d'être en train de perdre mes
bébés et je suis bouleversé à cette idée. Je prends mon
téléphone et la première personne que je pense à appeler
c'est Ousmi.
Rita n'est pas là et je ne peux pas appeler Soraya encore
moins ma mère, pour ne pas avoir à m'expliquer. Je lance
son numéro et il sonne dans le vide, je me résigne à lui
envoyer un message pour lui dire que j'ai besoin qu'il me
conduise à l'hôpital, en espérant que ce message le fasse
revenir.
Dix minutes passent et il ne fait aucun signe, la douleur
devient de plus en plus forte et à présent, il y a du sang
mêlé aux fluides que je perds.
Désespérée et ne sachant quoi faire, l'idée me vient à
l'esprit de contacter la ligue ivoirienne des droits des
femmes. Je lance instinctivement le numéro sans vraiment
savoir à quoi m'attendre, j'ai juste besoin d'aide. À peine le
téléphone sonne une fois
que quelqu'un décroche immédiatement
• Allô ? Bonsoir Madame, c'est la ligue ?
• Oui Bonsoir, ici Marie Paule Okri, responsable des
interventions sociales de la Ligue, que puis-je faire
pour vous ?
• heu, suis Massiami Traoré, j'ai eu une altercation
violente avec mon époux tout à l'heure, je suis enceinte
de six mois et actuellement je suis très mal en point. Il
est parti de la maison et j'ai urgemment besoin de me
rendre à l'hôpital. J'ai mal et je saigne actuellement,
pouvez-vous m'aider s'il vous plaît ?
• OK, donnez-moi votre localisation actuelle, vous êtes
où ?
• Je suis à Bassam, quartier France
• D'accord, je vous rappelle dans quelques minutes,
veuillez rester près du téléphone
• Aidez-moi s'il vous plaît
• Ne vous inquiétez pas madame, je vous rappelle tout
de suite.
• Elle raccroche et pour dire vrai, j'ai peur.
• Safiatou est inquiète, elle a mis Farah au dos et fait
des allers-retours auprès de moi.
• Elle me demande si elle doit sortir chercher de l'aide
chez les voisins, je lui demande d'attendre, si dans
quelques minutes la dame ne me rappelle pas, on
avisera. La dame rappelle quelques minutes plus tard
et m'informe qu'une ambulance vient me chercher, elle
me demande de lui partager ma position GPS sur
WhatsApp.
• Elle m'informe ensuite que deux bénévoles vivant non
loin de chez moi arrivent vers moi en suivant ma
position sur le GPS.
• Cing minutes plus tard, je reçois un coup de fil, les
bénévoles sont devant chez moi.
• Safiatou va leur ouvrir. Elles me retrouvent allongée
par terre sur mon côté, essayant de contenir la
douleur. Elles se présentent :
Roxane et Fleur- Candice. Elles essaient de discuter avec
moi pour comprendre ce qui s'est passé, elles me
rassurent, m'encouragent à tenir bon, le temps que
l'ambulance arrive. Roxane appelle plusieurs fois sa
supérieure pour savoir où en est l'ambulance. Je l'entends
parler de la police et je prends peur. Je lui demande de ne
pas appeler la police, elle me rassure en me disant qu'elle
ne contacte pas la police mais que l'ambulance a été
déployée grâce à la plate-forme "police secours " sur
Facebook.
Une demi-heure plus tard, l'ambulance est là. Elles m'aident
à me lever et les ambulanciers me déposent sur une civière
avant de me transporter à l'intérieur. Ils s'occupent de moi.
Les filles montent avec moi pour m'assister.
L'ambulance roule à vive allure et je souffre le martyre.
Au fur et à mesure que nous avançons, la douleur devient
de plus en plus vive et insoutenable. Et je ne sais presque
plus où j'en suis lorsque nous arrivons à l'hôpital.
On m'installe dans la salle d'accouchement.
Les médecins entrent et sortent. Je suis ausculté très
rapidement mais je sais que ma situation est critique, à la
mine grave qu'ils affichent et toutes les messes basses
qu'ils font.
Un médecin vient me faire des points de suture sur le front.
Je me rends compte que je saigne de plus en plus de
l'appareil génital. Le gynécologue en chef vient quelques
temps plus tard et m'informe de la situation : j'ai un
décollement partiel du placenta, une hémorragie au niveau
de l'utérus et ma poche utérine s'est rompue, le liquide
amniotique a coulé et il n'y en a plus suffisamment pour
permettre aux enfants de vivre. On doit me faire une
césarienne d'urgence pour tenter de nous sauver tous les
trois. Les chances sont minces pour les enfants car ils sont
très en dessous du poids et de la maturité nécessaire à leur
survie.
Mais le plus important pour les médecins est de sauver ma
vie alors ils vont le faire malgré les risques. Je n'arrive pas à
encaisser le choc. C'est trop lourd, trop douloureux, trop
invraisemblable. Quelques heures plus tôt, j'étais tranquil-
lement en train de faire mes courses au supermarché et
chantonner dans les rayons. Quelques heures plus tôt,
j'avais acheté une paire de jolis chaussons bleus turquoise
pour mes jumeaux, j'allais les ajouter à toutes ces choses
que j'ai déjà achetées pour eux. Et me voici, en train d'être
préparée pour le bloc, risquant de les perdre à tout instant,
risquant de moi aussi mourir ici.
La seule chose qui me vient à l'esprit en ce moment, c'est la
culpabilité. Je culpabilise de m'être mise dans cette
situation et d'avoir mis la vie de mes enfants en danger à
cause de la colère. Pourquoi ai-je tenté de me battre avec
Ousmi sachant de quoi il est capable ? Pourquoi est-ce que
je n'ai juste pas obéi ? Pourquoi est-ce que je n'ai pas pu
me calmer et que je l'ai mordu ? Je culpabilise.
La douleur me tenaille tellement que j'implore Dieu afin
qu'on me mette rapidement sous anesthésie. Je n'en peux
plus de souffrir. Je veux qu'on sauve mes enfants même si
je dois y rester. Mais en même temps, je pense à Farah et
j'ai peur.
À qui vais-je la laisser si je pars ? Qu'est-ce que Ousmane
fera d'elle ? J'ai peur, je prie, je pleure. J'ai mal, je crie de
douleur. Je pense à mon père, je me demande s'il aurait pu
me protéger contre tout ça ? S'il était encore vivant, la vie
m'aurait-elle infligé tout ça?
Je pense à ma mère qui ne sait absolument rien de mes
souffrances, et je pense à Farah, à qui j'ai donné la vie et
que je ne suis pas capable de protéger. Je me mords les
doigts et replis mes orteils en me concentrant sur moi tant la
douleur est atroce. Mes larmes ont coulé sur ma tempe et
ont mouillé mes cheveux avant de terminer leurs courses
derrière mes oreilles. Il fait nuit noire dehors et je me
demande si je verrais encore le soleil, tandis qu'on me
conduit au bloc opératoire.
J'ouvre lentement les yeux, je suis en salle de réanimation.
Je regarde autour de moi et je vois des personnes un peu
loin de moi dans leurs lits. Aucune d'entre elles ne bouge.
J'ai l'impression glauque d'être dans une morgue, entourée
de cadavres, mais ce n'est pas le cas. J'essaie de lever la
tête mais je n'y arrive pas. J'ai le vertige et je suis prise de
nausées. Je ne sais pas comment faire.
Un agent de santé, un peu vieux, entre dans la salle et
remarque que je bouge. Il vient à mon chevet et me
demande si ça va. Je lui chuchote que j'ai la nausée. Il me
dit que c'est normal. Il appelle et une jeune dame m'apporte
un pot pour y régurgiter. Après quelques minutes, je me
sens mieux même si je suis très faible et fatiguée. J'essaie
de leur demander si mes enfants vont bien mais ils n'ont
malheureusement aucune information sur cela. Le monsieur
me touche les pieds et me demande de les bouger. J'y
arrive alors il demande à ce qu'un brancardier vienne me
chercher pour m'installer dans la chambre d'hospitalisation.
Une fois dans la chambre, je vois mon sac et mes affaires
personnelles déjà posés. Je suis fatiguée, le soleil
commence à peine à se lever et ses petits rayons encore
froids, percent un peu à travers la vitre de la fenêtre.
Je suis sous perfusion, les médicaments et anti douleurs
sont lourds et vu mon état de fatigue, le sommeil vient
instantanément. Je m'endors profon- dément.
Je me réveille en sursaut et je pousse un cri, suant et
tremblant. J'ai fait un horrible cauchemar où je voyais mes
fils m'être arrachée par une main invisible qui me disait que
je ne les méritais pas. J'ai essayé de me battre de toutes
mes forces mais la main était trop forte et moi trop faible. Je
les tirais vers moi et ils pleuraient. Je n'ai pas réussi à les
retenir et je me suis réveillée en sursaut lorsqu'ils ont été
arrachés et aspirés dans un tourbillon sombre et sans fin.
Je me réveille les larmes aux yeux et j'essaie de me
redresser quand quelqu'un se précipite vers moi : c'est
Ousmi. Il me tient les mains et me demande de me calmer,
il pose un baiser sur mon front et me répète plusieurs fois «
ça va aller ma chérie, ça va aller, tu t'en sors bien, t'inquiète
pas, tout ira bien ...». Je respire profondément et je me
calme. Lorsque je réussi à reprendre mon souffle, je lui
demande doucement de s'éloigner de moi. Je n'ai aucune
force et je peux ni le repousser violemment, ni le taper alors
je le supplie, les larmes aux yeux, de me laisser. Il s'excuse
et s'éloigne un peu, tire une chaise et se met à une bonne
distance de moi tout en m'observant
• Je suis soulagé que tu aille mieux
• Tout est de ta faute !
• Je le sais mon cœur, je suis si désolé...
• Je veux voir mes enfants. Je n'ai pas de nouvelles
depuis, je veux les voir.
• Mon cœur, il faut que tu sois forte, la vie appartient à
Dieu, c'est lui qui décide de ce qu'il nous donne ou
pas. Écoute, nous avons perdu l'un des jumeaux...
• Non, non ce n'est pas possible non....
• Il était déjà mort lorsqu'on l'a sorti, je suis vraiment
désolé.
• Tu l'as tué, c'est toi, c'est toi qui l'a tué !
• Ne fais pas ça mon amour, ne dis pas ça s'il te plaît,
j'en souffre aussi. Tout ça n'était qu'un malheureux
incident, on a été tous les deux inconscients mais rien
ne peut empêcher le destin, c'était le destin...
• - Sors d'ici Ousmane, je ne veux plus te voir !
• - Je comprends ton désarroi chérie, je comprends ta
peine, mais laisse-moi rester près de moi, laisse-moi
pleurer avec toi et t'aider. Nous devons surmonter ça
ensemble.
• - Mais qu'est-ce que tu racontes ? Non de Dieu, je
veux que tu sortes, que tu dégages de là, que tu
disparaisses de ma vue !
• J'éclate en sanglots, il essaie de venir vers moi mais je
me recroqueville sur moi-même et me couvre la tête
avec le drap, il reste debout au-dessus de moi à me
frictionner le dos et me caresser pendant que je pleure.
Je veux qu'il parte et qu'il me laisse mais apparemment
c'est trop lui demander.
• La tristesse d'avoir perdu mon bébé, la culpabilité
envers moi-même et la colère que j'ai envers lui me
déchirent les entrailles mais le fait qu'il ne veuille pas
me laisser seule comme je le demande me blesse
encore plus.
Je n'ai aucune once de force pour le pousser en dehors de
la chambre, Je suis trop fragile et mon incapacité me
désole. Il reste penché au-dessus de moi, à me caresser à
travers le drap et je suis outrée, blessée, diminuée dans ma
personne et profondément blessée qu'il fasse cela alors que
je suis en colère contre lui et que tout ce que je lui demande
est de me laisser en paix.
Quelques minutes après, une infirmière vient annoncer que
j'ai de la visite. Croyant fortement que c'est ma mère ou
Soraya, je me relève et me redresse. Ousmi m'informe alors
qu'il n'a prévenu aucun membre de ma famille pour l'instant,
je suis sous le choc.
L'infirmière revient avec mes visiteuses qui ne sont autres
que les membres de la ligue ivoirienne des droits des
femmes. Les bénévoles qui m'ont conduite à l'hôpital,
Roxane et Fleur- Candice, ainsi que celle que j'ai eu au
téléphone, la responsable Marie-paule Okri et une autre
qu'elles me présentent comme étant la présidente de
l'association, Meganne Boho. Elles s'installent et Ousmi est
un peu obligé de sortir, enfin. Il
m'informe qu'il part de ce pas prévenir mes parents. Je suis
soulagée qu'il s'en aille.
Les filles me présentent leurs condoléances et me
consolent. Je les prends dans mes bras à tour de rôle pour
leur dire merci puis je m'effondre. Elles restent là et
m'encouragent à pleurer afin de me libérer. Je pleure
pendant un bon moment avant de me calmer. Elles me
donnent des conseils et m'expliquent la procédure à suivre
si je souhaite porter plainte contre Ousmi et se proposent
de m'aider dans les démarches nécessaires. Je leur
réponds juste que je ne souhaite pas porter plainte pour le
moment et que je veux juste pouvoir guérir et sortir d'ici
avec mon fils avant de penser à autre chose. Je leur
explique que c'était une bagarre dont je suis aussi
responsable et que le fait que je sois tombée sur mon
ventre était un accident et que c'était aussi un peu de ma
faute. J'ai besoin d'y voir un peu plus clair et je ne veux pas
prendre de décision que je vais bientôt regretter.
À la mine qu'elles font, je sais qu'elles sont déçues et en
même temps inquiètes pour moi. Malgré tout, elles me
soutiennent et me proposent un suivi gratuit avec un
psychologue spécialiste afin que je puisse y voir plus clair.
Chose que j'accepte en promettant de les contacter dès ma
sortie de l'hôpital. Elles restent longtemps auprès de moi et
partagent avec moi des mots et des gestes qui me
marquent profondément. C'est si soulageant de parler à des
personnes qui me comprennent, des personnes qui savent
réellement ce que je vis et qui non seulement savent
écouter mais savent aussi poser des mots apaisants sur
mes plaies. Elles me rassurent et me rappellent que je ne
suis plus seule.
Je suis si épuisée de garder mes peines pour moi et de ne
rien dire à ma mère et ma sour mais en plus, de devoir faire
semblant face à elles. Je suis si désemparée qu'elles ne
voient pas ce que je cache et qu'elles se contentent de ce
que je leur montre. Parfois, je leur en veux. De ne pas voir
au-delà de ce que je montre, de ne pas me démasquer
facilement et essayer de me sauver. Je leur en veux de ne
pas mieux m'observer, de ne pas être aussi présentes dans
ma vie qu'elles le devraient. Je me disais qu'elles me
connaissaient beaucoup plus que ça et que très vite elles
sauraient que quelque chose ne va pas dans ma vie mais
elles n'ont rien remarqué. Peut-être parce que j'ai trop bien
joué la comédie, peut-être parce que leurs challenges
personnels ne leur permettent pas de se pencher sur autre
chose que leurs propres personnes. Peut-être parce
personne ne peut vraiment briser le masque derrière lequel
nous nous cachons souvent, si nous ne décidons pas de le
faire nous-mêmes. Je sais que je n'ai pas le droit de leur en
vouloir et que c'est à moi de m'ouvrir à elles mais je n'ai
jamais su trouver le bon moment, les bons mots. Je n'ai
jamais su par quoi commencer, comment expliquer,
comment dire. Alors je me tais aussi parce que c'est plus
facile pour moi de cacher tout ça que d'en parler.
Les femmes de la Ligue viennent de me donner un bout de
force par leur présence.
Le fait d'avoir pu m'ouvrir à elles sans être jugée, d'avoir pu
pleurer dans leurs bras, d'avoir pu bénéficier de leur écoute
et de leurs conseils me donne de l'espoir. Je me sens
moins seule, moins perdue, moins incomprise.
C'est le troisième jour d'hospitalisation, je suis restée devant
la couveuse pendant des heures et des heures, assise dans
une chaise roulante. Je ne fais que prier afin qu'il tienne
bon, qu'il s'accroche à la vie, qu'il ne me lâche pas. Hier,
maman et Soraya sont venues me voir, Ousmi leur a dit que
j'ai juste trébuché et que je suis tombée dans la cuisine. Il a
osé leur dire que c'est lui qui m'a conduite à l'hôpital et qu'il
était tellement en panique et mal en point qu'il n'avait pas
pu les prévenir plus tôt. Il s'est montré doux et bienveillant
envers moi en leur présence et je n'ai pas pu leur dire qu'il
mentait, que tout était de sa faute et que je voulais qu'il
s'éloigne de moi. Elles sont restées longtemps auprès de
moi mais je me suis juste contentée de dire « oui, je vais
mieux ne vous inquiétez pas...»
Je suis restée silencieuse, le regard dans le vide. Je me
suis endormie et à mon réveil, elles étaient déjà rentrées
chez elles.
Je suis dans mon lit depuis quelques heures quand je
ressens une forte pression dans la poitrine. Je sais que
quelque chose ne va pas. Je me lève et j'essaie de marcher
un peu dans le couloir quand je vois les infirmières courir un
peu partout. Je me dirige vers la salle des couveuses pour
me rassurer lorsque je rencontre la dame qui s'occupe du
service. À l'expression de son visage, je sais que quelque
chose s'est passé. Je comprends immédiatement lorsqu'elle
vient vers moi et me prend dans ses bras. Je me laisse
choir par terre et elle descend avec moi, me rejoindre au
sol. Je n'arrive pas à respirer normalement, les larmes
envahissent mon visage. Non ! Seigneur, pas lui s'il te plaît !
Pas maintenant, pas après m'avoir donné tout cet espoir.
Oh mon Dieu ! Je ne peux pas supporter ce poids et cette
douleur, je ne peux pas accepter de les avoir perdus tous
les deux ! Je me couche à même le sol carrelé, lisse et
froid. La
douleur secoue mes entrailles et mon cœur se serre
fortement. La chaleur qui remonte en moi est inexplicable,
j'ai l'impression que je vais mourir là sur place. Je suis
secouée par des spasmes. Ousmi n'est pas là, il est parti
depuis des heures et voilà, notre bébé vient de s'en aller. La
dame me tient fortement. Je ne peux pas crier, mon ventre
fraîchement cousu m'en empêche.
Je ressens le mal dans chaque cellule de mon être, comme
si la douleur me coulait dans les veines. Mon enfant est
mort !
Malheur ! Malédiction ! Mes enfants sont morts! J'ai perdu
mes deux garçons, mes jumeaux, moi qui ai tellement rêvé
de les tenir dans mes bras.
Et le pire dans tout ça, c'est que je me sens coupable ! J'ai
l'im- pression de les avoir tué, et je veux mourir, mourir pour
me racheter…
Mes larmes coulent tel un torrent.
Je me sens perdue, déchirée, broyée par la nouvelle. Mon
cour saigne, j'ai horriblement mal. Comment fait-on pour
survivre à ça ? Comment fait-on pour encaisser ça ? C'est
comme si des tonnes de choses lourdes me tombaient sur
la tête et m'écrasaient. C'est comme si l'on m'arrachait les
membres un par un. Je ne sais plus comment on respire,
comment on fait pour sentir son cour battre encore. Je veux
me débrancher et couper tout souffle de vie en moi. Je veux
que ça s'arrête, je veux disparaître pour ne pas avoir à
supporter cette atroce douleur. Je veux arrêter mon cœur
de battre, car je ressens le mal, comme si l'on m'y enfonçait
un poignard brûlant. Existe-t-il plus atroce et horrible
douleur pour une femme que de perdre le fruit de ses
entrailles ? Mes oreilles bourdonnent et mon âme ne me
répond plus…

Les jours passent et s'effacent, les jours passent et se res-


semblent. La vie a repris son cours et j'ai l'impression que
les choses avancent sans moi. C'est comme si j'étais figée
dans le temps, et que le soleil se lève et se couche sans
que rien ne change en moi.
Depuis ma sortie de l'hôpital, je ne n'ai pas réussi à ouvrir
les yeux sur le monde.
Nous sommes sortis de l'hôpital deux jours après le décès
du second bébé. Les démarches nécessaires effectuées,
les corps nous ont été remis. Ils ont été enterrés par les
hommes de la famille dès le lendemain. Je n'ai pas eu le
droit d'y assister. C'est une semaine plus tard que j'ai pu me
rendre sur leur tombe. Je leur ai parlé, j'y ai pleuré tout mon
saoul et leur ai demandé de me pardonner.
Ousmi est resté à la maison et s'il n'était pas là, je crois
sincèrement que je me serais laissé mourir. Il a fait partir
Safiatou et Farah chez ma mère et pendant des jours, il
s'occupait de moi. Je sais que c'était à ses yeux sa façon de
se racheter.
Dès la sortie de l'hôpital, Il me faisait prendre mon bain, le
matin et le soir. Me nettoyais proprement et changeais mes
serviettes périodiques de lochies. Il me faisait mon
shampooing, me peignait les cheveux et me faisait des
nattes. Il s'assurait que je mange, quitte à me forcer à le
faire. Il me faisait prendre mes médicaments, changeait
mes vêtements, me passait ma crème sur le corps et me
parfumait. Il me massait les pieds et me caressait le dos,
me chantait des berceuses et me chuchotait que tout irait
pour le mieux.
J'étais comme un objet inanimé entre ses mains, comme
une poupée à qui on fait la toilette et qu'on habille, pour
mieux jouer
avec.
Depuis que je suis revenue du cimetière, je n'ai plus réussi
à pleurer. J'ai aussi arrêté de parler. Je ne sais pas
pourquoi, ce n'est pas fait consciemment, c'est juste que je
n'y arrive plus. Je ne parle que lorsque c'est nécessaire, le
reste du temps, je reste silencieuse. Le silence et le calme
m'apaisaient jusqu'à ce que je commence à ressentir cette
douleur invisible et inexplicable qui secoue tout mon fort
intérieur sans pouvoir sortir. C'est comme si quelque chose
était retenu captif au fond de moi.
Les jours passent, se ressemblent et s'effacent. La vie a
repris son cours et je suis poussée dans la spirale alors que
je ne suis pas prête à reprendre vie. Alors je ne vis pas, je
survis, je suis en sursis.
Je suis constamment nerveuse et en stress, je ne dors
pratiquement pas et lorsque j'arrive à m'endormir des fois,
ce sont des cauchemars horribles qui me réveillent.
Ousmi vit, comme si tout allait bien. Il est passé à autre
chose, pour lui c'était le destin et rien d'autre, on doit juste
aller de l'avant.
Nous n'avons pas eu de discussion à propos ce soir-là,
nous n'avons pas parlé de ça et il ne s'est pas excusé non
plus. C'est comme s'il avait effacé tout ça de sa mémoire et
qu'il s'est réconcilié avec sa conscience sans m'inclure. Il
chantonne et sourit, il fait la cuisine et s'occupe de la
maison, il part au boulot et revient. Il passe certaines nuits
chez Alice et certaines chez moi, il ne s'en cache plus.
J'ai commencé à chercher le moyen d'étouffer ce malaise et
cette douleur en moi, je voulais pouvoir ressentir quelque
chose de réel et de palpable, pouvoir mettre des mots ou
des res- sentiments précis sur mon mal mais en vain. Je
voulais pouvoir pleurer, faire couler des larmes qui, en
ruisselant, auraient pu emporter un peu de mon chagrin
dans leurs flots et me soulager.
Alors, j'ai commencé à me percer la peau des cuisses avec
des aiguilles. La douleur physique palpable que je
ressentais m'aidait à faire sortir cette douleur morale
invisible qui se cachait en moi. Au début, j'étais soulagée
mais très vite, la douleur devint un peu trop faible pour
m'aider à extérioriser tout ce que j'avais en moi. Alors, ce fut
au tour des lames de rasoirs puis au tour des petits
couteaux de cuisine. Je me coupais, pour que la douleur
puisse me permettre de pleurer, et pour que la première
douleur puisse masquer la seconde qui est beaucoup trop
difficile à gérer.
Les semaines sont passées, lourdes et vides de sens. Les
sourires de Farah m'ont maintenue en vie, la présence de
Safiatou et son aide précieuse m'ont portée. Je n'ai pas
rappelé les filles de la Ligue même si elles m'ont plusieurs
fois relancée pour me mettre en contact avec le
psychologue. Je ne me sentais pas capable de parler, je ne
me sentais pas prête à m'ouvrir. Garder tout pour moi est
devenu mon bouclier, une sorte de carapace de protection
contre le fait d'être heurtée par le monde extérieur.
Je me suis accommodé de ma vie et partager les choses
avec Ousmi est revenu naturellement, comme si j'avais
réussi à enfermer le mal qu'il m'a fait dans un trou perdu,
pour ne garder que le bien à la surface. Je me suis surprise
à échanger des sourires avec lui, des phrases, des
moments. Je me suis surprise à le laisser dormir contre moi
et ne plus le rejeter.
Je me suis surprise à recommencer à l'enlacer, à
l'embrasser. J'ai machinalement recommencé à faire
fonctionner les choses, et à accepter de vivre la vie qu'il
nous offre.
Soraya m'a laissé un message ce matin pour m'inviter à une
sortie à la plage avec les filles. Je lui ai dit que je n'avais
aucune envie de sortir et qu'elles pouvaient y aller
sans moi.
Profondément endormie à l'heure de la sieste, j'ai entendu
toquer à la porte de ma chambre, puis j'ai entendu sa voix.
Je me suis dit que c'était sûrement un rêve, une erreur.
Mais, lorsque ses mains se sont posées sur moi et que j'ai
senti son parfum, j'ai ouvert les yeux: elle était bien là!
• Siamy lève-toi, je suis venue te chercher. Ça va ? Tu
transpires malgré la climatisation.
• Humm, je t'ai dit que je n'avais pas envie de sortir.
Qu'est-ce que tu fais là ?
• Je suis venue avec Adja. Elle est au salon.
Les autres sont déjà sur le lieu, Adja nous emmène avec sa
voiture, lève-toi s'il te plaît.
- Hummm..
Je me lève péniblement et m'assieds dans le lit. J'ai les
yeux bouffis par le sommeil. Je m'étire un moment et baille
puis je descends du lit. Je retire le boubou que je porte et je
tire ma serviette de bain sur le porte manteau pour
l'attacher quand Soraya me la tire subitement des mains.
- Siamy, c'est quoi toutes ces coupures dans ton dos ?
C'est quoi cette cicatrice sur ta côte ? Attend... merde, c'est
quoi sur tes cuisses ?
- C'est rien, redonne moi ma serviette s'il te plaît.
Ne supportant pas son regard sur moi, je saute sur le
premier pagne que je trouve et je le noue sur ma poitrine.
J'ai été vraiment stupide de me déshabiller devant elle,
j'aurais dû aller dans la salle de bain avec mon boubou.
J'avais encore le sommeil dans les yeux, je n'ai pas réfléchi.
Elle se rapproche de moi et me scrute minutieusement de la
tête aux pieds. Elle me fixe gravement et elle a la bouche
ouverte tandis que je sens des larmes envahir ses yeux.
• Siamy, tu te mutiles ! Seigneur...
• Non, arrête s'il te plaît Soraya, va au salon, je te rejoins
quand j'aurai fini de prendre ma douche.
Oh mon Dieu ... pourquoi je ne suis pas venue plus souvent
te voir ... pourquoi je suis presque toujours restée au salon
..pourquoi même lorsque j'avais l'impression que tu n'allais
pas bien je me suis gardée de te poser la question..
pourquoi je n'ai pas su voir tout ça...
A présent, les larmes ont inondé son petit visage, elle me
regarde et je sens de la pitié dans son regard, chose que je
ne veux pas, je lui demande de sortir. Elle fait mine de sortir
et tourne les talons mais elle se dirige vers la porte pour la
fermer à clé et retirer la clé.
• Personne ne va sortir de cette chambre tant qu'on n'en
aura pas parlé.
• Et si je ne veux pas en parler ?
• Tu as trois cicatrices sur le front qui montrent
clairement que tu as été suturée.
Je l'ai remarqué à l'hôpital quand tu as perdu les enfants, tu
t'étais endormie pendant qu'on était là maman et moi, ça
m'a intrigué mais je n'ai pas pu te demander, ce n'était pas
le bon moment. Ensuite, j'ai hésité plusieurs fois avant de
finir par laisser tomber. Tu avais aussi une brûlure au cou,
je t'ai beaucoup observé pendant que tu dormais ce jour-là.
Tout à l'heure, j'ai vu une longue cicatrice dans ton dos et
aussi sur ta côte, comme quelqu'un qui a eu une côte
cassée et qu'on a ouvert pour réparer, je connais ça, je suis
du corps médical. Les coupures sur tes cuisses je sais que
c'est de la mutilation et que tu peux t'infliger cela si tu es en
pleine dépression. J'en ai déjà vu, mais le reste il faut que
tu m'expliques.
・...

• Tu as fait un accident de voiture ? Il t'est arrivé quelque


chose et tu ne nous as pas informées?
• Soraya... je n'ai pas envie de...
• Ousmane te bat ....
• Je n'ai pas dit ...
• Tu n'as pas besoin de le dire ça saute aux yeux! Oh
mon Dieu ! Il te bat depuis le début ?
J'essaie de parler mais mes mots se bloquent dans ma
gorge et le sanglot que j'essaie de retenir depuis
m'échappe, j'éclate, submergée par tout ce que je ressens.
- C'était lui, la fameuse chute dans la cuisine qui t'a fait
accoucher à six mois. C'était lui la brûlure sur ton cou ... il
t'a même cassé une côte ! Oh mon Dieu...
- La brûlure ce n'était pas lui...
Elle s'approche de moi et me prend dans ses bras, je pleure
silencieusement. Pour la première fois depuis très
longtemps, j'arrive à pleurer sans me couper, sans me
déchirer.
Au bout d'un moment, elle sort expliquer à Adja que je ne
me porte pas très bien et qu'elle va finalement rester avec
moi.
Adja vient avec elle pour me faire un coucou à travers la
porte et pars. Lorsque je retrouve mes esprits, je lui
explique les choses qui se sont passées, comme je les ai
vécues. Je lui parle d'Alice et du fait qu'elle m'ait agressée.
Elle pleure, triste pour moi mais aussi en colère contre moi.
Elle ne comprend pas pourquoi je n'ai rien dit depuis le
début.
Elle ne comprend pas pourquoi je ne l'ai pas quitté,
pourquoi je continue de vivre avec lui comme si tout allait
bien. Elle veut que je prenne mes affaires et que je quitte la
maison sur-le-champ avec mon enfant.
Mais je pense que ce n'est pas juste et que ce n'est pas le
moment. J'aurais peut-être dû partir à la première gifle, ou
encore le jour où il m'a brisée la côte à cause de Karim.
J'aurais dû partir après la perte des enfants, dire la vérité,
me libérer et partir. Mais comment partir maintenant, alors
que le temps est passé sur tout ça et que les choses
semblent aller bien ? Que dire pour partir alors que ce matin
il m'a embrassé avant de sortir, tout heureux ? Ai-je moi-
même vraiment envie de me retrouver seule, sans lui ? Ai-je
la force de partir ? Partir est tellement difficile! Et je ne peux
pas le faire comme ça, parce
que Soraya me le demande. Nous pleurons toutes les deux,
moi soulagée d'avoir pu parler, et elle impuissante face à
mon sort.
Nous restons toutes les deux jusqu'à la tombée de la nuit.
Je reçois un message d'Ousmi me disant qu'il ne rentrera
pas ce soir. Soraya appelle Hamid et l'informe qu'elle va
rester dormir avec moi.
Assise devant la télévision, je regarde Farah en train de
danser et reprendre les chansons de ses personnages de
dessins animés préférés. Elle sautille un peu partout et
n'arrête pas de me demander de la regarder alors que c'est
déjà ce que je fais. Safiatou fait des allers retours de la
cuisine au salon juste pour regarder Farah et rire d'elle.
Elles ont une si belle complicité ! Et Farah qui ne cesse de
grandir. Elle va bientôt aller à l'école et je sais qu'elle
comprend énormément de choses maintenant. Je voudrais
préserver pour elle, cet environnement joyeux et cette
atmosphère familiale dans laquelle elle s'épanouit tant.
J'ai énormément parlé avec Soraya ces derniers jours et
elle insiste pour que je m'en aille. J'ai l'impression qu'elle ne
m'écoute pas vraiment, elle a juste peur pour moi et me
veux le plus loin possible de cette maison.
Je la comprends, la Massiami d'avant aurait pensé pareil,
mais ce n'est pas si simple.
Je lui ai demandé de ne rien dire à maman mais c'était au-
dessus de ses forces. Elle n'a pas pu se taire, elle lui a tout
dit. Maman a voulu débarquer à la maison mais j'ai réussi à
la calmer et je suis allée la voir chez elle pour qu'on en
parle. Depuis, elle me met aussi la pression pour que je
prenne une décision. Dire que j'ai envie de divorcer serait
un mensonge, je
n'en ai pas envie. Malgré moi et malgré tout, j'aime encore
Ousmi. J'aime encore son sourire et ses rires, j'aime encore
ses blagues pourries, sa douceur et ses attentions. Sa
façon de me toucher, de connaître mon corps, de me
procurer du plaisir. J'aime ses baisers, ses petites
morsures, sa langue, sa voix.
Il m'arrive de le détester pour tout ce qu'il m'a fait, il m'arrive
d'avoir peur qu'il recommence. Il m'arrive de stresser et de
le maudire pour la présence d'Alice dans nos vies, pour ses
mensonges et beaucoup plus encore. Mais, il m'arrive aussi
d'avoir des frissons et de la tension dans le corps juste
parce qu'il est près de moi. Il m'arrive d'avoir pitié de lui,
d'avoir envie de le protéger, d'avoir besoin de lui. Je n'arrive
pas à imaginer cette vie où je le quitte, demande le divorce
et me retrouve seule. Cette vie où je me languis de lui, où je
n'arrive pas à l'oublier, où je n'arrive pas à aller de l'avant et
que je continue de souffrir.
Elles me demandent de partir mais elles ne comprennent
pas. Je suis habituée à cette vie, habituée à lui, à nous. Ce
"nous", avec lui, moi et Farah. Ce "nous" avec cette maison,
nos corvées, nos fous rires, notre présence et cette chaleur
dans le foyer. Je ne veux pas disloquer ce "nous".
Une fois que j'aurais divorcé elles vaqueront à leurs
occupations et je serai toute seule avec mon chagrin, seule
face à mes sentiments, face à mon échec, face à mes
démons. Je ne veux pas me battre, je n'ai pas assez de
force pour ça. Je veux juste que la vie me porte et que
temps panse mes plaies, qu'Alice disparaisse et qu'Ousmi
change pour de bon. Je veux qu'on vieillisse ensemble tous
les deux et qu'on fasse fonctionner tout ça.
Je ne veux pas partir et recommencer, même plus tard,
avec quelqu'un d'autre.
Et même si je pars un jour, qui sait ? je
ne suis pas sûre de vouloir recommencer. Je ne pense pas
pouvoir le faire. Je suis déjà fatiguée et le divorce est une
bataille que je n'ai pas envie de mener.
Farah et Safiatou sont allées passer le week-end chez Sita
dont le fils fête son anniversaire. J'ai décidé de préparer un
dîner aux chandelles pour Ousmi et moi.
La cuisine terminée, j'ai fait la table et tout rangé. Je me
suis faite belle, j'ai mis de l'encens dans la maison, je me
suis parfumée et j'ai mis une belle robe. J'ai même mis du
maquillage pour paraître différente, pour changer. J'ai envie
de plaire, j'ai envie de voir ce regard de fauve qu'il a
souvent lorsqu'il succombe de désir. J'ai envie d'entendre
ces petits mots, ces compliments qui te font sentir comme la
reine du monde. Cette sensation inexplicable d'être objet de
désir, d'être convoitée, d'être le centre de son monde.
Je regarde sans cesse la montre, il m'a promis d'être là ce
soir, il me l'a promis.
J'ajuste ma robe de temps en temps et jette des coups
d'oeil au portail pour voir s'il n'apparaît pas. Je suis surprise
par le bruit que fait le portail quand je le vois arriver.
Je sursaute, inquiète et un peu déboussolée.
Pourquoi entre-t-il avec autant de fracas ?
Qu'est-ce qu'il y a ? Je suis tentée d'aller lui sauter au cou
mais la crainte m'en empêche, je veux être sûre qu'il n'est
pas encore en colère avant de tenter quoique ce soit.
Je le salue avant qu'il n'arrive à mon niveau
• Bonsoir bébé, j'ai fait un bon dîner pour nous. J'espère
que tu vas bien, bienvenue....
• Siamy, tu veux me quitter ?
• Mais ... que ... Quoi? Non... regarde, je me suis faite
toute belle pour toi..
• Tu te fous de moi hein ... dit-il sur un ton désagréable
que je ne connais que trop.
Je commence à trembler, non ça ne va pas recommencer.
Je réfléchis à quoi lui répondre quand il se précipite
brusquement sur moi, je l'esquive de justesse et il se
retrouve par terre. Il se relève aussi vite alors je cours
jusqu'à la chambre de Farah, il me poursuit mais j'arrive à y
entrer et refermer la porte avant qu'il ne me rattrape. Je ne
comprends pas ce qui se passe, je suis anéantie, moi qui
avait imaginé une belle soirée.
Il se met à taper à grands coups sur la porte et à hurler : &
tu es méchante Siamy, tu n'es qu'une égoïste ! Tu es une
mauvaise femme! Une mauvaise épouse ! Sors, sors de
là ! »
Je lui réponds à travers la porte que je ne sortirais pas tant
qu'il ne sera pas calme parce que je ne sais pas ce qui se
passe et je n'ai pas envie de me battre ou de me faire
battre. Il tape encore plus fort, disant que je l'ai humilié en
allant raconter tous nos problèmes de couple à ma famille,
que je l'ai sali en racontant des choses horribles sur lui, que
je ne l'aime plus et que je veux le quitter pour un autre. Il dit
que ma mère est passée le voir à son bureau, qu'elle lui a
dit des choses blessantes et qu'elle lui a dit que j'allais
divorcer. Il veut que je sorte lui dire en face que je veux
divorcer. Il me traite de traînée, de mauvaise épouse et de
commère qui ne sait pas se taire. Je reste derrière la porte,
je ne lui réponds plus mais je pleure, blessée par ses mots.
A cet instant précis, j'en veux à ma mère d'avoir créé tout
ça, je m'en veux d'avoir parlé à soraya, j'en veux à Ousmi
de ne pas comprendre, j'en veux à la vie, j'en veux au
monde entier, j'en veux même à Dieu.
Je reste derrière la porte à pleurer jusqu'à ce qu'il s'en aille.
De peur de le rencontrer dans la maison, je ne sors pas de
la chambre jusqu'au lendemain, sans manger et sans boire.
Le lendemain matin, c'est sur la pointe des pieds que je
sors, inspectant chaque endroit en espérant qu'il ne soit
plus là.
Heureusement pour moi, je découvre qu'il est vraiment
parti. C'est à ce moment que j'arrive à souffler un peu.
Deux jours plus tard, il rentre avec un grand bouquet de
cent roses rouges, un gigantesque gâteau, un coffret de
montre de luxe et un nouveau téléphone de dernière
génération pour se faire pardonner. Il s'excuse à genoux,
les mains sur les tempes en guise de supplications.
J'accepte de lui parler. Je lui explique comment il m'a fait
peur, comment je n'ai pas fermé les yeux de la nuit à force
de penser à chaque instant qu'il pourrait me faire du mal. Je
pleure, il se met à pleurer aussi, me prends dans ses bras
et me promet, encore une énième fois, que ça n'arrivera
plus. Mais je sais que ça arrivera encore, car il n'a aucun
contrôle sur cette partie de lui-même.
Nous avons emmené Farah au parc et nous avons joué
avec elle toute la matinée.
Nous sommes rentrés l'après-midi et elle est directement
allée faire sa sieste. Ousmi et moi avons pris notre douche
ensemble et partagé le repas dans la bonne humeur.
Nous sommes ensuite restés au lit et avons fait l'amour
plusieurs fois avant de nous endormir dans les bras l'un de
l'autre. Je suis encore profondément endormie lorsque des
cris me tirent de mon sommeil. Ousmi n'est pas auprès de
moi et c'est sa voix que je crois entendre dehors, ainsi que
celle de Farah qui pleure. Je me lève nonchalamment et me
noue un pagne sur la poitrine avant de sortir. Je crois
entendre une voix étrangère, venant de la terrasse. Au fur
et à mesure que je me rapproche, je me rends compte que
ce sont des disputes. Je suis surprise de tomber sur Alice,
tenant les cols d'Ousmi et vociférant des paroles peu
commodes à son égard. Safiatou tenant Farah à bout de
bras, qui pleure sans cesse. Choquée, je ne sais que dire,
je me demande ce qu'elle fait là. Dès qu'elle me voit, elle
dirige directement ses injures vers moi. Je demande à
Ousmi de la faire sortir de chez moi. Je prends Farah et je
demande à Safiatou de me suivre dans la maison. Je me
réfugie dans la chambre.
Après plusieurs minutes, elle finit par se taire et sortir.
Ousmi revient dans la chambre, s'habille et prends
quelques affaires ainsi que ses clés, il m'embrasse et me dit
qu'il part régler la situation et qu'il revient. Je ne lui réponds
pas. Il sort après elle et ferme le portail.
Je reste couchée avec Farah, je lui chante une chanson
pour qu'elle se calme, des larmes s'échappent doucement
de mes yeux, je respire profondément et j'essaie de faire
comme si rien ne s'était passé. Farah finit par s'endormir
contre moi. Sa douceur et son parfum m'apaisent. L'écouter
respirer me soulage et petit à petit, je finis par me rendormir
aussi.
Je suis couchée et Ousmi entre en trombe dans la
chambre, il hurle des choses que je ne comprends pas,
comme s'il parlait une langue étrangère. Farah n'est plus là
et ma chambre est très sombre. Il se précipite sur moi et me
saisit le cou de ses deux mains et commence à m'étrangler.
Il me serre le cou très fort, j'essaie de me dégager mais je
n'y arrive pas. Je ne respire plus, mon souffle se coupe et je
sens mon sang bouillir dans ma tête. La pression est si forte
que mes yeux sortent de leurs orbites.
Ousmi a les yeux rouges, très rouges. Ses nerfs se
dessinent sur son visage et du sang se met à sortir de ses
yeux. Je n'arrive pas à hurler, je transpire à grosses gouttes
et juste au moment où je sens la mort venir et m'emporter,
je crie et j'ouvre les yeux: c'était un cauchemar.
Je suis tombée du lit et je transpire énormément, j'ai encore
du mal à reprendre mon souffle mais je me rends compte
que c'était un mauvais rêve et je suis soulagée d'être
encore en vie. Je regarde Farah toujours couchée sur le lit
et je me demande si c'est réellement cette vie que je veux
lui offrir.
Mon téléphone sonne, je me relève péniblement et je le
récupère sur la table de chevet.
Le numéro est
vraiment curieux. Je décroche
• Allô?
• Oui Bonsoir Madame, Massiami Traoré?
• Oui c'est bien moi.
• C'est le chef de la brigade de recherche d'Abidjan,
chargé des enquêtes. Connaissez-vous monsieur Sylla
Ousmane ?
• Oui, c'est mon époux.
Heuu mon compagnon, pourquoi ?
• OK vous devez vous rendre dans nos locaux dans les
plus brefs délais pour un interrogatoire.
• C'est à quel sujet monsieur ?
• Monsieur Sylla vient d'être mis aux arrêts pour meurtre
sur la personne de madame
Alice Riley Rogers....
Je n'ai pas le temps de saisir la suite de sa phrase, le
téléphone me tombe des mains...

Chapitre 9
La climatisation de la salle me fait trembler de froid. Mais je
pense que la peur et l'inquiétude extrême y sont pour
beaucoup aussi. Je suis là depuis une demi-heure déjà et
j'ai l'impression d'avoir passé une éternité dans cette salle.
J'ai appelé la présidente de la Ligue pour lui expliquer la
situation, elle m'a donc mis en contact avec la responsable
juridique, MIle Goli, qui a pu me rassurer et m'orienter.
Celle-ci a même pu parler à l'agent qui m'a reçue et à
présent, j'attends qu'il revienne me chercher pour
l'interrogatoire. Je suis stressée et déboussolée mais
j'essaie de ne pas le laisser paraître. En sortant, j'ai
demandé à Safiatou de faire ses valises et celles de Farah
et j'ai demandé à Soraya de passer les chercher et de les
emmener chez elle. Je ne sais pas combien de temps je
ferais dans cet endroit, j'ai promis lui expliquer lorsque
j'aurais terminé.
Les mains moites et tremblantes, j'observe les agents
autour de moi. Certains, clapotant sur leurs ordinateurs,
d'autres faisant des tirages sur les imprimantes, d'autres
encore au téléphone, certains concentrés à écrire dans des
blocs notes... ils ont tous l'air si grave et sérieux. Un agent,
très grand et assez baraqué sort de l'une des salles, un
bout de papier à la main et plusieurs badges lui pendant au
cou. Il prononce mon nom et directement, je me lève pour
lui faire face. Il me fait signe de le suivre.
Nous sommes assis l'un en face de l'autre dans une petite
salle très éclairée. Deux gardes en tenues sont postés
devant la porte avec des armes. Il me fait lire et signer un
document puis commence à m'interroger:
• Mlle Massiami Traoré c'est ça ?
• Oui monsieur.
• Vous êtes la compagne du sieur Ousmane
• Sylla?
• Oui monsieur.
• Avez-vous des enfants avec lui ? Si oui, combien ?
• Oui, nous avons une fille.
• Et vous vivez en concubinage depuis combien de
temps?
• Quatre ans et quelques mois
• Le saviez-vous marié à Madame Alice Riley
• Rodgers?
• Je l'ai découvert il y a quelques temps monsieur.
• Avait-il avec vous, contracté un engagement formel ou
un mariage quel qu'il soit?
• Oui monsieur, nous sommes mariés religieusement et
aussi coutumièrement.
• Monsieur Sylla ne vous avait donc pas informé du fait
qu'il soit déjà marié à
• Madame Rodgers ?
• Non monsieur l'agent, comme je vous l'ai dit, je l'ai
découvert bien après...
• Aviez-vous déjà rencontré Madame
• Rodgers?
• Heu... oui, deux... trois fois ...
• Et quels étaient vos rapports ?
• Hummm... je ne saurais le dire car nous n'avions
aucun rapport toutes les deux.
• N'avez-vous pas eu à parler, ces deux ou trois fois ?
La première fois non, nous nous sommes vues de loin. La
seconde fois, elle m'a agressée et menacée et la troisième
fois c'était il y a quelques heures lorsqu'elle est venue chez
moi.
- J'allais y venir. Qu'est-ce ce que Madame Rodgers est
allée faire chez vous?
• Je ne sais pas monsieur l'agent. Elle est sûrement
venue chercher Ousmane, je dormais quand je les ai
entendus se disputer dans la cour. Je suis sortie voir
mais elle n'a pas tardé à partir.
• Est-ce vrai que monsieur Ousmane l'a directement
suivie ?
• Oui monsieur, il est parti juste cinq minutes après elle.
• A-t-il dit ou fait quelque chose qui aurait pu vous alerter
sur ce qu'il comptait faire?
• Non monsieur.
• Vous en êtes sûre ? Il n'a pas dit un seul mot ?
Réfléchissez bien ! Vous avez intérêt à ne rien omettre.
• .... humm... je crois ... je pense qu'il a juste dit " je vais
régler ça, je reviens "rien de plus.
Pensez-vous qu'il avait l'intention d'assassiner madame
Rodgers?
- Je ne pense pas, je suis sûre que c'est un
accident.
• Monsieur Sylla est-il parfois violent ? Lui arrive-t-il de
taper ou autre?
• Heuu... non non Monsieur l'agent.
• Vous tremblez ... votre regard est fuyant... vous
semblez vouloir cacher quelque chose.... Je reprends
ma question. Monsieur Sylla a-t-il déjà été un peu
violent ou brutal à votre égard ? Vous a-t-il déjà
molestée, tapée, poussée ou quelque chose du genre
?
• Hummm... hummm...
Je veux bien pouvoir dire non, rester sereine et le protéger
jusqu'au bout car je sais que ce témoignage si je le fais ne
sera en aucun cas en sa faveur. Je comprends que ce que
je dirais peut l'enfoncer encore plus, je veux pouvoir mentir
sans que mon langage corporel ne me trahisse. Je veux
pouvoir le défendre et lui peindre un profil de saint afin de
ne pas l'enfoncer plus qu'il ne l'est actuellement mais je n'y
arrive pas.
Mes mains tremblent et ma voix aussi. Le regard du
monsieur sur moi et ceux des gardes armés devant la porte
m'intimident, j'ai chaud et j'ai froid en même temps, je finis
par éclater en sanglots.
Après avoir pleuré un bon quart d'heure, une dame vient me
voir et me parle, je pense qu'elle doit être psychologue ou
un truc comme ça parce qu'elle arrive à calmer mon
angoisse et me faire dire les choses sans avoir l'impression
d'être en train de trahir Ousmane. Puis, l'agent et elle
m'expliquent clairement ce qui s'est passé et ce qui va se
passer.
Ousmane et Alice se sont battus une fois chez elle, il a
essayé de l'étrangler, elle a réussi à l'assommer avec une
lampe de chevet. Il l'a ensuite poussée violemment et elle a
atterri dans sa chute sur une grande statue qui lui a brisé la
nuque sur le champ.
A l'évocation de la scène, je suis prise d'un malaise car j'ai
déjà vécu pareil avec lui. La femme de ménage étant là, elle
a vu toute la scène et a appelé la police. Il a voulu s'enfuir
mais la jeune femme a alerté tous les voisins et c'est ainsi
qu'il a été maintenu en laisse par la foule et remis à la
police dès leur arrivée. Certains voisins ont témoigné du fait
qu'ils se bagarraient très souvent et que plusieurs fois, ils
avaient entendu des cris, des bagarres et vu des traces de
violences sur elle.
Il a donc été placé sous mandat de dépôt et est dans une
cellule dans leurs locaux, il sera déferré dès demain à la
maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (MACA).
L'ambassade du Royaume-Uni en Côte d'Ivoire a été
informée des dispositions à prendre.
Je comprends qu'il risque énormément et je comprends que
mon monde tel que je le connaissais jusque-là vient de
s'écrouler à tout jamais.
Je demande à le voir mais ils ne m'autorisent pas à le faire.
Je dois revenir demain pour un autre interrogatoire. On
m'interdit de quitter le grand Abidjan. Je laisse à leur
disposition tous mes contacts, ceux de maman et de Soraya
ainsi que leurs adresses.
On m'informe cependant que je pourrais le voir dans trois
jours ou plus, quand il aura été déféré.
Il est pratiquement vingt-trois heures lorsque je suis enfin
libérée de leurs locaux.
Assise dans ma voiture, je me demande ce que je vais
devenir après tout ça. Une réalité douloureuse me frappe
tout à coup en plein visage: ça aurait pu être moi !
J'aurais pu être celle qui passera cette nuit à la morgue, en
attendant l'autopsie.
J'aurais pu être celle qui vient de quitter ses enfants à tout
jamais. Ces bagarres que notre entendement minimise, ces
violences que nous peinons à définir comme violences à
notre encontre parce qu'on a riposté à un moment donné,
ces coups soudains que nous encaissons sans com-
prendre et auxquels on finit toujours par donner des
explications logiques parce qu'on ne veut pas admettre la
vérité... tout ça, ce sont des choses qui tuent !
Ce sont des choses qui peuvent nous arracher à la vie si
brus- quement. On ne sait jamais quel coup sera le coup
fatal. On ne sait jamais d'où viendra la dernière fois, la fois
de trop, celle qui nous coûtera la vie. On arrive pourtant à
éluder ces choses si facilement, à passer outre et se dire
que ce n'est rien en fin de compte. Nous sommes
conditionnées pour penser que ce sont des choses qui
arrivent, des choses à surmonter. Et puis un jour, on finit
par rejoindre le grand nombre des statistiques des femmes
mortes sous les coups.
Ça aurait vraiment pu être moi, ce soir.
Il y a juste quelques heures, Alice était encore dans ma
maison, tirant les cols d'Ousmi et me lançant des injures. Il
y a juste quelques heures, elle a conduit sa voiture, pleine
de vie, de Cocody à Bassam.
Il y a quelques heures, elle a sûrement dû parler à ses
enfants par appel vidéo, à sa mère aussi, peut-être. Il y a
quelques heures à peine, elle existait, c'était une femme,
une épouse, une mère, une fille, une amie... et même si
pour
moi c'était une coépouse gênante, je ne peux m'empêcher
d'être profondément bouleversée par son décès. Je ne peux
empêcher mon cœur d'être affligé par cette fin si absurde et
si dramatique.
je ne peux pas conduire, je ne fais que pleurer et je suis
comme dans un état de traumatisme. J'appelle Soraya et lui
demande de venir me chercher. Je lui explique que j'ai ma
voiture mais que je ne peux pas conduire. Elle me demande
de me calmer et envoie Hamid me chercher.
Une semaine est passée et je ne sais toujours pas où j'en
suis. Je suis restée terrée dans la chambre d'amis de
Soraya tout ce temps, je ne suis sortie que pour aller
répondre aux inter- rogations de la brigade de recherche de
la police. Soraya a bien voulu nous garder chez elle
quelque temps. Je n'ai pas voulu aller chez maman, parce
que c'est le premier endroit où la famille et le quartier iront
me chercher, juste pour satisfaire leur curiosité.
Comme il fallait s'y attendre, l'affaire est parue dans les
médias, alors elle a fait la une. Nous sommes embarqués
dans une affaire diplomatique qui oppose deux pays et ce
n'est pas le genre d'histoire qui passe sous silence. Les
gens sont choqués bien évidemment par le meurtre mais
aussi et surtout par le fait que cette dame était son épouse.
Je suis vue par certains comme la maîtresse pour laquelle
le jeune homme a assassiné son épouse. D'autres me
voient comme la victime d'un foyer polygamique violent.
D'autres encore me voient comme la complice du meurtre
et certains autres comme la manipu- latrice, l'instigatrice de
tout.
A la police, je n'ai fait que raconter encore et encore la
même histoire, mon histoire, ma vérité. Je n'ai toujours pas
eu l'occasion de voir Ousmane et je suis dans une situation
de détresse sans nom. Je ne mange plus, aucune
nourriture n'arrive à passer même si je me force pour ne
pas donner l'impression à mes hôtes, de me laisser mourir.
Je n'arrive pas à dormir et c'est bien ça le pire. Mon esprit
est tourmenté, je fais des cauchemars à répétition et des
crises d'angoisse, je ne sais pas comment m'en sortir, c'est
atroce. Parfois, j'ai juste envie de dormir et de ne plus me
réveiller. Prendre des cachets et dormir, juste pour avoir la
paix et le repos, c'est vraiment très difficile à vivre.

Après les longues formalités et le rang à l'entrée, je suis


conduite dans un espace vétuste sous un grand apatam où
des tables bancs sont disposées comme à l'école primaire.
Les bancs sont défraîchis par le temps, vieux et portant des
marques. Il me faut payer des petites sommes à chaque
barrage et présenter mon autorisation de visite plusieurs
fois avant d'avoir accès à l'endroit. Je m'installe et un agent
pénitencier ainsi qu'un homme en civil, habillé de façon si
débraillé qu'il me fait penser à un prisonnier, vont ensemble
chercher Ousmi.
Ils reviennent avec lui quelques minutes plus tard. Il
s'installe et l'homme débraillé se tient auprès de nous, pour
surveiller.
D'autres personnes s'installent à côté, sur d'autres tables et
au fur et à mesure, les places s'occupent.
Je regarde Ousmi, il a maigri, énormément.
Il est chétif et faible, il est sale aussi.
Ses cheveux ont énormément poussé et il a une barbe
fournie qui m'étonne. Ça fait exactement dix jours qu'il a été
déféré et onze jours que le drame a eu lieu. Onze jours qu'il
est sorti de la maison en me disant " je vais régler ça, je
reviens" et que sa façon de régler ça nous a conduit à ce
qui se passe en ce moment.
Je ne l'ai pas entendu depuis. Je n'ai entendu que la police,
les journalistes, les gens sur les réseaux sociaux et les
gens dans la rue mais je ne l'ai pas entendu lui et j'ai besoin
de l'entendre me dire réellement ce qui s'est passé. J'ai
besoin d'entendre sa version des faits et comprendre ce qui
s'est passé. J'ai besoin de savoir comment est-ce qu'il va,
ce qu'il ressent et ce qu'il adviendra de nous après tout ça…
- Tu es tellement belle dans cet ensemble.
Tu sens bon, j'adore ton parfum.
• Merci... hum ...
• Je sais, tu ne peux pas dire pareil pour moi, ça fait
deux jours que je n'ai pas eu droit à une douche, je fais
comme je peux.
• J'imagine…
• Comment va Farah ? Et Safi jolie ?
• Elles vont bien grâce à Dieu. Tu manques à
Farah ..
- Elle me manque aussi, énormément.
Il baisse la tête et des larmes s'échappent de ses yeux. Ça
doit être l'enfer d'être là, il me fait tellement de peine! Mais
en même temps, je suis consciente qu'il mérite d'être là et
que la vie d'Alice ne vaut pas moins que la sienne. Je pose
ma main sur son dos et il pleure pendant un bout de temps.
Je lui donne
quelques mouchoirs et il s'éponge le visage avant de me
refaire face.
- Je sais que tu n'as pas dormi depuis ...
• Effectivement.
• Essaie de te reposer. Je vais bien, ne t'inquiète pas
trop, ça ira.
• J'aimerais y croire...
-.••
• Je t'en veux...
• Je sais. C'est normal, tu as le droit de m'en vouloir ...
j'ai tout fait de travers. J'aimerais tellement revenir en
arrière et changer les choses. Mais voilà ...
• Hummm. Moi j'aimerais comprendre...
• Mais tu me connais Siamy. Tu sais comme suis...
comme je deviens quand... je m'énerve. Tu es la mieux
placée pour savoir ce qui s'est passé sans même que
je n'ai à te l'expliquer. C'est dommage pour nous.
Pour moi mais encore plus pour toi que tu saches ce que
c'est. Je n'aurais jamais dû te montrer cette partie sombre
de moi. Cette partie de moi n'aurait jamais dû exister je le
sais, mais comment dire, comment t'expliquer quand moi-
même je n'arrive pas à me comprendre ? C'est dur. Mais tu
vois, je pense que pour que tu comprennes mieux, je dois
peut-être commencer par le début.
Par le commencement : mon enfance car oui, tout ça a bien
commencé quelque part avant de prendre racine et devenir
ce que c'est aujourd'hui.
• Que veux-tu dire Ousmi ?
• Mon père battait ma mère. Je ne suis pas en train de te
dire que tout ça est de sa faute, non, c'est de la mienne
et je le reconnais mais s'il y a eu un début à tout ça,
c'est bien de là que vient la racine. Il la battait pour un
oui ou un non. Des gifles, des coups de pieds ou de
poings, des injures, tout ça n'était jamais bien loin. Je
ne sais pas si tu t'en souviens mais elle se réfugiait
très souvent chez vous. Il y a même eu certaines fois
où ton père a dû intervenir pour qu'il arrête…
Maintenant que tu le dis, des bribes de souvenirs me
reviennent. Je me rappelle que ta mère pleurait beaucoup,
chaque fois qu'elle était dans la cuisine avec ma mère mais
je n'avais jamais fait le rapport.
• C'était ça. Et il a fini par la tuer ...
• … Oh!
C'était un soir de pluie, il voulait plus de piment dans sa
soupe, et elle n'en avait plus en cuisine. Elle n'a pas voulu
sortir sous la pluie pour aller en chercher, alors il s'est rué
sur elle pour la battre. Elle a essayé de se défendre ce jour-
là, avec une poêle mais il la lui a arraché des mains et s'est
servi d'un fagot de bois pour lui taper dans le ventre. Elle
s'est écroulée et il a fallu que je lui saute au cou pour qu'il
arrête, parce qu'il continuait, malgré le fait qu'elle ne
bougeait plus. Il m'a mis une gifle avant de s'en aller, sous
la pluie. Ma mère s'est réveillée quelques heures plus tard.
J'ai regretté le fait que vous ne viviez plus près de nous et
que ton père ne soit plus vivant pour la défendre. J'ai couru
chercher de l'aide, seulement une voisine est venue et l'a
aidée à se changer et se mettre au lit. Je suis resté à son
chevet jusqu'au petit matin. Elle semblait aller mieux la
journée qui a suivi et elle a même pu faire des travaux
domestiques et cuisiner.
C'est le lendemain qu'elle a commencé à vomir du sang.
Lorsque nous sommes arrivés à l'hôpital, c'était déjà trop
tard. Il a menti aux gens qu'elle était morte d'une maladie
soudaine et a accéléré les démarches afin qu'on puisse très
vite l'enterrer mais moi je sais ce que j'ai entendu. Le
docteur avait dit " hémorragie interne" et je ne sais plus
pourquoi je n'ai pas pu en parler, j'ai juste enfoui cela en
moi...
• Je suis vraiment désolée... ce ne sont pas des choses
qu'on vit sans garder de séquelles
Effectivement... et tu sais quoi ? Quand ma tante est venue
me chercher pour le Canada, j'ai cru que c'était la fin de
mon calvaire car je voulais être le plus loin possible de mon
père. Ça l'a été à bien des égards mais quand une fois là-
bas j'ai constaté qu'elle aussi était battue par son
compagnon, ça a été le début d'un autre enfer. Ils se
disputaient tout le temps! Ils criaient, se tapaient dessus et
se lançaient des choses. Personne ne s'exprimait ni ne se
comportait normalement dans cette maison et j'étais
perturbé par tout ça mais une fois de plus j'ai tout gardé
pour moi et j'ai fini par intégrer cela comme étant normal.
Mon objectif était de finir le lycée le plus rapidement
possible, postuler dans une université et quitter cette
maison de fous.
Mais rien n'a été facile. À quelques semaines de mes
derniers examens, je me suis retrouvé à la rue pour avoir
battu et laissé pour mort le compagnon de ma tante. Je l'ai
fait pour la défendre car il l'avait tapée dans le ventre avec
une batte de baseball, quand je l'ai vu faire ça, j'ai
directement pensé à ma mère et j'ai sauté sur lui. La colère
en moi était comme le feu d'un volcan. Je n'ai pu m'arrêter
de le frapper que lorsqu'il a perdu connaissance. Je venais
d'avoir 18 ans et j'étais chez eux depuis 2 ans. Il a porté
plainte contre moi, j'ai passé une nuit en garde à vue puis
avec les médiations de ma tante et ma directrice d'école, il
a accepté de retirer sa plainte si je quittais sa maison
immédiatement. J'ai accepté le deal. Après cela, je suis allé
de foyer d'accueil en foyer d'accueil jusqu'à la fin de mes
examens.
Puis j'ai commencé à dormir dans les rues, devant des
commerces, dans des ghettos...
etc.
• Et c'est là que tu as rencontré Alice...
• Oui, c'est dans la rue que je l'ai
rencontrée. Elle passait souvent non loin de la rue où je
dormais. Ce jour-là, elle avait fait tomber son portefeuille en
sortant son paquet de cigarettes de son sac, je l'ai ramassé
et j'ai couru après elle pour le lui remettre. Elle a juste souri,
elle ne m'a pas remercié puis je suis parti. Mais le
lendemain elle m'a vu assis dans la même rue, devant un
café-restau et elle est venue vers moi. Elle avait dû
remarquer combien je regardais la vitrine avec envie, elle
s'est approchée et m'a proposé de m'offrir un petit déjeuner.
J'ai mis du temps à la reconnaître mais lorsqu'elle m'a dit
que c'était pour me remercier pour la veille, j'ai compris. J'ai
accepté son offre et nous avons parlé pendant un bon
moment en mangeant ensemble. Le lendemain, elle est
revenue et m'a encore offert à manger, puis c'est devenu
une habitude. J'ai appris à la connaître et elle à me
connaître. Elle savait que je vivais dans ce coin, elle me
rapportait des pulls, des couettes et des chaussettes
propres. Elle m'offrait le petit déjeuner chaque matin de la
semaine et c'était les plus beaux moments de mes journées
dans ce froid glacial et solitaire. Elle m'a trouvé un foyer
d'hébergement plusieurs semaines plus tard et elle
m'apportait toujours quelque chose, de la nourriture, des
vêtements, des produits cosmétiques ... Il lui arrivait de me
payer le titre de transport pour que j'aille voir ma tante.
Nous étions des amis, de bons amis, de vrais amis. À un
moment de ma vie, elle a été la seule personne au monde
qui se préoccupait vraiment de moi. Quand j'ai été reçu à
l'université, elle m'a presque tenu la main pour effectuer
toutes mes courses, elle a été présente pour moi lorsque
personne d'autre ne l'était et ... je n'arrive pas à croire
qu'elle n'est plus là et que c'est à cause de moi, je n'arrive
pas à croire que je l'ai tuée.
Moi qui avais juré de ne jamais être comme mon père... je
n'arrive pas à supporter l'idée que j'ai pu faire autant de
mal, autant de dégâts…
Il éclate en sanglots et j'ai l'impression de ressentir toute sa
peine et son désarroi. Il est traversé par des secousses et il
serre les poings, se tape les jambes, serre les dents... il
pleure comme un enfant et les regards se tournent vers
nous. Je peux voir qu'au-delà de tout ce chaos, il est
toujours cet humain, gauche, maladroit, parfois sénile mais
il est toujours un homme, et le cour de cet homme est
profondément brisé.
Il arrive à se ressaisir au bout d'un moment et je lui tends
mon paquet de mouchoir pour qu'il se serve. Il s'essuie le
visage, renifle, respire un bon moment et s'excuse plusieurs
fois auprès de moi. Il veut continuer à parler, il veut se
libérer et moi, comme pour me donner des raisons de croire
encore en son humanité, je l'écoute, car savoir la vérité, sa
vérité à lui, est pour moi une porte vers la décision que je
prendrai. Il se racle la gorge puis recommence à parler.
- Tu sais, elle n'était pas méchante, c'était une femme bien.
C'est juste qu'elle m'aimait un peu trop et que comme moi,
elle avait du mal à maîtriser sa colère. Je la savais ainsi car
sa vie familiale n'était pas rose non plus. Elle avait parfois
sombré dans certains vices comme l'alcool et les petites
drogues mais elle essayait toujours de s'en sortir et d'être
quelqu'un de bien. Ses parents et elle étaient au Canada
pour une durée déterminée et c'est après l'obtention de ma
licence qu'elle m'annonça qu'elle devait rentrer au
Royaume-Uni avec eux.
J'étais déboussolé. En presque quatre ans d'amitié, elle
était devenue ma seule famille.
Je ne pouvais imaginer ce que seraient mes journées sans
elle. C'est à ce moment-là que notre relation prit une autre
tournure car elle me proposa de l'épouser et venir vivre
avec elle à Londres. Elle avait tout calculé et tout prévu. De
l'université que j'allais rejoindre, au pavillon où nous allions
habiter. Du travail supplémentaire qu'elle allait prendre pour
me soutenir, jusqu'aux aides gouvernementales dont on
pourrait bénéficier. Elle me parla de famille, d'enfants, de
projets de vie et la perspective me séduit.
Je ne me fis pas prier pour accepter son offre.
Mais c'est une fois bien mariés et installés ensemble que le
voile se leva sur cette partie de sa personnalité qui avait
jusque-là réussi à m'échapper : son impulsivité, sa jalousie
maladive et ses tendances violentes.
Elle avait elle aussi grandi dans une famille où la violence
était de mise et en nous mettant ensemble, nous avons
pensé que nous nous protégerions l'un l'autre contre ce que
nous avions vécu auparavant. Nous nous sommes dits que
nous allions nous entraider à ne surtout pas être comme
nos parents et à laisser de meilleures empreintes à nos
enfants mais nous avons échoué. Ça a commencé par des
petites disputes ou l'on haussait un peu trop le ton, puis
c'est devenu des cris, des objets qui volent, des gifles, des
coups, des portes qui claquent... chacun de nous maîtrisait
mal sa colère puis après la bagarre, c'était l'euphorie, la
passion délirante, les étreintes puissantes, les larmes de
déchirements et l'amour tout simplement, dans sa forme la
plus cruelle qui soit. C'était l'amour vache, tout simplement.
C'est comme ça qu'on s'est aimé elle et moi, d'amour et de
morsures. C'est comme ça qu'on a construit tout ce qu'on
avait, de luttes, de sueurs et de blessures.
Et on arrivait toujours à se pardonner, à s'enlacer de
nouveau et à s'aimer, jusqu'au prochain fracas....
• Mais je n'étais pas comme elle, et je n'ai jamais aimé
être battue ...
• Je n'ai jamais voulu de ça avec toi, j'ai essayé de me
tenir à carreaux je te jure !
Je m'étais promis de ne pas avoir ce genre de relation avec
toi mais malheureusement je n'ai pas appris à aimer
autrement et j'ai refait les mêmes erreurs malgré moi. Tu
sais, ta rencontre a été comme un réveil pour moi, te revoir
à éveillé en moi, une envie de vivre une autre vie, une vie
dont j'avais rêvé durant toute mon adolescence. Te revoir à
ce mariage a éveillé en moi ce petit garçon doux et poli qui
était perdu dans le tumulte de la vie. J'ai voulu effacer tout
ce que j'avais vécu jusque-là pour revivre à nouveau avec
toi et être quelqu'un d'autre. J'ai voulu autre chose que ce
que j'avais avec Alice. J'ai voulu réaliser mon rêve d'enfant
avec toi dans ma vie alors je me suis lancé, envers et
contre tout. Je ne t'ai pas totalement menti, car j'étais
vraiment en froid avec Alice lorsque je t'ai revue et je
souhaitais réellement divorcer d'avec elle pour tout
recommencer avec toi mais ça n'a pas marché car elle est
revenue vers moi quand j'étais déjà avec toi et je n'ai pas pu
résister. Elle m'a rappelé notre histoire, nos promesses, tout
ce qu'on a vécu, nos enfants... etc. Et je n'ai pas eu le cran
de lui dire que je ne voulais plus de ça et que j'étais
heureux avec toi. Tu sais, elle avait l'air si détruite par mon
abandon que j'ai préféré lui mentir pour essayer de gagner
plus de temps. Je suis désolé de t'avoir fait passer par
toutes ces situations compliquées. Je suis désolé de t'avoir
fait du mal mais je veux que tu saches que t'avoir eue
comme épouse a été la chose la plus merveilleuse qui m'est
arrivé ces dernières années. J'ai aimé cette vie avec toi
plus-que-tout et ces derniers temps après tout ce qu'on a
traversé, je voulais vraiment divorcer pour de bon d'avec
elle.
Je souhaitais faire un choix drastique et rester avec toi.
J'étais prêt à me soigner pour ne plus jamais te porter
préjudice, j'étais prêt à laisser partir Alice pour de bon et je
lui en avais parlé fermement mais elle n'acceptait pas ma
décision. J'aurais voulu qu'elle comprenne, qu'elle accepte
et qu'elle se retire mais elle a voulu se battre, et ça, dans
tous les sens du terme. Je n'ai pas fait exprès de la pousser
contre cette statue et si j'avais su que cette journée se
terminerait aussi affreusement, je ne l'aurais pas suivie
chez elle, je serais resté à tes côtés. En te disant que j'allais
régler ça, je comptais lui faire comprendre une bonne fois
pour toutes que je t'avais choisie et qu'elle devait
abandonner. Je ne pensais pas qu'elle me mettrait une gifle
et des coups, que je les lui rendrais, qu'elle me lancerait
des verres à la tête, que je lui serrerai la gorge, qu'elle
m'assommerait avec une lampe et que je finirais par la
pousser sur cette fichue statue et qu'elle y perdrait la vie. Si
j'avais su que les choses se passeraient ainsi, je serais
resté avec toi, je ne l'aurais pas suivie....
• Maintenant c'est trop tard ...
• En effet ... c'est trop tard et c'est bien dommage... Pour
nous tous. Elle, moi, toi, nos enfants...
• Ça aurait pu être moi tu sais ? Ça aurait pu être moi ...
• Ne dis pas ça... Ne fais pas ça, s'il te plaît... ne
m'enfonce pas davantage...
• Hummm... bref, tu as pensé à ta défense ?
• Oui, j'ai engagé des avocats anglais. Je compte plaider
coupable et évoquer des circonstances atténuantes.
Mais surtout, je compte demander à ce que je sois jugé
au tribunal de Londres, en évoquant le fait que nous
étions tous les deux un couple anglais avant tout, sur
le territoire ivoirien....
Et qu'est-ce que tu penses pouvoir obtenir avec ça ?
• Un meilleur traitement en tant que prisonnier, tu sais
que les pays du Tiers-Monde ne traitent pas les
criminels avec les mêmes standards internationaux et
ne respectent pas les droits élémentaires des
Prisonniers... je ne peux pas rester ici.
• OK et tu penses qu'ils vont te l'accorder?
• Je ne sais pas, la requête a été déposée et les
instances juridiques des deux pays sont en discussion,
ce sera au tribunal de conflit de statuer. Les avocats de
la famille Rodgers demandent la même chose afin que
la justice anglaise s'en charge.
• Et si le tribunal de conflit n'accepte pas votre demande
? Car le crime a eu lieu ici et tous les éléments de
l'enquête sont ici
• Alors on fera une autre demande afin qu'après le
jugement je sois extradé pour y purger ma peine.
• Et si ...
• Arrête s'il te plait... ne sois pas pessimiste !
On va essayer et on va tout donner pour que ça marche...
• D'accord …
• J'ai besoin de tes prières bébé et j'espère vraiment que
vous viendrez avec moi...
• Venir ù ?
• Au Royaume-Uni. Regarde, tu pourras t'installer dans
la province de la prison où on m'enverra. On vous
trouvera une charmante petite maison à toi et Farah, je
paierai pour tout. Mes avocats s'en chargeront. Tu
pourras me rendre visite chaque semaine, on aura
droit aux coups de fils réguliers et au bout d'un an, on
pourra introduire une requête de mariage.
Si on l'obtient, on bénéficiera de visites conjugales…
- Ousmane, tu t'es demandé ce que je voulais moi ? Tu t'es
posé la question de savoir si je souhaitais toujours
continuer ce mariage ?
-....
- Tu parles comme si tout était rose, tu as déjà tracé ton
beau plan comme si rien de bien grave ne s'était passé et
que c'était un quelconque projet d'avenir qu'on ficelle aussi
facilement...
• Mais .... Bébé ...
• Et si je ne souhaitais plus continuer? Tu y as pensé?
Et si je voulais divorcer?
Je vois son visage se décomposer à chaque mot qui
s'échappe de ma bouche. Sa mine devient grave et tout son
corps se met à trembler. Il n'arrive plus à parler, j'ai
l'impression qu'il suffoque. Il se lève brusquement et dit au
garde pénitencier qu'il souhaite retourner dans sa cellule.
J'essaie de lui attraper la main mais il me l'arrache
doucement et s'éloigne, en me lançant un regard meurtri.
Je marche dans le sable blanc sans chaussures. Le sable
est très chaud et me brûle la plante des pieds. Je marche
parfois sur des branches de bois, des algues, des
coquillages ou des sachets plastiques, ce qui rend mon
parcours un peu désagréable mais je continue de marcher,
en regardant la mer voguer, les vagues s'écraser avec
fracas, le vent souffler et le bruit de la nature murmurer à
mon oreille. Je marche depuis une trentaine de minutes
sans trop savoir où je vais, je suis juste fatiguée de la vie,
de ma vie. J'espère en marchant que le poids sur mon cœur
diminue et que les pensées sombres dans mon esprit
s'éclaircissent. Je marche en espérant que les choses
changent et qu'un courage surhumain s'empare de moi afin
que je puisse prendre une décision définitive et m'y tenir.
Afin que je fasse un choix éclairé pour moi et pour mon
enfant. Mais comment me défaire de mes sentiments ?
Comment réussir à sortir de la léthargie dans laquelle je
suis plongée depuis ? Comment ne plus avoir de peine pour
lui et ne plus ressentir cette culpabilité que je ressens au
fond de moi?
Soraya continue de me mettre la pression pour que je
divorce, maman ne fait que pleurer et se lamenter sans
pour autant me guider vers quoi que ce soit. Mes cousines
qui me prennent en pitié et les autres qui me jugent.. Je
n'en peux vraiment plus.
J'ai décidé de partir de chez Soraya, j'ai un peu trop duré
dans son intimité et je commence à me sentir de trop. Je
n'ai pas non plus envie de retourner chez moi car tout dans
cette maison m'attache encore plus à Ousmane. Retourner
dormir dans notre lit, voir ses vêtements dans le placard,
ses effets personnels et son empreinte partout ne
m'aideront pas à me défaire de tout ça. J'ai envoyé une
femme de ménage tout ranger et tout nettoyer, je n'ai pas
eu le courage de retirer moi-même les draps laissés sur le
lit, dans lesquels nous avions fait l'amour, juste avant le
drame. Je n'ai pas eu le courage de ramasser ses
vêtements et ses chaussettes encore par terre et ses
chaussures rangées dans le couloir. Je suis restée dehors
et après qu'elle ait terminé son travail, j'ai juste refermé la
porte et je suis partie. Je me demande encore si je vais
revenir, rester en attendant son procès ou si je vais juste
faire mes cartons de déménagement. Je compte rester
quelque temps chez ma mère, le temps du procès, le temps
de prendre une décision.
Je m'allonge dans le lit et je pose ma boîte de chocolat juste
devant mon visage, je prends une tablette et je l'ouvre, je la
passe sous mon nez pour mieux humer l'odeur et m'en
imprégner. J'adore le chocolat noir, truffé de fruits secs. Je
porte la tablette à ma bouche et croque un gros morceau
que je ferme les yeux pour savourer. Je me délecte de ce
goût si intense et je me souviens que quel que soit le degré
de peine qu'on peut ressentir, le chocolat est toujours un
bon remède pour le moral. Je m'apprête à croquer un
deuxième morceau lorsqu'on toque à la porte de ma
chambre. Je me dis que c'est sûrement Farah qui fait
encore des caprices. Je réponds, lasse, quand je me rends
compte que c'est maman.
Elle glisse la tête vers moi tout en gardant son corps
dehors.
• Siamy viens, tu as de la visite
• De la visite ? C'est qui ?
• Viens seulement... Mets un boubou, c'est une
délégation de vieux.
• De vieux?
Mets un boubou, couvre-toi la tête et viens au salon, on
t'attend.
- Hummm…
Mon cœur se met à battre à se rompre.
Mais qui ça peut être ? Qu'est-ce qu'ils peuvent bien me
vouloir ? Je soupire un instant puis je me lève, pour faire ce
que maman m'a demandé avant de les rejoindre au salon.
Dès que je franchis le seuil du salon, je remarque
directement un visage en particulier, c'est l'oncle d'Ousmi,
celui qui vit à Korhogo et qui a été au-devant de nos
démarches de mariage. Ensuite, je remarque le cousin de
cet oncle, qui vit dans un village très loin du nôtre et l'ami de
son défunt père. Les deux autres je ne les reconnais pas,
mais l'un semble être un guide religieux à la canne qu'il tient
en main comme celui des imams et au grand et kilométrique
chapelet qu'il traîne, comme s'il s'apprêtait à faire pendre
quelqu'un avec. Le dernier est tout petit et mince, il a l'air
plus jeune que les autres et est vêtu de blanc de la tête aux
pieds. Je me baisse légèrement pour les saluer un par un et
je m'installe aux côtés de maman. Elle leur souhaite la
bienvenue et leur demande les nouvelles.
L'oncle demande s'il n'y a pas un homme dans la maison, à
qui ils peuvent adresser les nouvelles. Maman leur répond
que non, il n'y a que nous. Celui qui semble être l'imam
commence à alors à réciter les bénédictions d'usage et fais
une
petite prière d'ouverture après laquelle il redonne la parole à
l'oncle. Celui-ci se racle la gorge et annonce :
" Nous sommes venus voir comment se porte notre femme.
Nous avons appris la terrible épreuve qui s'est abattue sur
notre fils et nous en sommes vraiment affligés.
Mais les épreuves de Dieu font partie de la vie de l'homme
et quand ce genre de choses lui arrive, il ne peut compter
que sur le soutient de sa famille. Nous sommes venus nous
enquérir de l'état de son épouse et de l'enfant. Nous
sommes passés chez eux et avons constaté que la maison
était vide de ses habitants. Nous supposons que notre fille
a rejoint le domicile familiale juste pour avoir un peu plus de
soutient dans cette épreuve qu'elle traverse en ce moment
alors nous sommes venus voir comment est-ce qu'elle se
porte mais aussi la rassurer que nous serons toujours là
pour elle et aussi prier pour elle afin qu'elle soit fortifiée
dans son devoir d'épouse modèle et soumise auprès de
notre fils...
Ma mère et moi échangeons des regards, nous avons
compris la même chose, ils sont juste venus vérifier que je
ne compte pas quitter leur fils et que je compte lui rester
dévouée jusqu'au bout. Je me contente d'acquiescer en
remuant la tête, les yeux rivés sur mes pieds. L'imam prend
la parole et se met prêcher sur les vertus de la bonne
épouse, qui ne lâche pas son époux en période d'adversité
et de calamité. Il raconte l'histoire de job tel que relaté dans
les récits islamiques et salut la bravoure de son épouse qui
a tout enduré à ses côtés.
Il raconte d'autres histoires, pas islamiques mais toujours
dans le même but. Il termine par une longue séance de
prière et de bénédictions. Le cousin de l'oncle revient sur ce
que l'oncle a dit auparavant en ajoutant que je dois cesser
toute activité pour me consacrer à aller apporter de la
nourriture et des vivres à leur fils en prison.
Celui en tout blanc s'est presque mis à pleurer, en évoquant
les affres de la prison sur les êtres purs, en sous entendant
que Ousmane est un pauvre innocent sur qui le cruel destin
s'est abattu et que moi, je suis la bouée de sauvetage sur
laquelle il compte pour ne pas sombrer...
Maman s'est mise à pleurer, Safiatou et la ménagère de
maman aussi, cachées dans le couloir. Après cette longue
séance de conseils et de torture pour mon âme, ils ont
décidé de prendre congé de nous tout en promettant de
revenir me voir de temps en temps jusqu'à la fin du procès.
Je ne sais pas qui a eu cette idée mais si l'intention était de
me plonger au plus bas dans la dépression, la personne a
réussi car tout à coup je sens peser sur moi des obligations,
une pression énorme de la famille et de la société. Je
n'arrive plus à savoir ce que je veux, ce dont j'ai besoin et
encore moins ce qu'il serait judicieux de faire. J'ai peur de
m'attirer le courroux de Dieu, des guides, de la famille, de la
société...
À aucun instant ils ne se sont dit qu'Ousmane avait
assassiné une personne et qu'il méritait de payer pour ça. À
aucun moment ils ne se sont posé la question de savoir si
mon enfant et moi étions en sécurité auprès de lui ou si
j'étais heureuse tout simplement. Tout ce qui leur importe,
c'est que je reste dévouée à leur fls, quelle que soit la
situation. Maman m'a dit que la décision finale me revenait
et qu'elle me soutiendrait quel que soit mon choix.
Mais le plus douloureux, c'est que j'aurais voulu qu'elle
fasse peut-être ce choix pour moi, pour que je puisse
pouvoir accuser quelqu'un si jamais ce choix s'avérait être
mauvais. Mais si je dois décider de moi-même, je devrais
tout assumer seule et prendre toutes les responsabilités
sans faux fuyants et malheureusement, je ne m'en sens pas
encore capable.

Ça va faire deux mois que le procès d'Ousmane est en


cours. Sa demande d'être jugé au Royaume-Uni n'a pas été
accordée car beaucoup de témoins à comparaître sont ici et
n'auraient pas pu effectuer le déplacement. J'ai été citée à
comparaître plusieurs fois et chaque fois que je devais
évoquer le fait qu'il a été violent envers moi, je m'effondrais.
Je n'arrivais pas à dire avec des mots qu'il m'avait battue et
encore moins à expliquer avec les détails. J'avais
l'impression de le trahir, de l'enfoncer. J'ai beau me dire qu'il
faut que la vérité sorte et que je ne fais rien de mal mais je
ne pouvais m'empêcher de culpabiliser, surtout qu'il était
assis dans la salle juste devant moi. J'avais l'impression
que les avocats s'acharnaient sur moi, que personne ne
voulait respecter cette partie de notre intimité que je ne
voulais pas divulguer. J'ai souffert de tout ça et j'en souffre
encore. Je n'ai toujours pas pris de décision.
Je suis allée visiter Ousmane déjà trois fois et nous avons
eu de longues conversations mais je n'arrive toujours pas à
décider si je reste auprès de lui malgré tout ou si je pars. Je
ne peux m'empêcher de rêver à un monde où il apprend
énormément en prison, sort complètement transformé et
meilleur et m'offre une nouvelle vie sans douleurs, ni
violences ni peurs. Je ne peux pas m'empêcher de vouloir
le sauver, le soutenir, l'aider dans cette phase terrible qu'il
vit. J'ai peur qu'il ne décide de se suicider si je me résous à
le quitter et que je me retrouve à vivre le restant de mes
jours avec sa mort sur ma conscience. J'ai peur de ne pas
réussir à l'oublier après le divorce, que je reste accrochée à
nos souvenirs et que je ne guérisse pas. Mais j'ai aussi peur
de rester mariée et de vivre une vie de solitude avec un
mari en prison qui risque de contrôler tout ce que je ferai.
Un mari qui sortira de prison peut-être déjà vieux et toujours
aussi violent et avec qui je n'aurais jamais un mariage
heureux. La réflexion m'empêche de dormir et je pense que
depuis quelque temps, j'entends des voix et j'ai des
hallucinations.
J'ai peur d'en parler autour de moi de crainte d'être prise
pour une folle. Je ne fais que prier mais j'ai
malheureusement l'impression que ça ne marche pas et
que mes prières ne sont pas entendues...
J'ai vu des affiches d'un évènement organisé par la Ligue
ivoirienne des droits des femmes en collaboration avec
l'ONG Voix des Femmes et une autre structure dont le nom
m'échappe. J'ai passé toute la semaine à regarder le
programme et j'ai envie d'y aller mais je me pose beaucoup
de questions. Je ne suis pas beaucoup sortie ces temps-ci,
à part pour me rendre au tribunal ou à la maison d'arrêt et
j'ai vraiment envie de faire quelque chose de différent. Je
me dis que rencontrer des femmes qui, comme moi, ont
vécu certaines choses, aura un effet positif sur moi, je me
sentirai sûrement moins seule mais surtout moins anormale.
J'arrête de réfléchir, je me lève et je pars prendre ma
douche. Lorsque je sors, j'ouvre ma valise et décide de
choisir une belle tenue pour l'occasion. J'opte pour une robe
bleue en soie avec de petites fleurs en dentelles rouges sur
les cols et le buste. J'hydrate mes cheveux et les rassemble
en un chignon afro sur ma nuque. Je reste debout devant le
miroir à me demander si je dois me maquiller ou pas. Je
finis par juste mettre du baume sur mes lèvres et brosser
mes sourcils rebelles. Je mets une chaussure plate et je me
parfume. Je me rends compte qu'il y a très longtemps que
je n'ai pas mis autant de soin pour m'apprêter et que je ne
me souviens plus de la dernière fois où j'ai réussi à faire
plus de deux minutes devant un miroir. Je sors et je me
mets à marcher lentement. L'événement se tient au sein du
lycée moderne de Treichville et c'est à peine à quinze
minutes de chez moi alors je prends mon temps. Lorsque
j'arrive, plusieurs jeunes filles et quelques jeunes hommes,
habillés dans les tee-shirts à l'effigie des structures
organisatrices, me souhaitent la bienvenue et me tendent
chacun des prospectus. Je les prends et les range dans
mon sac avant de continuer mon chemin. Une fois devant le
bâtiment, des bénévoles de la Ligue viennent vers moi.
- Bonjour, je m'appelle Horoh et elle, c'est Stella, nous
tenons les listes de présence, si vous êtes une survivante,
venez avec moi. Si vous êtes juste là pour vous informer,
vous pouvez aller avec elle pour vous inscrire.
- Heuu... y a-t-il un traitement particulier pour les
survivantes ?
Je demande juste
• C'est juste qu'il y aura une séance d'écoute et un
atelier privé avec les survivantes, animé par des
psychologues alors on fait la liste des survivantes et si
elles veulent y participer, elles pourront. C'est gratuit.
• D'accord.
• Alors ? Survivante ou sympathisante ?
• Humm ... survivante.
• Avez-vous déjà été prise en charge par la
Ligue ?
• Oui, c'était il y a un an...
• Cas de violences, viol, mariage forcé ou autre ?
• Violence conjugales....
• Avez-vous porté plainte ?
- Non...
• Avez-vous bénéficié d'un suivi psychologique ?
• On m'en a offert mais non, je n'ai pas pris contact avec
le psychologue finalement...
• D'accord. Souhaitez-vous rejoindre l'atelier privé après
la conférence ? Si oui, on va vous donner un bracelet
identifiant.
• Oui je veux bien...
- Super ! Tenez, écrivez votre nom et votre contact ici et
signez juste là.
Je m'exécute et lorsque je finis, elle me remet un bracelet
violet en plastique que je porte avant d'entrer dans la salle.
Une fois installée, je remarque certaines femmes avec leurs
bracelets au poignet. Je caresse le mien comme pour me
dire, voici mes soeurs, je ne suis pas seule.
La conférence commence avec l'actrice et productrice de
cinéma Evelyne Ily qui nous parle de son engagement pour
la cause et le combat derrière son film " Résolution
". Je n'ai pas eu l'occasion de voir le film mais à l'entendre,
j'ai envie de le voir même si je crains que cela ne réveille
beaucoup de blessures en moi. Puis, c'est le tour
Meganne Boho, la
présidente de la Ligue qui nous parle de son expérience
avec les violences sexuelles dans son enfance, les
violences psychologiques et physiques dans son mariage,
son divorce, les leçons qu'elle a apprises et les motivations
derrière la création de la Ligue. De son intervention, je
retiens fermement cette partie
" partir, divorcer n'est pas facile mais est nécessaire lorsque
vous survivez dans votre ménage au lieu de vivre. Une fois
partie, vous ne recommencez pas à zéro, non, vous
recommencez avec de l'expérience, du recul, des acquis et
beaucoup plus de force. Si vous pensez aujourd'hui que
vous n'arriverez pas à oublier, laissez-moi vous dire que
c'est archi-faux ! Vous allez oublier cet homme et même
oublier son existence. Vous irez de l'avant et même si cela
prendra du temps et ne sera pas facile, vous deviendrez
une nouvelle personne et vous aimerez de tout votre cour
cette nouvelle version de vous-même... »
C'est comme si elle s'adressait exactement à moi et me
donnait des réponses à mes inquiétudes.
C'est ensuite au tour de la présidente de l'ONG Voix des
Femmes, Madame Koffi, de nous entretenir sur comment
sortir de la spirale infernale de la violence dans les
relations.
Après ces interventions aussi brillantes les unes que les
autres, nous sommes séparées en deux groupes. Les
survivantes d'un côté pour l'atelier privé et les autres d'un
autre côté pour suivre un cours sur comment aider
efficacement les victimes lorsqu'on est face à des cas de
violences.
Nous rejoignons une salle fermée qui est aménagée de
façon très accueillante. Des nattes sont posées sur le sol et
couvertes de draps assez doux, des coussins colorés sont
posés un peu partout et aussi, des paquets de mouchoirs
en papier sont posés près des coussins. Sur des petites
tables aux extrémités des murs, on peut voir des bougies
parfumées allumées et des encens. La salle sent
agréablement bon et l'atmosphère invite à la détente et à la
relaxation. Nous nous asseyons chacune et les
thérapeutes, deux femmes et un homme, prennent place en
face de nous. L'une des femmes nous demande de fermer
les yeux et de visualiser des choses que nous aimons, elle
nous parle de sa douce voix et nous berce, elle joue une
musique douce et poétique et nous invite à nous
débarrasser de notre stress, de nos peurs et de nos
angoisses.
Puis, c'est au tour de l'homme de nous réciter des phrases
encourageantes, nous complimenter et nous booster en
quelque sorte. Il demande ensuite qui veut parler en
premier, s'ouvrir, parler de tout ce qu'elle veut. Une jeune
fille, un peu hésitante, lève la main. Il nous demande de
fermer les yeux pour l'écouter, ce que nous faisons. Elle
commence par raconter son enfance dans sa ville natale, le
décès de ses parents, les viols répétitifs de ses oncles sur
elle alors qu'elle est encore mineure, son mariage forcé à
un vieux notable de son village et sa fuite vers la grande
ville où elle a vécu dans la rue quelque temps avant de
tomber sur des personnes de bonne volonté qui l'ont aidée.
Elle pleure, parle de ses blessures et du fait qu'elle a
encore du mal à faire confiance aux gens et à vivre sans
craindre pour sa sécurité.
Celles qui sont assises près d'elle lui tiennent la main et la
réconfortent. Puis c'est au tour de la deuxième, une dame
d'un certain âge, qui s'ouvre sur les violences subies dans
son foyer,
sur la mort de ses enfants et l'incarcération de son mari
pour avoir violé un enfant de neuf ans. Je pleure avec elles,
les yeux fermés. L'horreur de leurs situations me ramène à
la mienne, et lorsque je pense en avoir trop entendu,
j'entends encore pire. Les histoires se succèdent et sont
toutes aussi atroces les unes que les autres. Deux d'entre
elles ont été prostituées et vendues au plus offrant par leurs
propres époux. Et moi, j'ai cherché mes mots, je ne savais
pas par quoi commencer alors j'ai parlé de Farah, de
combien elle illumine ma vie et de tout ce qu'elle représente
pour moi. J'ai parlé du lien fort que nous avons et de tout ce
que je voudrais construire pour elle. Puis j'ai parlé des
jumeaux, du fait qu'ils me manquent énormément et de
com- bien j'aurais aimé les avoir avec moi. J'ai parlé de
combien je les aimais déjà avant même de les avoir vus et
de mon regret de ne pas avoir pu les serrer dans mes bras
ne serait-ce qu'une fois. Puis j'ai dit que je ne savais plus si
j'en voulais toujours à Ousmane pour ça car il s'est passé
tellement de choses que si je devais lui en vouloir pour tout,
je lui en voudrais de simplement exister. J'ai fini par parler
de chaque coup, chaque mensonge et chaque douleur, j'ai
fini par parler d'Alice, de sa mort et du fait que je suis
bloquée à un stade de ma vie où je n'arrive pas à avancer.
Du fait que je me déteste de continuer à l'aimer malgré tout
et du fait que je n'arrive pas à me décider, à choisir et à
assumer. J'ai pleuré et pour la première fois depuis très
longtemps, je me suis sentie vraiment soulagée, écoutée,
comprise et soutenue.
Lorsque je suis rentrée chez moi, j'ai repris une douche, j'ai
fait mes prières, j'ai parfumé ma chambre et je me suis
couchée. Je me suis endormie si profondément que lorsque
j'ai ouvert les yeux le lendemain matin, le soleil était déjà à
l'horizon. Je n'avais pas aussi bien dormi depuis des mois
et à mon réveil, quelque chose avait changé en moi. Avoir
discuté avec autant de femmes divorcées la veille, m'avait
fait comprendre que ce n'était pas la fin du monde. Il y avait
un autre monde après la fin d'un mariage.
Il y avait une nouvelle voie derrière cet océan d'incertitudes,
il y avait l'espoir d'une guérison, de l'oubli, et une toute
nouvelle vie. Voir des femmes qui sont passées par tous
ces drames rire et jouer, reconnaître qu'elles apprennent
chaque jour à être heureuses et se donner de nouvelles
chances, m'a ouvert les yeux. Malgré l'amour, malgré
l'attachement, malgré l'habitude et malgré la peur, il fallait
que je prenne cette décision pour mon bien et celui de mon
enfant. J'ai enfin décidé et même si mon cœur tremble rien
que d'y penser, je vais divorcer, pour moi et pour Farah
parce qu'on mérite d'être en sécurité et que notre sécurité
est le plus loin possible d'Ousmane.
Les yeux dans le vide, je réfléchis. Ça fait déjà un mois que
j'ai décidé de divorcer. J'ai pensé à tort que ce serait simple
mais c'est beaucoup trop difficile. Je me demande si je ne
devrais pas abandonner cette idée, si je ne devrais pas
attendre encore un peu. Attendre la fin du procès, attendre
quelques mois de plus, attendre ... quoi exactement ? Je ne
sais pas. Est-ce que le faire plus tard rendra les choses un
peu plus faciles ? Je ne sais pas, c'est juste que je suis
fatiguée. J'ai parlé avec Ousmane et il ne veut pas entendre
parler de divorce, il souhaite me maintenir dans un mariage
qui n'en ai plus un et qui ne peut même plus se vivre car
nous serons séparés pendant je ne sais combien d'années.
J'ai essayé de voir des imams afin qu'on m'explique la
démarche à suivre et me guider pour une séparation à
l'amiable mais que n'ai-je pas entendu ? « Le divorce est un
acte très détesté d'Allah...», « Ma soeur, tu devrais plutôt
soutenir ton mari dans ce moment difficile au lieu de
l'abandonner... », « Ma fille, il n'est pas bon de juger un cas
de divorce, tout ce que nous pouvons faire est essayer de
vous réconcilier... », « Il ne faut pas le quitter, patiente et
endure, c'est en cela que se trouve ta récompense... ».
J'ai beau leur expliquer qu'il a des tendances violentes, qu'il
m'a battue à plusieurs reprises et m'a fait perdre mes
enfants, qu'il était marié à une autre femme et que celle-ci
est morte sous ses coups, qu'il est en prison et que je ne
peux rester liée à lui, ils me disent presque tous la même
chose: « endure et patiente ! Prie pour lui, la prison fera de
lui un autre homme, Allah va le changer pour toi, tu verras...
». Personne n'a voulu m'expliquer comment m'y prendre
pour divorcer. Alors je suis là. Je ne veux pas impliquer sa
famille car je sais que ses oncles me maudiront sûrement
s'ils entendaient cela, je serais traitée d'ingrate et mise en
disgrâce. Certains des guides que j'ai vus m'ont dit: « s'il te
battait vraiment, pourquoi tu n'es pas partie plus tôt ?
Pourquoi tu es restée et c'est maintenant qu'il est en prison
que tu veux fuir ? Le mariage c'est pour le meilleur et pour
le pire et tout ça fait partie du pire. Ne donne pas raison au
diable, reste et soutient ton mari!».
Je suis juste fatiguée d'entendre tout ça.
Une chose est sûre, même si je ne divorce pas maintenant,
je ne compte pas le suivre si jamais sa demande
d'extradition est accordée. Et si ce n'est pas le cas, je ne
sais pas si je pourrais supporter l'idée qu'il soit à la MACA
et que je doive aller tout le temps le voir. Ces gens ont
réussi à me faire culpabiliser car je me sens effectivement
comme une méchante personne, ingrate et insensible.
Je reviens du procès, exténuée. J'ai passé toute la journée
au tribunal. Je me demande pourquoi je m'inflige tout ça,
quand bien même je ne dois pas comparaître. Je viens pour
qu'il sache que malgré tout, je suis avec lui. Je viens y
assister pour qu'il sache qu'il a une famille et qu'il n'est pas
seul au monde. Pour qu'il comprenne que même si je veux
divorcer, je ne compte pas le rayer définitivement de ma vie
parce que nous avons un enfant ensemble et que malgré
tout, je suis encore la Siamy qui a été sa meilleure amie
pendant les Seize premières années de sa vie. Je ne veux
pas être son ennemie, je ne veux juste plus être sa femme.
Il est l'heure de la troisième prière de la journée, j'entends
l'appel à la prière non loin de l'endroit où je me trouve alors
je demande à un passant où se trouve la mosquée. On
m'indique et j'y vais. Après la prière de groupe, je reste un
peu dans la mosquée pour méditer et réciter des
invocations plusieurs fois en utilisant mon chapelet, cela
s'appelle le zikhr, qui signifie le rappel. Lorsque je termine,
tous les fidèles sont partis depuis bien longtemps. Je trouve
un homme dans la cour de la mosquée en train d'arroser les
plantes, je le salue en lui souhaitant la paix et je lui
demande si l'imam de la mosquée est sur place et si je
peux le rencontrer.
Je profite du fait que je sois déjà dans la mosquée pour
demander, je n'ai plus rien à perdre et au pire des cas il me
dira pareil que les autres. Il me demande à quel sujet je
souhaite voir l'imam, pour savoir s'il peut m'aider ou pas. Je
ne sais pas qui il est et je suis un peu gênée de devoir lui
expliquer. Je fini par lui dire que ce n'est pas la peine, c'était
juste pour demander une information mais qu'il laisse
tomber car ce n'est pas si important. Il me répond que ma
mine traduit le contraire et que j'ai l'air vraiment préoccupée.
Je lui réponds que je ne veux parler qu'à l'imam et que s'il
ne peut pas m'aider, ce n'est pas la peine d'insister pour
que je lui parle à lui car on ne se connait pas. Il sourit et me
dit que c'est lui l'imam.
Je suis surprise et en même temps gênée. Je me surprends
à douter, à me demander s'il n'essaie pas de se payer ma
tête quand il sort une carte de membre du Conseil
Supérieur des Imams de Côte d'Ivoire (COSIM,) où je peux
voir le nom de la mosquée et son titre d'imam. Je m'excuse
alors auprès de lui et il en fait de même, puis il se présente.
Il se nomme Cheick-Abdine Doumbia. Je suis surprise par
son humilité et sa simplicité.
Il m'invite à prendre place sur une chaise non loin des fleurs
et il en fait de même.
Je finis par lui raconter mon histoire et lui demander
comment procéder. Il soupire un instant et au moment où je
m'attends à ce qu'il me décourage comme tous les autres, il
me dit :
- Bien, après avoir vu tous ces imams sans abandonner ton
idée, malgré toutes leurs réponses décourageantes, je
conclus que c'est réellement ta décision et que tu sais
exactement ce que tu veux. Étant aussi sûre de toi, je ne
peux que te guider dans ta démarche. Mon rôle est
d'instruire et de partager la science religieuse avec ceux qui
en ont besoin et non de cacher aux gens ce que Dieu lui-
même a divulgué dans son livre.
Je te donnerai les étapes à suivre, et ce sera à vous deux,
de faire ce qu'il faut. Et si dans cette séparation il y a un
bien pour vous sur cette terre comme dans l'au-delà, alors
qu'Allah vous facilite et vous accorde une issue favorable.
Tellement choquée et émue à la fois par ce qu'il vient de me
dire, je fonds en larmes. Il comprend à quel point c'est
important pour moi d'entendre ces mots alors il continue :
- Ils ont été nombreux à te dire qu'Allah déteste le divorce et
ils n'ont pas tout à fait tort. Allah n'aime pas le divorce mais
dans sa grande sagesse et sa miséricorde il l'a autorisé en
dernier recours car il connaît ses créatures plus qu'elles-
mêmes, il sait que nous ne sommes pas parfaits et qu'on
peut se tromper mais surtout, se faire énormément de mal.
Il a dans sa grande sagesse consacré toute une Sourate au
divorce : la Sourate 65, Al Talaq qui signifie le divorce, où il
est expliqué clairement les conditions du divorce et
comment divorcer avec clémence. Ma sœur, ALLAH le Très
Haut dit dans la Sourate 4 : verset 130 : si les deux se
séparent, Dieu de par sa largesse, accordera à chacun
d'eux un autre destin. Et Dieu est plein de largesses et
parfaitement sage. ) Le Divorce n'est pas toujours une
abomination comme nombreux le pensent, parfois c'est
l'ultime issue pour éviter la catastrophe. Le divorce est,
dans bien des cas, l'alternative pour sauver des vies et
éviter des suicides.
Si ALLAH la permis malgré tout, c'est parce qu'il nous aime
assez pour nous donner des secondes chances. Et si Allah
nous aime assez pour nous offrir une porte de sortie, nous
devons à notre tour nous aimer suffisamment pour saisir
cette chance quand il le faut. Ne t'en veux pas, tes raisons
sont parfaitement légitimes. Et si cet homme vous aime
réellement l'enfant et toi, il devrait pouvoir te comprendre et
t'accorder ce que tu demandes, même si ce n'est pas
facile…
• Merci, merci beaucoup pour ces mots. Vous ne savez
pas ce que vous venez de faire mais vous venez de
sauver une vie, vous venez de gagner une âme, vous
venez de planter de l'amour pour Allah et de l'espoir en
Lui dans mon cour. Merci imam, merci.
• Dis-moi, il prie ? Est-il ancré dans la religion ?
Pas vraiment Imam. Il priait souvent mais pas vraiment avec
conviction et il ne le faisait pas tout le temps. Il n'est pas
très religieux. Juste assez pour maintenir les apparences et
moi aussi j'avoue, j'étais pareille que lui.
- D'accord. Attends, je reviens.
Il se lève et se dirige vers une porte fermée, il l'ouvre et y
entre puis ressort quelques minutes plus tard avec des
bouquins.
- Tiens ça, je te les offre. Lis-les, apprends à mieux
connaître ton Seigneur et à avoir une intimité avec lui.
Apprends à connaître la religion avec amour et sans
préjugés, lis le coran pour comprendre la vie et ses cycles.
Je dis toujours que l'islam est le remède de la vie et que le
coran en est la posologie.
Lis la sourate le divorce et imprègne toi de cela. Fais ta
prière de consultation et confie le projet à Dieu. Autant il
faut le faire quand on veut se marier, il faut aussi le faire
quand on veut divorcer et pour toutes les grandes décisions
de nos vies.
• Je ne sais pas comment on fait ...
Google jeune dame ! Tu y trouveras linvocation en arabe,
en phonétique et en français. Tu trouveras des vidéos sur
YouTube pour savoir comment t'y prendre.
Apprends et fais-le.
Tu peux même avoir l'invocation sur papier et le lire
pendant la prière si tu ne réussis pas à le mémoriser.
• D'accord Imam, je le ferai dès que je rentrerai chez
moi.
• Prends ma carte, je veux rencontrer l'un de tes
parents, je viendrai te voir dans ta famille et si je peux
aussi avoir une autorisation, j'aimerais rencontrer ton
époux et l'écouter. Il serait judicieux pour moi d'avoir
toutes les cartes en main si je veux pouvoir vous aider
tous les deux à sortir de cette impasse.
• Merci Imam. Je vous appelle dès demain.
Ça me fera plaisir que vous puissiez rencontrer Ousmane et
parler avec lui d'homme à homme. Il n'a pas vraiment de
famille et actuellement je pense qu'il a besoin d'être guidé et
conseillé. Il a aussi besoin de se tourner vers Dieu et de
trouver un refuge saint qui lui permettra de tenir. Je ne peux
pas faire tout ça pour lui car je tiens à peine ma propre vie.
- Il n'y a pas de soucis, on fera ça in shaa ALLAH. Si Dieu le
veut, tout ira bien.
Je le remercie vivement et je sors de cette mosquée,
soulagée et avec beaucoup d'espoir dans les yeux et dans
le cœur.

Nous sommes assis sur la même table que la première fois


où je suis venue le voir.
Sauf que cette fois-ci, il règne un froid entre nous. Je suis
venue avec Farah aujourd'hui.
Elle n'a pas vu son père depuis des mois et j'ai pensé que
c'était le bon moment car son procès tire à sa fin et dans
quelques jours, le jugement final sera rendu. Farah lui tire la
barbe, elle semble
aimer son nouveau style avec cheveux et barbes fournies.
Je suis soulagée qu'il ait eu droit à une douche ce matin,
j'appréhendai que Farah ne supporte pas son odeur ou qu'il
ne soit pas assez propre pour pouvoir la prendre mais je
suis agréablement surprise car il porte même une chemise
neuve. Il m'a demandé de donner tous ses vêtements et
effets personnels à une œuvre caritative.
J'ai enfin eu le courage nécessaire d'aller chez moi et faire
les cartons il y a quelques jours. J'y suis allée avec Safiatou
et Soraya, ainsi que la femme de ménage de maman. J'ai
récupéré son ordinateur et tous les documents afférant au
travail ou à ses affaires commerciales et j'ai tout fait
envoyer à ses avocats afin qu'ils s'en occupent. Nous avons
vidé et libéré la maison, j'ai moi aussi donné la majorité de
mes vêtements et ustensiles à des personnes dans le
besoin.
Je n'ai gardé que le strict nécessaire pour un
recommen- cement.
Je le regarde jouer avec Farah et je ne sais pas quoi mais
quelque chose en lui a changé.
Il a rencontré l'imam Cheick- Abdine depuis quelques
semaines et ils se sont énormément parlé depuis. L'imam
lui a rendu visite plusieurs fois et l'a confié à la communauté
musulmane de la prison. Il m'a informé qu'il y a une
mosquée au sein de la prison et qu'il a commencé à la
fréquenter. L'imam lui a aussi offert des livres sur la religion
et un Coran qu'il s'est mis à lire. Ils ont abordé la question
du divorce et même si lui et moi n'en avons pas reparlé
depuis, l'imam m'a assuré qu'il était de plus en plus
favorable à lidée. Il rit avec Farah et c'est avec tristesse que
je me rends compte que c'est peut-être la dernière fois
avant très longtemps qu'ils joueront encore ensemble. Au
fond de moi, j'espère que sa sentence ne sera pas trop
dure, qu'il ne sera pas
condamné à plus de vingt ou trente ans de prison car il
manquera tout de la vie de Farah et ce ne sera pas facile
pour eux deux. Je les laisse jouer et pendant ce temps, je
pianote sur mon téléphone, pour ne pas voir le temps
passer et pour ne pas attarder mon regard sur lui et
préserver mon cour.
Ce jour restera l'un des plus marquants de ma vie, le
dernier jour du procès d'Ousmane.
J'avais décidé de ne pas y assister mais j'ai changé d'avis à
la dernière minute et j'ai demandé à maman et Soraya de
venir avec moi. Adja et Sita se sont jointes à nous. La
journée a été longue. Il y eut des pleurs, de longs
monologues, des questions cruelles, l'évocation de certains
souvenirs qui ont fait pleurer. Il y eut des pauses, des
entrevues, des négociations et des explications. Un
chapelet de preuves, une longue liste de contradictions et
des discours attendrissants. Il y eut beaucoup de fatigue,
d'inquiétudes, d'incertitudes...
Le verdict est enfin tombé : Ousmane est condamné à dix-
huit années de prison ferme avec possibilité de recours ou
de rémission de peine à partir de treize années purgées.
La décision du tribunal de conflit sur son extradition vers le
Royaume-Uni sera rendue dans cinq jours.
J'avoue que ses avocats ont fait un travail remarquable,
même si je ne peux m'empêcher d'être triste pour les
parents d'Alice qui auront l'impression qu'il n'a pas écopé
d'une peine assez lourde pour ce qu'il a fait. Il ne pourra
sans doute plus jamais renouer avec ses enfants car leur
garde a été accordée à leurs grands-parents. Ils seront déjà
adultes lorsqu'il sortira et auront entendu tellement de
choses horribles sur lui qu'ils ne voudront pas faire partie de
sa vie, il les a perdus pour de bon.
Ça fait exactement trois jours qu'il a été condamné. Trois
jours purgés sur les dix-huit ans. C'est comme deux gouttes
d'eau dans l'océan. Il n'a pas voulu attendre de savoir s'il
sera extradé ou pas, il a demandé que je vienne aujourd'hui
pour qu'on en finisse. Nous nous sommes entendus sur
cette décision grâce à l'imam et si on avait du temps, on
aurait fait les choses avec des intermédiaires et sans aucun
cérémonial.
Mais il a tenu à me voir en personne et l'imam a tenu à être
là afin de s'assurer que tout se passe dans la paix et dans
le calme. J'ai aussi tenu à ce que maman m'accompagne,
pour qu'elle soit témoin de tout et qu'elle m'assiste.
Nous sommes assises depuis un bon moment et chaque
minute qui passe, mon cœur bat à se rompre. J'ai envie de
retourner sur mes pas, sortir de cet endroit, courir loin.
J'ai envie de leur dire non, je ne veux plus le faire, j'ai
besoin de plus de temps. C'est un peu comme être au
chevet d'un être aimé en mort cérébrale, qu'on doit
débrancher.
Tu repousse l'échéance, chaque minute qui passe, tu veux
attendre une minute de plus parce que une fois débranché
ce sera fini pour de bon. Tu devras vivre sans cette
personne pour le restant de ta vie alors tu t'accroches,
parce que même si l'être aimé ne se réveillera plus jamais,
tant qu'il est encore branché, il est encore un peu là. Tu
peux encore le toucher et lui parler même s'il ne te répond
pas, tu peux encore entendre son cœur battre même s'il ne
se lèvera pas. Tu sais que tu dois le débrancher pour que
lui aussi puisse avoir le repos et s'en aller mais tu
t'accroches encore un peu parce que tu sais à quel point ce
sera dur de vivre sans lui...
Il arrive et s'installe en face de nous. Il salue maman et
prend des nouvelles, puis l'imam et ensuite moi. Je sens
qu'il a pleuré, ses yeux sont rouges et bouffis. Je sais qu'il
est désemparé et bouleversé, je le suis aussi mais il faut
qu'on le fasse. L'imam nous fait des bénédictions, récite des
invocations et demande à Dieu de nous pardonner, de nous
guider vers ce qui sera un bien pour nous et de nous
préserver. Je demande à Ousmane de me répudier, la
gorge nouée. Il soupire un grand coup, et remue la tête, je
peux voir à quel point c'est difficile pour lui de le faire et je
comprends que c'est la plus grande preuve d'amour qu'il ne
m'ait jamais donné.
Il répète trois fois :
Je te
répudie.
Je te
répudie.
Je te
répudie.
Je lui tends une enveloppe avec la somme exacte de sa
dote et la bague qu'il m'a offert le jour du mariage. Il ouvre
l'enveloppe et inspecte le contenu. L'imam lui demande si la
somme est exacte, il répond par l'affirmative. Puis, il me
demande depuis combien de temps nous sommes séparés
de corps, je lui réponds « cinq mois ». Il me demande si je
ne suis pas enceinte, je réponds non. Il explique que vu les
conditions dans lesquelles nous avons été séparés, la
période de viduité est déjà largement passée et si je suis
sûre de ne pas porter de grossesse, alors c'est OK.
Il se tourne ensuite vers Ousmane et lui demande s'il
accepte sa dote et me rend ma liberté, celui-ci me fixe dans
les yeux et me dit " j'accepte de reprendre ma dote et je te
rends ta liberté )
Je peux voir une larme perler sur sa joue pour terminer sa
course dans sa barbe. Il ajoute qu'il veut que je garde la
bague pour l'offrir à sa fille lorsqu'elle aura l'âge de la
porter.
J'accepte, je lui tends la main et il pose la bague juste au
milieu de ma paume, sans me toucher. Je ne suis plus son
épouse, je lui suis désormais interdite et il n'a plus le droit,
ne serait-ce que de m'effleurer, et cette réalité me blesse.
Je ferme mon poing sur la bague et nous restons assis là à
nous observer l'un l'autre, pour essayer de prendre la pleine
conscience que c'est réellement fini et que nous sommes
désormais divorcés. Il se lève brusquement et se redresse.
Il s'essuie le visage et fait face à l'imam
- J'offrirai l'argent de la dote à la mosquée de la prison et je
demanderai qu'on fasse des prières pour moi, afin que mon
cœur guérisse.
• C'est une bonne chose. Prie beaucoup et confie tout à
Allah. Sil a facilité cette chose, c'est qu'il y a en cela un
bien, pour vous deux.
• Merci Imam. Je vais retourner à ma cellule.
Maman, Siamy, rentrez bien. Embrassez Farah de ma part,
dites-lui que je l'aime très
fort…
Il tourne les talons et s'éloigne, suivi du garde pénitencier.
Je reste figée pendant un bon moment à le regarder partir
puis lorsqu'il disparaît de mon champ de vision, je
m'effondre dans les bras de maman...
Je suis sur la terrasse de maman en train de lire mon Coran
en français. Je viens de terminer ma deuxième prière de la
journée et Farah joue juste à côté de moi. J'ai passé ces
quarante-huit
dernières heures à pleurer sans que je ne sois vraiment
soulagée. Je savais que ce serait dur, mais je ne savais pas
à quel point. J'essaie de me plonger dans la méditation et la
lecture afin que mon cœur se détourne un peu de sa
douleur mais c'est presque peine perdue.
J'essaie de me concentrer quand mon téléphone sonne,
j'hésite à décrocher car je n'ai aucune envie de parler mais
le numéro insiste alors je finis par décrocher. C'est l'un des
avocats anglais d'Ousmane.
Il m'informe que la demande d'extradition a été acceptée
par le tribunal de conflits et qu'il ira purger sa peine au
Royaume-Uni. On l'emmène dès ce soir alors il a demandé
à ce qu'on m'informe. L'avocat, maître Philippe m'informe
aussi qu'Ousmane a confié à leur cabinet, la gestion de son
patrimoine et qu'une pension me sera versée chaque mois
pour Farah. Il sera lui-même dans quelques jours au
Royaume-Uni pour suivre le transfert d'Ousmane vers la
prison désignée pour sa peine et a prévu lors de sa
première visite, essayer de faire un appel vidéo avec
Ousmane pour qu'il puisse voir Farah.
J'acquiesce, je lui demande juste de tenir compte de l'heure
et de me prévenir par mail, la veille afin que je puisse
prendre mes dispositions. Sur ce, nous nous laissons.
Je reste là à soupirer et regarder dans le vide pendant un
bon moment. Farah vient se blottir contre moi et je la serre
très fort dans mes bras, en espérant que sa présence
puisse combler ce vide énorme que je ressens

.
Chapitre 10
Je pose ma tasse de chocolat chaud juste devant moi, sur
la petite table ronde dans le coin. J'ajuste ma chaise et la
colle bien à l'angle du mur avant de m'installer.
Le grand pot de fleurs posé devant la seule petite entrée
qu'il y a entre les deux grandes étagères pour atteindre ce
petit coin dissuadera quiconque essayera de se faufiler
jusqu'à moi. Je suis comme dans une bulle, coincée entre le
mur et les deux grands blocs de bois très hauts, des
étagères de bibliothèques sur lesquelles les livres
s'empilent.
Des livres, colorés, poussiéreux, joyeux ou tristes. Des
livres instructifs, des romans, des livres de fiction, de
science ou des encyclopédies.
J'ai appris à aimer la présence des livres,
j'ai commencé par les ouvrir et je n'ai plus réussi à
m'arrêter. Plonger dans des histoires, des mondes, des vies
lointaines et des aventures épiques m'a aidé à oublier les
tares de ma propre vie. Je n'avais jamais vraiment été une
grande lectrice auparavant, mais sur les conseils de mon
psychologue, je m'y suis mise pour faire passer le temps qui
me semblait trop long, lent et douloureux. Au fur et à
mesure que je me plongeais dans les livres, j'arrivais à
m'extraire de ma réalité et à me créer un espace sécurisé
dans lequel je pouvais trouver refuge. Les choses n'ont pas
été faciles, encore moins rapides mais aujourd'hui, plus de
trois années après mon divorce, je revis.
Je regarde de loin celle que j'étais devenue dans ce
mariage et je peine à y croire.
Cette femme brisée, hypersensible, morne, nonchalante et
sans personnalité qui s'enlisait dans l'habitude de sa
situation anormale sans pour autant le voir, a réussi à
disparaître avec le temps et faire place à celle que je suis
aujourd'hui.
Mon inaction, ma lenteur à réagir, le déni dans lequel je
vivais et cet amour insensé que je ressentais ont failli me
conduire vers ma perte. À quel moment ai-je sombré ?
À quel moment la honte d'avouer que mon mariage était un
échec est devenue le carburant qui me maintenait dans ce
mensonge ? Comment j'en suis arrivée à aimer quelqu'un
plus que ma propre personne et à m'accrocher à cette
personne malgré tout ? Je ne saurais le dire. Mais j'ai appris
à ne plus culpabiliser. Ce dont je me souviens, c'est que
j'avais plus peur de le perdre que de me perdre moi-même
et que je me suis finalement perdue. J'avais peur de ne pas
réussir à cesser de l'aimer alors j'ai cessé de m'aimer. J'ai
tout donné, tout encaissé, tout reçu de lui comme un
cadeau du ciel alors que lui m'a tout pris, jusqu'au noyau de
mon âme. J'ai fermé les yeux sur ses défauts et vu ses
qualités à la loupe alors, malgré tout ce qu'il pouvait me
faire de mal, je ne voyais que ce qu'il faisait de bien. Je
décidais constamment de choisir de voir l'ange plutôt que le
démon en lui. Je me suis prise pour celle qui aurait le mérite
de le transformer, et finalement c'est lui qui m'a façonnée à
sa guise en me faisant accepter l'inacceptable.
J'ai entendu quelqu'un dire : Ayons plus de compassion
pour les personnes dans des relations toxiques et agissons
envers elles avec sagesse au lieu de les juger. Vous n'avez
aucune idée
de la quantité de manipulation qu'il faut pour emmener
quelqu'un de bonne foi à se remettre constamment en
question. La quantité de stratégies et de simulations
utilisées par leurs bourreaux pour leur faire accepter des
choses, pour les faire culpabiliser et les maintenir sous
contrôle.
Ces derniers peuvent passer des mois, des années à vous
aimer si incroyablement et prendre soin de vous que
lorsque leur comportement change envers vous, vous êtes
tellement choqué que vous pensez en premier lieu que c'est
une erreur. Vous vous dites qu'ils traversent sûrement
quelque chose de difficile et votre instinct vous dicte d'abord
de chercher à les aider. Vous vous dites qu'ils ne pouvaient
pas avoir l'intention de vous traiter de cette façon parce que
ce n'est pas ce que vous savez d'eux. Mais c'est parce
qu'ils ont passé tellement de temps à vous donner
exactement l'amour que vous désiriez que vous faites un
déni.
Et vous attendez, encore et encore, qu'ils redeviennent ce
qu'ils étaient. La vérité c'est qu'ils ont toujours été ce que
vous venez de découvrir, ils avaient juste joué un rôle afin
de mieux vous apprivoiser et vous dompter.
Et plus vous attendrez de les voir devenir ce que vous
souhaitez, plus vous courrez à votre perte... » ces paroles
m'ont aidée à comprendre que je devais me pardonner et
que ces choses n'étaient pas ma faute.
S'il n'y avait pas eu ce drame, cette tragédie, si Ousmane
n'avait pas tué Alice et n'avait pas été arrêté, peut-être
serais-je encore sous son emprise jusqu'aujourd'hui. Peut-
être serais-je encore dans sa maison en train de cuisiner et
me faire belle pour lui, en espérant qu'il ne s'énerve pas
contre moi et qu'il ne me batte pas. Ou peut-être serais-je
morte, sous ses coups. Je ne sais pas qui j'étais devenue
mais je regrette aujourd'hui d'avoir été cette
personne. Il m'a fallu du temps, beaucoup de temps et de
volonté pour combler et réparer tous ces trous dans mon
cœur et dans mon âme. Il m'a fallu accepter que je n'allais
pas bien, que je n'étais plus une personne normale et que
je devais me soigner.
Au début, je me suis fortement plongée dans la prière mais
rien n'arrivait à enlever ce poids dans ma poitrine. Je ne
dormais plus correctement, je lisais des livres religieux et
j'apprenais certes, mais je n'étais pas soulagée, je me
sentais toujours submergée.
Parfois, j'avais l'impression d'étouffer. Je rêvais de lui, de
nos enfants. Je manquais de sommeil et de repos, il me
manquait aussi énormément. Chaque petite attention qu'il
avait l'habitude de m'accorder dans notre foyer me
manquait. Et chaque fois que son avocat appelait pour qu'il
parle à sa fille, ma douleur se réveillait. Le voir à travers
l'écran du téléphone réveillait énormément de choses en
moi et je me détestais de continuer à penser à lui. Je
devenais nerveuse et désagréable, pleine de colère, de
ressentiments et de tristesse. J'en voulais au monde entier
du fait que les choses n'aient pas fonctionné, du fait qu'il
n'ait pas été ce qu'il devait être pour moi. Du fait que,
malgré toutes mes précautions du départ, je me sois
trompée sur le choix de mon époux et que j'en sois à l'aimer
encore bien qu'il soit un menteur, manipulateur, violent et
assassin. Je m'en voulais énormément et plus je
culpabilisais, plus je m'auto- flagellais et plus mon corps et
mon esprit me lâchaient.
Mes crises d'angoisses avaient repris de plus belle, j'ai
temporairement arrêté de travailler et les seules fois où
j'arrivais à parler et mettre des mots sur ce que je
ressentais, c'était lorsque j'allais voir l'imam Cheick- Abdine.
Maman et Soraya ont fait de leur mieux pour être présentes
à mes côtés mais mon problème était beaucoup plus
profond.
Beaucoup de choses avaient été brisées, déchirées et
cassées en moi. Je parlais de temps en temps en ligne
avec le psychologue bénévole de la Ligue et il m'aidait
beaucoup mais ce n'était pas suffisant. Il m'a fallu beaucoup
de courage et de force pour accepter de me faire consulter
à l'hôpital psychiatrique de Bingerville. Pour moi, y aller, ne
serait-ce que pour une consultation, c'était m'avouer folle.
Reconnaître déjà que j'avais besoin d'aide à ce niveau fut
très difficile pour moi. Mais encore une fois, mon courage
m'est venu des sages conseils de l'imam Cheick-Abdine.
Il m'a encouragée en ces termes : & ma sœur, ALLAH est
avec toi et ne cessera de l'être mais tant que tu seras en
proie à tous ces tourments, je crains que tu ne puisses pas
pleinement profiter de sa proximité et te délecter de son
intimité. La foi guérit certes, mais les médecins, les
traitements et les médicaments sont pour l'homme des
canaux par lesquels Dieu passe pour guérir.
Si, par exemple, tu as un paludisme, tu feras tes prières
certes, mais tu iras à l'hôpital te soigner avec un traitement
antipaludique et lorsque tu iras mieux, tu remercieras le
Seigneur. Mais tu ne resteras pas là à ne rien faire ! Eh bien
c'est pareil. Tu peux prier, lire ton coran, te confier à Dieu
mais tu dois aussi te soigner médicalement. Te faire
consulter et suivre un traitement t'aidera à avancer. Tu as
déjà fait le plus grand exploit en prenant sur toi de sortir de
ce mariage et tu fais déjà beaucoup en te levant chaque
matin et en essayant de survivre avec ton enfant.
Continue sur cette lancée en te soignant proprement pour
te donner une chance et un nouvel
avenir. N'aie pas honte d'aller te soigner, l'esprit est aussi
une partie de ton être qui a besoin de soins car ton corps et
tes organes subissent et gardent les séquelles quand ton
esprit ne va pas bien. Tu n'es pas folle, mais tu es
traumatisée et dépressive et c'est une maladie comme toute
autre. Je veux que tu te soignes, pour toi même d'abord,
ensuite pour ta fille, pour ta mère, pour ta sour et pour tous
ceux qui t'aiment ... »
Je ne sais pas ce que serait ma vie aujourd'hui si je n'avais
pas rencontré cet Imam par hasard ce jour-là car il a été un
ange sur mon chemin et la main de Dieu dans mon destin.
Grâce à lui, j'ai accepté d'aller à l'hôpital psychiatrique me
faire consulter et même de me faire interner pour quelques
jours.
Juste pour me reposer avait dit le médecin et effectivement,
j'ai pu bien me reposer. J'ai pu voir autre chose que mon
monde, j'ai pu déposer mes démons et mes tourments aux
pieds de mon lit et j'ai pu dormir correctement. Cette
expérience a été très bénéfique pour moi, ça a été le début
de ma guérison. Ça ne ressemblait en rien à ce que j'avais
imaginé, ayant pour référence les films d'horreurs sur les
maisons de fous. Ce n'était rien de tout ça, c'était juste un
hôpital comme tout autre. Je faisais des balades matinales
dans les jardins, je mangeais correctement, je lisais à la
bibliothèque, j'avais mes séances de paroles l'après-midi et
je parlais beaucoup car j'avais beaucoup à dire. Puis, je
faisais du sport en fin de journée, et j'allais au lit en prenant
mes cachets pour mieux dormir. Les infirmières et le
personnel soignant étaient très gentils et joyeux, ils
répandaient de la bonne humeur partout. On pouvait se
parler entre patients, marcher ensemble et faire de
nombreuses autres activités. J'avoue qu'au bout de la
semaine passée là-bas, je n'ai plus eu envie de sortir, je
n'avais pas envie de retrouver mon quotidien. Mais le
docteur me rassura que tout irait pour le mieux. Il m'aida à
établir un emploi du temps complet de choses que je devais
faire, d'endroits où je devais aller, de comment je devais
meubler mes journées... Il me prescrit deux séances de
paroles avec lui par semaine et des cachets pour dormir
facilement. Je devais noter des choses dans un carnet : ce
que je faisais, ce que je ressentais, ce à quoi je pensais et
ce dont j'avais envie. Je devais tout noter et à chaque
séance, je lui lisais le contenu du carnet avant qu'on en
parle. Cet exercice m'a énormément aidée à mettre des
mots sur mes ressentis et à m'ouvrir à moi-même, cela m'a
également aidé à me découvrir, à me guider, à savoir et
décider plus facilement de ce que je voulais. Puis les
séances de paroles sont passées de deux à une fois par
semaine, et à une fois toutes les deux semaines et enfin à
une fois par mois. Mes cachets ont diminué au fur et à
mesure et la fréquence des prises aussi, jusqu'à ce que je
réussisse à dormir paisiblement toute seule et que je ne
fasse plus de crises d'angoisses. Plus le temps passait et
plus j'arrivais à être de plus en plus en paix avec moi-
même. Et plus je trouvais la paix en moi, plus je grandissais
dans ma foi et dans mon cheminement spirituel.
Il a fallu que je me soigne pour réussir à réellement
savourer la douceur de la foi, le plaisir de communier avec
Dieu dans la prière et atteindre la plénitude de
m'abandonner sincèrement et entièrement à lui.
Tout cela ne s'est pas fait en un jour, ça a pris du temps,
beaucoup de temps. Ça m'a coûté de la volonté, de la force
et de la résilience mais j'y suis finalement arrivée.
J'ai soigné mes blessures et j'ai aussi soigné ma vie. Pour
couper le mal à la racine, j'ai décidé de ne plus avoir d'in-
teractions avec Ousmane. Les appels vidéo à Farah une
fois par semaine ont été mis sous la supervision de ma
mère et il en sera ainsi jusqu'à ce que Farah soit assez
grande pour posséder un téléphone. Je lui ai écrit une lettre
d'adieu dans laquelle je me suis ouverte sur mes blessures
et dans laquelle je lui ai dit toutes ces choses que j'aurais
dû lui dire auparavant mais que j'avais tues, par amour. Ça
m'a soulagée de lui dire qu'il ne me méritait pas, que je
méritais mieux que lui, qu'il avait été un mauvais mari et
que sa façon d'aimer n'était pas la bonne. Je lui ai dit
beaucoup d'autres choses et je pense que c'est lorsque j'ai
terminé cette lettre que notre histoire a été vraiment
terminée. Je lui ai demandé de ne pas me répondre. J'ai
appris progres- sivement à l'effacer de ma mémoire et je
suis souvent surprise à quel point le cerveau peut se
réinitialiser et à quel point le temps et l'oubli sont des alliés
solides.
Je porte ma tasse de chocolat chaud à la bouche, je ferme
les yeux pour mieux savourer la texture onctueuse et
moussante et le goût exquis. Je repose la tasse en prenant
soin de humer l'odeur douce et chaude du chocolat avant
de me replonger dans mon livre. Je lis " les impatientes" de
Djaili Amadou Amal. Je suis révoltée, triste et peinée par les
histoires et les destins de Ramla, hindou et Safira. Mariage
forcé, viol conjugal, polygamie, destin brisé et chagrin
continu meublent ces récits. Le seul conseil donné à ces
femmes face à au désarroi est
"patience !" il faut seulement patienter et endurer, en
attendant la mort peut-être.
Et pourtant, comme je les comprends! Je sais presque tout
de leurs douleurs et de leurs peines et je lis ce livre comme
si c'étaient mes sœurs d'une autre vie, mes compagnes de
cellule que j'ai abandonnées en quittant la prison sans
elles…
Je n'aime pas trop lire ce genre de livres qui me rappellent
beaucoup de choses douloureuses mais je suis
agréablement surprise de ne pas m'effondrer plus que ça, le
temps est passé par là et les fissures ont été refermées.
J'ai appris énormément cette année en lisant des livres de
développement personnel et des biographies. J'ai eu envie
de réel changement dans ma vie, surtout professionnelle.
J'ai ressenti le besoin d'évoluer, de faire autre chose,
d'avoir plus de responsabilités et de changer de mission.
J'ai donc soumis ma candidature au très sélectif concours
de la fonction publique pour briguer le poste d'adjoint aux
chefs d'établissements, aussi appelé censeur de lycée, et,
grâce à mon acharnement au travail et à Allah le tout
puissant, j'ai obtenu le poste. J'ai été affectée au bureau
régional d'Abidjan nord et j'ai pris fonction il y a quelques
semaines au sein du lycée moderne d'Abobo. Je suis
heureuse d'être précisément à cet endroit. Je suis tombée
amoureuse de ce lycée dès que j'y ai mis les pieds. J'aime
cette nouvelle aventure que le destin me donne de vivre.
J'ai loué un petit appartement de deux pièces dans un bel
immeuble dans le charmant quartier village d'Abobo-baoulé
et j'ai aménagé cet appartement à mon goût avec beaucoup
de plantes et d'objets en bois et en poteries. Ma mère a
insisté pour garder Farah avec elle car Safiatou est partie il
y a quelques mois, s'installer dans sa ville natale pour faire
du commerce.
Son départ a été difficile pour moi, car elle était devenue
plus qu'une petite sœur, mais je suis restée en contact avec
elle.
Je suis donc de nouveau seule dans mon petit chez moi,
comme au tout début. je renais, j'apprends à aimer ma
compagnie et à me faire plaisir chaque jour. J'ai aménagé
une petite bibliothèque dans mon salon ainsi qu'un petit
coin de lecture, mais cela ne m'empêche pas de passer
mon temps libre à la bibliothèque du centre culturel d'Abobo
après chaque journée de travail et même les week-ends, le
centre étant à mi-chemin de ma maison et du lycée. C'est
d'ailleurs là que je suis actuellement, cachée dans un petit
coin que je me suis aménagée clandestinement, savourant
mon chocolat chaud et lisant mon livre.
Je suis à la dernière page du livre lorsque je reçois un
appel, mon téléphone est sur le mode silencieux mais je
peux voir l'écran s'éclairer et clignoter. J'hésite à décrocher
car je ne veux pas que ma voix alerte les personnes
présentes et qu'on cherche à savoir où je me trouve. Les
autres risqueraient de découvrir ma cachette et de venir s'y
poser les prochaines fois. Je reste là à réfléchir et l'appel
finit par se couper. C'est Maya. Je vais dans l'application
WhatsApp et je lui laisse un message, elle me répond
instantanément. Maya est en France depuis plus d'un an.
Elle a laissé son fils avec sa mère, et a enfin décidé de
terminer ses études. Madame Milanne a été soulagée
qu'elle prenne cette décision et qu'elle quitte Fancy pour de
bon. Mais en vérité, elle et moi savons que c'est Fancy qui
l'a quittée pour une autre mineure de seize ans, élève dans
une autre école. Elle a accepté de partir parce qu'elle
n'avait pas le choix mais parfois, des choses les plus
difficiles pour nous, viennent
nos bénédictions. Elle a trouvé sa paix dans les études,
s'est construit un cercle d'amis qui l'épaule énormément et
s'est découvert une passion pour le dessin et les excursions
dans la nature. Nous parlons presque tous les jours, nous
nous racontons nos journées et bien plus encore.
Je suis aussi fréquemment en contact avec l'imam Cheick-
Abdine, je n'hésite pas à lui demander des conseils, des
prières et des bénédictions. Il organise beaucoup d'actes de
charité et des collectes très souvent pour les membres de
sa communauté ou juste des personnes dans le besoin et je
n'hésite pas à l'aider, physiquement, financièrement et
moralement. Il est devenu un ami, un grand frère pour qui
j'ai énormément d'affection.
Je me suis aussi engagée dans la Ligue ivoirienne des
droits des femmes. Pas en tant que bénévole travailleuse
qui donne de son temps et se consacre aux survivantes sur
le terrain mais en tant que soutien, qui contribue
financièrement aux charges fixes et variables. Je préfère
aider de cette façon car c'est ce que je peux faire.
Être impliquée dans le social sur le terrain avec les
survivantes demande énormément au mental et je suis en
admiration devant le travail accompli par ces jeunes dames.
Je n'oublie pas que je suis moi aussi une survivante et
j'essaie de les aider à tenir leur promesse de faire en sorte
que les survivantes ne se sentent plus jamais seules.
Je termine ma dernière page après avoir répondu aux
messages de Maya, j'en profite pour terminer ma tasse de
chocolat qui est à présent tiède. Je referme mes livres et
range mes affaires quand je me souviens que je dois
envoyer un message à Bilal, il arrive bientôt et dois me
rapporter des livres d'auteurs nigérians. Je fais rapidement
la liste des livres que je veux et je la lui envoie. Il s'est marié
il y a quelques mois, avec une belle jeune dame haussa du
nord du Nigéria. Elle s'appelle Assiah.
Nous avons effectué le voyage, maman, Soraya, Farah et
moi pour assister à son mariage. Ce fut très simple mais en
même temps si magnifique. J'ai adoré le Nigéria et
j'aimerais beaucoup y retourner pour mes prochaines
vacances si Dieu le permet.
Il rentre à Abidjan pour quelques semaines avec son
épouse afin de la présenter à la famille. Nous ferons
sûrement une petite cérémonie symbolique à la maison,
pour célébrer leur mariage à notre façon, avec la famille et
les amis. J'ai hâte qu'il soit là, mais surtout avec mes livres.
Je ramasse mon sac à main, mon cartable et ma tasse vide
et je me faufile entre les deux étagères pour sortir de ma
cachette. Je prends le soin de retirer le grand pot de fleur
que j'avais posé pour camoufler l'entrée et je pars le
déposer à sa place. Au moment où je me dirige vers la
sortie, quelqu'un me hèle :
• Excusez-moi madame, désolée de vous déranger, je
cherche le rayon où se trouvent les livres nouveaux
horizons et la collection de livres de l'ambassade
Américaine.
• Heuu... tournez juste là sur votre droite, dépassez
l'étagère des encyclopédies, c'est juste à coté
• Ah ok! Merci beaucoup !
• Je vous en prie !
Je continue mon chemin quand elle se retourne et me hèle
de nouveau :
• Heuu, désolée de vous déranger encore mais ... On se
connaît quelque part non ?
• Je ne sais pas trop madame, je ne vois pas.
Vous connaissez heuu Soraya?
L'épouse de Hamid Sangaré
- Heu oui, c'est ma soeur!
• Ah voilà ! Je vous ai rencontré chez vous en famille, à
Treichville...
• Ah oui ! Je m'en souviens ! Vous étiez avec Abdul
Karim c'est ça ?
• Oui c'est effectivement ça.
• Excusez-moi mais votre nom m'échappe...
• Sacha, Sacha Keita !
• Ah oui c'est vrai, moi c'est Massiami Traoré. Ravie de
vous revoir !
• Moi aussi ! Saluez Soraya de ma part !
Ça fait vraiment longtemps.
- D'accord sans faute ! Saluez Abdul Karim de ma part
aussi !
• Je le ferai. Merci encore et bonne soirée!
• Merci!
Je la quitte tout en souriant. Je me rends compte que
j'aurais voulu avoir bien plus de nouvelles de Karim mais ça
aurait été bizarre de demander. La dernière fois que nous
nous sommes vus, lui et moi, j'étais enceinte des jumeaux.
Je l'avais rencontré par hasard dans un supermarché et il
m'avait félicité pour ma grossesse. Je sais qu'il n'est plus au
pays depuis bien longtemps. Soraya m'a dit qu'il était parti
bosser avec une compagnie russe, qu'il voyageait
beaucoup et donnait rarement de ses nouvelles alors elle-
même ne sait plus grand-chose de lui.
Je sors du centre culturel et je me dirige vers la gare de taxi
juste à côté du troisième portail de la mairie, en espérant
avoir une place assez rapidement pour rentrer chez moi.
J'ai appris à jardiner ces deux dernières années. J'ai lu
quelque part que le jardinage était très bon pour l'esprit
alors je me suis mise à faire des recherches sur le sujet. J'ai
regardé énor- mément de vidéos à propos des petites
cultures hors sol et j'ai intégré des forums et groupes sur les
réseaux sociaux dans lesquels les passionnés partagent
leurs expériences en la matière. J'ai commencé par faire
pousser des tomates sur mon balcon.
J'ai installé des étagères sur lesquelles j'ai placé des petits
pots avec les semences. Au début, je le faisais juste pour la
découverte mais c'est devenu une petite passion au fur et à
mesure. Mon moment favori de la semaine est lorsque je
me pose le samedi matin sur mon petit balcon avec un livre,
une tasse de thé ou de chocolat chaud en main, en
admirant l'évolution de mes tomates et la beauté de mes
fleurs naturelles posées le long du balcon. J'ai hâte de
montrer mon petit coin à Bilal, je lui en ai tellement parlé !
Je me regarde dans le miroir et je souris.
J'ai mis un ensemble pantalon et tunique marron clair, des
escarpins dorés et un foulard marron foncé avec des perles
dorées.
J'ajuste mon maquillage et je récupère mon petit sac beige.
Ce dégradé de tons "nude" fait ressortir mon teint chocolat.
Je mets un peu de
rose sur mes lèvres avant de me parfumer. Je me sens
belle ! Je me sens revivre et j'adore l'image que me renvoie
le miroir. J'adore la femme que je vois et j'adore le fait
qu'elle ait trouvé la paix et la joie !
J'arrive à l'adresse indiquée par Bilal et au moment où je
descends du véhicule, je vois Soraya et Hamid entrer dans
l'immeuble. Je presse les pas pour les rejoindre et nous
montons ensemble. Quand Bilal ouvre la porte, c'est dans
un brouhaha indescriptible que nous nous prenons dans les
bras.
Nous entrons ensuite dans la maison et je remarque que
maman est déjà là. Je jette un coup d'œil à la recherche de
mon bébé Farah quand maman m'interpelle:
• Tu ne me salues pas d'abord et tu la cherches? Et si je
ne suis pas venue avec elle ?
• Comment ça tu n'es pas venue avec elle ?
Tu es sérieuse? Ah maman!
• Donc tu ne me salues pas ?
• Pardon maman. Bonjour ! Mais pourquoi tu ne l'as pas
emmenée avec toi ?
• Regarde ta tête ? Tu veux pleurer?
• Mais ... non, mais maman dis-moi au moins pourquoi
tu ne l'as pas emmenée ?
Elle n'est pas malade j'espère ?
• Elle est venue, elle a juste accompagné Adja et Tega
qui sont allées prendre des boissons au supermarché.
• Ouf! Mais fallait me dire ça plutôt!
• Ce n'est pas ce que je viens de faire ?
• Hummm ...
La maison ne tarde pas à se remplir. Sita, sa mère et son
époux arrivent, quelques minutes plus tard un couple d'amis
à Bilal fait son entrée, puis c'est au tour d'Adja et Tega ainsi
que mon bébé. Elle se jette sur moi et je la serre très fort.
Je lui demande des nouvelles de l'école, de sa voisine de
classe et meilleure amie et elle se met à m'expliquer toute
sa semaine alors qu'elle l'a déjà fait, hier au téléphone. La
nourriture commandée arrive, nous disposons tous les plats
en mode buffet et chacun passe se servir. L'ambiance est
bonne, très bonne. Je suis heureuse que ma famille se
rassemble ainsi et qu'on soit si soudés et si aimables les
uns envers les autres. Je suis heureuse que Bilal soit là
pour un peu plus de deux mois cette fois-ci, afin qu'on
puisse essayer de rattraper le temps passé loin de lui. Je
sautille et danse partout comme une petite fille de cinq ans
lorsqu'il m'offre mes livres ainsi qu'un sac très original d'un
créateur Nigérian, fait avec du pagne tissé traditionnel.
Nous passons toute la journée ensemble dans la bonne
humeur et je ne rentre chez moi que tard dans la nuit.
Entre le travail, le temps passé à la bibliothèque, les
balades dans la ville avec ma belle-sœur Assiah et les
sorties au restaurant avec Soraya et les filles, je n'ai pas le
temps de m'ennuyer. J'arrive à passer du temps avec Bilal
aussi de son côté. Il a littéralement fondu d'amour devant la
décoration de mon appartement et le jardin potager de mon
balcon. On y a passé des heures, à parler de nos vies, nos
rêves et nos espoirs. J'aime cette relation fusionnelle que lui
et moi avons et qui est restée intacte malgré le temps, les
épreuves et la distance.
J'aime cet homme heureux qu'il est aux côtés d'Assiah et je
bénis le ciel que lui et Soraya aient trouvé des compagnons
selon leurs idéaux et avec qui ils sont vraiment heureux.
Soraya m'a invitée au vernissage des œuvres de son ami
Aboudi. Elle n'a pas abandonné la peinture malgré ses
horaires difficiles au travail et a même réussi à vendre
quelques tableaux à des prix intéressants ces derniers
mois. Le fait que Hamid l'encourage constamment à
apprendre et prendre des risques est un gros plus pour elle.
Aussi, le fait qu'elle ait gardé la liberté de fréquenter ses
amis peintres et continuer de faire ce qui lui plaît est un
privilège que beaucoup de femmes perdent
malheureusement lorsqu'elles décident de se marier.
J'adore ce genre de découvertes atypiques alors j'ai
accepté son invitation avec plaisir.
Après y avoir passé quelques heures, elle me trimballe
dans un autre lieu.
Nous arrivons dans un restaurant très cosy et assez chic.
Nous saluons et elle me conduit vers un espace qui semble
avoir été privatisé.
Une longue table est dressée d'un mur à l'autre et
savamment décorée. De belles chaises dorées sont placées
de part et d'autre et je peux deviner à première vue qu'il y
en a plus d'une dizaine. Des fleurs trônent sur toute la
longueur de la table, un bouquet entre quatre sets de table.
Une grande arche de ballons surplombe l'entrée de
l'espace. Je m'arrête net devant l'arche en lui demandant où
est-ce qu'elle m'emmène et ce que tout cela signifie. Elle se
met à rire, de son rire le plus moqueur.
• Attends, tu es sérieuse Siamy ? J'aurais juré que tu
allais comprendre dès le départ mais en fait c'est
maman qui avait raison !
• Qu'est-ce que tu racontes ? Comprendre quoi ?
Attends, tout le cirque depuis avant-hier, tous les
changements de programmes, moi qui débarque chez toi tôt
le matin, le vernissage, etc., tu n'as toujours pas compris?
~…
J'écarquille les yeux et je suis sincèrement énervée car je
ne comprends pas ce qu'elle essaie de m'expliquer et son
rire moqueur n'arrange rien surtout que les yeux des gens
sont rivés sur nous. Je veux me retourner et sortir du
restaurant lorsque je les vois tous venir vers moi: maman,
Bilal, Assiah, Farah, Adja et Sita ainsi que leurs époux,
Tega, tantie Korotoum, madame Milanne, Maya,
Hamid, Safiatou...
Maya tient un gros gâteau en main, illuminé par les
étincelles des bougies fontaines allumées au-dessus.
Hamid a un autre gâteau en main et Sita aussi. Ils chantent
ensemble "joyeux anniversaire" et je fonds en larmes. La
dernière fois que j'ai fêté mon anniversaire, c'était il y a huit
ans ! Je venais d'avoir trente ans et je venais d'épouser
Ousmane. En quatre ans et demi de mariage et trois ans et
demi après mon divorce, je n'avais plus vraiment fêté cet
évènement.
J'ai 38 ans, et je n'ai jamais été aussi bien entourée et aussi
aimée. Je pleure de reconnaissance, d'émotion, de
bonheur.
La soirée se déroule bien autour du dîner et à la fin, ils
m'offrent tous des cadeaux, aussi beaux que symboliques.
Mais le cadeau de Bilal me touche profondément, à un point
que je
pleure à chaudes larmes et sanglote pendant de longues
minutes. Il m'offre un séjour tous frais payés à la Mecque
pour accomplir la Omra?.

J'ai passé presque toute la semaine avec l'imam Cheick-


Abdine. Je voulais qu'il m'explique tout ce que je devais
faire ou ne pas faire pour profiter au maximum de mon
voyage en terre sainte. Je suis extrêmement
reconnaissante au Seigneur de me donner l'opportunité de
réaliser ce rêve et je ne veux pas manquer une seule
occasion de mettre mon séjour à profit. J'y vais pour prier,
être encore plus proche de Dieu, demander des
bénédictions pour moi et ma famille, me faire pardonner
mes péchés mais aussi et surtout faire le plein de
hassanettes pour l'au-delà.
Alors, j'ai essayé d'avoir avec lui toutes les informations
utiles pour accomplir ces actes avec satisfaction.
Maman et Farah m'accompagnent à l'aéroport. Une fois sur
place, la compagnie chargée de l'organisation s'occupe de
nos démarches et enregistrements. Je leur fait des câlins
avant de les laisser partir.
Nous sommes ensuite rassemblés dans la salle business
lounge où on a droit à des cocktails de bienvenue. La
compagnie nous explique en détail comment va se passer
le voyage et comment leurs équipes sur place prendront le
relais à notre arrivée.
-Je suis assise dans
l'avion et je ne fais que prier, faire des bénédictions et
remercier le Seigneur pour ces bienfaits.
" Le petit pèlerinage qui consiste à faire les rites en terre
sainte en dehors de la période du grand pèlerinage.
8
Les bonnes actions
Nous arrivons à Médine en fin d'après-midi.
Le temps d'attente me paraît long mais on nous explique
que selon la période et le nombre de pèlerins, l'attente peut
être longue. Il faut donc patienter. Je note dans mon carnet
la première leçon que j'apprends dans cette aventure: la
patience!
Après avoir effectué le contrôle à la police et aux frontières,
nous rejoignons, en groupe, le car qui nous mène à notre
hôtel.
Celui-ci se situe aux alentours de la Mosquée Prophétique.
Sur le chemin, j'admire les routes, les collines, le sable et ce
magnifique coucher de soleil qui s'offre à moi.
Une fois à l'hôtel, les guides nous remettent les cartes
d'accès à nos chambres. Une fois installée dans ma
chambre, je vais prendre une douche, je mets un grand
boubou et j'accomplis deux unités de prières pour remercier
Dieu de m'avoir facilité le voyage.
L'imam Cheick-Abdine m'a dit qu'il est très recommandé de
se rendre à Médine afin de visiter la Mosquée du Prophète
(saw) et de pouvoir en profiter. Il faut y multiplier les prières,
sachant qu'une prière accomplie dans celle-ci équivaut à la
récompense de mille prières. Je passe la nuit à rêver à la
mosquée, sachant que demain, nous allons nous y rendre.
Le lendemain, les guides viennent nous chercher et après
le petit-déjeuner, nous montons dans les cars en direction
de la mosquée du prophète. Je suis si heureuse de voir cet
endroit dont parlent les livres que j'ai lus ! Je suis comme
dans un rêve, sur un nuage, l'émotion est forte. Nous
arrivons à la mosquée, les guides nous racontent son
histoire, les événements marquants de l'islam en rapport
avec cette mosquée et les histoires tirées des hadiths, qui y
font référence. Nous prions dans la mosquée et j'ai la
chance de pouvoir également prier dans Ar-Rawdah,
l'espace compris entre le Minbar10 et l'appar- tement du
Prophète (saw). Celle-ci est facilement recon- naissable par
une couleur de tapis différente de celle du reste de la
Mosquée.
Avoir la chance d'y prier est une pure grâce.
Nous flânons dans les alentours pendant longtemps avant
de rejoindre notre hôtel plus tard dans la journée.
Le lendemain, je pars me balader dans le centre-ville avec
les compagnons du groupe. J'ai fait la connaissance de
deux sœurs, Sabine et Naomi, qui sont accompagnées par
leurs époux, et nous avons formé un groupe de cinq. Ils
sont tous adorables. Nous allons donc en visite libre. Nous
avons le temps de faire quelques achats, goûter à la
nourriture locale et faire quelques photos. A vrai dire, c'est
plutôt moi la photographe des deux couples, mais ça ne me
dérange pas plus que ça de leur tenir la chandelle, je me
sens en sécurité avec eux.
En compagnie de nos guides le lendemain, nous visitons la
Mosquée de Quba, où deux unités de prières accomplies
ont la récompense d'une Omra selon ce qu'on nous dit. On
visite également le cimetière des martyrs d'Ouhoud. Lors
de cette visite, notre guide religieux nous explique pourquoi
on se rend sur ces lieux ainsi que les histoires liées à
chaque lieu.
C'est un véritable parcours enrichissant de connaissances
et d'ex- périences. L'histoire des martyrs m'arrache
quelques larmes.
Après la visite du cimetière, nous allons nous désaltérer.
Recueil des actes et paroles du prophète Muhammad (saw)
10
Chaire à prêcher, dans une mosquée.
Avec mon groupe de cinq, nous sommes en train de
discuter lorsqu'une dame âgée s'approche de nous. Elle
remarque que nous parlons français et semble soulagée.
Elle nous explique qu'elle a perdu son groupe de vue et
qu'elle ne sait plus vers où sont garés leurs cars. On lui
pose des questions, elle nous répond que son groupe vient
du Kenya, qu'ils parlent tous en anglais et nous décrit les
uniformes de leurs guides. On se met donc à les chercher,
en expliquant à l'un de nos guides qui accepte de nous
aider. On finit par retrouver son groupe de longues minutes
de marche plus tard. On la confie à un guide avant de
retourner vers notre espace. Pendant qu'on marche en
discutant et riant, on entend quelqu'un nous interpeller. La
personne semble courir après nous. L'époux de Sabine
nous demande de nous arrêter puis il va vers l'homme.
Pendant qu'ils parlent, je crois reconnaître l'homme de loin.
Je ne suis pas sûre mais la silhouette que je vois m'est
vraiment familière. Je notifie aux autres que j'ai l'impression
de connaître le monsieur. Nous nous dirigeons donc tous
vers lui. Il est en train de remercier et de parler quand je me
rends compte que je ne me suis pas trompée, c'est Abdul
Karim. Il nous remercie d'avoir ramené sa mère à leur
camp, il la cherchait depuis des heures. Il continue de parler
lorsqu'il il se rend compte que c'est moi, devant lui. Il
balbutie un moment avant de s'exclamer :
" Massiami!!
Je finis par éclater de rire devant sa réaction.
Nous parlons un moment, il m'explique brièvement qu'il est
au Kenya depuis deux ans et qu'il a fait venir sa mère du
Sénégal pour rester auprès de lui pour quelques temps. Il
souhaitait depuis longtemps faire la Omra avec elle, alors
quand l'occasion s'est
présentée, il n'a pas hésité. Il me remercie encore d'avoir
aidé sa mère et demande après mes enfants, je lui réponds
que je n'ai que Farah et qu'elle va très bien. Il est un peu
surpris car il m'avait vue enceinte des jumeaux. On n'a pas
le temps de parler longtemps car les guides commencent à
faire l'appel. Nous nous laissons un peu brusquement, sans
échanger de contact.
Sur le chemin du retour, les filles essaient de me tirer les
vers du nez à propos de lui mais je ne trouve rien d'autre à
leur dire à part le fait que c'est un ancien prétendant, cousin
Germain du mari de ma petite sour et qu'on s'est perdu de
vue depuis des années du coup, je ne sais pas grand-chose
sur lui.
Après deux jours libres, durant lesquels nous essayons,
mon groupe de moi, de faire le maximum de prières dans la
mosquée du prophète et de nous détourner des magasins,
on nous annonce qu'on part pour la Mecque le lendemain.
Nous nous préparons dans notre hôtel et nous apprêtons à
nous mettre en état de sacralité grâce aux directives et aux
conseils de nos guides religieux. Le trajet est agréable et
plein d'émotions.
Une fois arrivés à l'hôtel de la Mecque, les guides nous
attribuent nos chambres ainsi que nos bagages. Ils nous
donnent ensuite rendez-vous à la réception, à une heure
précise, pour l'accomplissement de la Omra en elle-même.
Après avoir réuni notre groupe, nos guides se chargent de
nous accompagner pour les rites de la Omra. Nous
commençons par le Tawaf, qui correspond aux
circumambulations autour de la
Kaaba", puis le Say, qui correspond aux allers et venues
entre les montagnes de Safa et de Marwa. Le tawaf et le
Sa'y sont accomplis en groupe, en compagnie de
l'ensemble des pèlerins et non individuellement.
Voir la Kaaba pour la première fois est une expérience
incroyable. Circuler autour d'elle et la toucher a été l'un des
moments les plus forts de mon aventure en terre sainte.
Contrairement au Hajj qui est le grand pèlerinage, il y a
beaucoup moins de monde lorsque nous accomplissons la
Omra, on arrive donc à facilement toucher la Kaaba et à
atteindre certains endroits qu'on ne pourrait atteindre
qu'avec beaucoup de chance et de lutte en période de Hajj.
Après l'accomplissement de la Omra nous nous rendons au
Masjid Al Haram, la Mosquée sacrée de la Mecque pour y
effectuer des prières surérogatoires. Nous y restons jusqu'à
à la tombée de la nuit, pour profiter de la mosquée et nous
adonner à différentes adorations telles que les tawafs
surérogatoires, la lecture du Coran, la récitation des
invocations et les zikhr.
Sortis manger et faire les boutiques le lendemain, nous
rencontrons encore Abdul Lalim, en compagnie de sa mère.
Cette fois-ci, on a le temps de s'asseoir tous ensemble
quelque part pour mieux discuter. Il me présente à sa mère
et je suis surprise quand son visage s'illumine et qu'elle
demande & c'est la même Massiami avec laquelle tu devais
venir à Dakar ? Elle est vraiment belle ! » Je rougis
presque, sous ma peau noire. Elle me prend dans ses bras
et me serre très fortement puis me
Vaste édifice cubique, dans la mosquée de La Mecque. La
Pierre noire, donnée par l'ange Gabriel à Abraham, est y
scellée (c'est le point vers lequel tous les musulmans du
monde se tournent pour la prière).
fait beaucoup de bénédictions. Abdul Karim a l'air vraiment
gêné, comme s'il avait peur que sa mère me raconte des
choses. Il finit par demander comment va mon mari
Ousmane. La question me choque sur le coup. Comment? Il
ne sait pas ? Personne ne lui a dit ? Il n'était pas en Côte
d'Ivoire ? Il n'a pas parlé à Hamid depuis quand ? Comment
est-ce qu'il a fait pour ne pas savoir ?
Voici les questions qui m'assaillent tout de suite. Je balbutie
un moment puis je réponds timidement: & jenesais pas trop,
nous ne sommes plus mariés depuis trois ans, je n'ai plus
vraiment de ses nouvelles..
Il paraît tout aussi choqué et troublé que moi, mais il se
ressaisit assez vite, s'excuse, me dit qu'il ne savait pas et
qu'il est désolé de l'apprendre. Je sais qu'il meurt d'envie
d'en savoir plus, mais il se retient et moi aussi.
L'époux de Sabine commence à discuter avec lui d'un sujet,
la conversation change donc.
Sabine, Naomi, la mère de Karim et moi nous levons pour
aller voir des robes de prières dans un magasin pas loin,
nous les laissons discuter entre hommes. À notre retour, il
semble avoir une urgence à régler, il prend donc sa mère et
part assez rapidement.
Sur le chemin vers notre hôtel, l'époux de Sabine me tend
discrètement une carte, c'est celle de Karim avec tous ses
contacts et son adresse mail. Il me sourit avant de continuer
à discuter avec son épouse comme si de rien n'était
Lorsque je me retrouve seule dans ma chambre, je me pose
beaucoup de questions.
Je suis animée par la curiosité de savoir ce qu'il a fait de sa
vie ces quatre dernières années. J'ai aussi envie de savoir
où il en est avec Sacha Keita et si on peut encore devenir
amis. Juste amis. J'ouvre ma boîte mail sur mon téléphone
et je décide de taper son adresse mail. Je me rends compte
que c'est l'adresse mail qu'il avait créé après que je l'aie
bloqué de partout.
Le message qu'il m'a envoyé la veille de mon mariage,
accompagné de ses papiers de divorce apparaît sur mon
écran. Je le relis et la tristesse m'envahit tout à coup. Je me
ressaisis au bout d'un moment. Je me rends compte que je
lui ai fait énormément de mal.
Je n'ai jamais répondu à ce message, je l'ai juste ignoré. Je
ne me suis jamais excusée auprès de lui et je ne lui ai pas
accordé le bénéfice du doute. Je l'ai traité de menteur, je l'ai
traité comme un moins que rien et je ne lui ai même pas
accordé la moindre chance de me prouver ses intentions.
Ousmane avait raison lorsqu'il a dit que je l'avais barré et
méprisé. Soraya avait raison quand elle me disait que ce
n'était pas sage de ma part. Rien ne prouve encore
aujourd'hui qu'il aurait été le bon pour moi et qu'il ne
m'aurait pas fait souffrir mais en voulant me protéger de lui
parce qu'il était marié, j'ai fui en avant pour finalement me
tourner vers... un autre homme marié. La vie est si ironique
et sarcastique!
Je pense que c'est très tard maintenant pour faire quoi que
ce soit. Même s'il a toujours été courtois envers moi malgré
mon mauvais comportement et ce même après mon
mariage, je pense qu'on ne peut pas être plus proches que
ça lui et moi. Je devrais peut-être m'excuser mais je ne
pense pas pouvoir gagner son amitié de nouveau. Je pense
que c'est mieux pour chacun de nous de rester dans sa vie
actuelle.
Je décide de ne pas lui écrire finalement, je sors de ma
boîte mail et je verrouille mon téléphone. Je balance la carte
dans la poubelle de ma chambre puis je vais m'allonger
pour essayer de me reposer un peu.
Les deux jours qui suivent sont les deux derniers de notre
séjour et heureusement pour moi, je ne le croise plus sur
mon chemin.
Je passe la dernière journée à prier dans la mosquée
sacrée et faire des tawafs surérogatoires.
J'ai acheté des cadeaux pour mes proches et je profite de
mes derniers moments en terre sainte pour demander à
Dieu de m'accorder ce qui me sera bénéfique et me rendra
heureuse. Je pense à l'amour. J'aime ma vie actuelle et tout
ce qui va avec et je ne suis pas très pressée de renouer
avec les histoires de cœur mais j'ai souvent envie de
reconstruire une famille avec Farah et un nouvel homme.
J'ai souvent envie d'avoir d'autres enfants.
Qui sait ? Peut-être que mes jumeaux pourraient revenir ?
Je n'ai pas peur d'être seule, j'aime ma solitude et ma
compagnie et je suis déjà heureuse ainsi mais, et si j'avais
l'occasion d'être aimée, pour de vrai et de la meilleure façon
qui soit ? Et si j'avais la grâce de connaître un amour pur,
selon Dieu, un amour sain, naturel, un amour normal ? Et si
j'avais l'occasion de refonder une famille et faire d'autres
enfants ? Alors je demande à Dieu de m'accorder cela si et
seulement si ce sera un bien pour moi. Je lui demande de
choisir pour moi et de guider cette personne vers moi si elle
existe. Et si ce n'est pas le cas et que je suis destinée à
rester seule, alors qu'il facilite aussi cette vie pour moi et me
rende heureuse quelles que soient les circonstances... J'ai
lu quelque part que le fait d'écrire ce qu'on
veut, appelle cette chose à exister. Écrire nos vœux les plus
profonds facilite la matérialisation de ces vœux. Je décide
donc d'écrire, dans mon carnet, les caractéristiques de cet
homme selon mon cœur, que Dieu pourrait envoyer sur
mon chemin. J'ouvre mon carnet et j'écris :
* Ya Allah, toi qui connaît le tréfonds des coeurs et toi pour
qui rien n'est impossible, toi qui façonne l'homme à ta guise
et donne tes bienfaits sans compter...
Cet homme, je le veux drôle, intelligent et raffiné. Qui ne
soit pas imbu de sa personne mais ait assez de confiance
en lui pour affronter les challenges de la vie.
Je le veux pieux, rigoureux, mais assez compréhensif et
assez doux pour comprendre certaines choses et les
accepter.
Je ne veux pas d'un homme qui mesurerait sa masculinité
ou sa virilité à sa capacité à écraser les autres et les
soumettre à sa volonté. Je veux un homme qui n'abuse pas
de sa force, qui soit fin stratège sans être manipulateur et
plein de bon sens. Qu'il ait fini de grandir, de s'assumer, de
se déconstruire et d'être reconstruit. Qu'il soit homme,
beaucoup plus humain que mâle.
Qu'il ait la main sur le coeur et qu'il n'ait pas peur de
montrer ses sentiments. Qu'il soit un peu fleur bleue,
accessible et ouvert pour les personnes qui comptent,
assez fermé pour les autres. Pas le genre dont les secrets
trainent dans toutes les bouches.
Qu'il soit distingué et discret, qu'il ait cet air mystérieux et ce
charme de fou qui embrase l'atmosphère.
Qu'il soit intègre et honnête, qu'il ait une relation spéciale
avec son seigneur et que chacun de ses engagements
soient guidés par sa foi en TOI. Il n'aura pas besoin d'être
super beau à la James Bond, il devra juste être attirant et
m'attirer. Il n'aura pas besoin d'être super riche, il devra
juste être assez ambitieux pour viser aussi haut que je
viserai.
Il n'aura pas besoin d'être parfait, car ensemble nous ferons
la bonne paire.
Seigneur, toi qui me connaît mieux que quiconque, tu sais
que je peux donner réciproquement tout ce que je demande
et même plus. Car je me connais en tant que personne et je
sais aussi ce que je mérite. Car je pourrais lui offrir
beaucoup plus de moi, et qu'on pourra aller plus loin à
deux.
Ya Allah ! Je sais qu'il est là, quelque part et qu'il n'attend
que moi. Je sais qu'il aura besoin de moi autant que j'aurais
besoin de lui, je sais qu'on se complètera et qu'on marchera
ensemble, pour le meilleur et pour le pire.
En attendant, je me construis, je me réalise en tant que
personne à part entière et je profite de la vie. Lorsqu'il me
trouvera, il trouvera une femme complète et entière qu'il
n'aura pas besoin de sauver des tourments de la vie.
Il sera le bon pour moi et je serais la bonne pour lui. Amine
ya rabb.
Le lendemain, après avoir rangé nos affaires, nous nous
rendons à l'aéroport de Djeddah à une heure trente de route
en voiture pour notre retour vers le pays.
Les jours passent sans se ressembler. Le travail est
abondant et à force de m'y plonger sans réfléchir, je n'ai pas
le temps de voir les semaines et les mois s'écouler. Je
travaille, je lis, je
mange, je passe du temps avec ma fille et je ne me rends
pas compte de la vitesse à laquelle les choses s'en vont. Je
m'implique vraiment dans la vie des élèves du lycée.
J'essaie d'améliorer leurs conditions. Je sponsorise leurs
activités culturelles comme je peux et je suis tous les jours
en train de plaider pour l'ouverture d'un nouveau club
auprès du proviseur du lycée. Je participe comme je peux à
leur vie associative et j'organise des évènements afin qu'ils
puissent apprendre de leurs devanciers, savoir comment
s'orienter après les études, avoir des exemples à suivre et
retenir des leçons de certaines expériences. J'essaie de
faire en sorte que les meilleurs élèves soient récompensés
et félicités. Nous avons instauré des prix d'excellence à
glaner et des compétitions afin de les emmener à donner le
meilleur d'eux-mêmes. Je travaille à ce qu'on puisse leur
offrir une bibliothèque et bientôt, ce projet va se réaliser. J'ai
soumis le projet à un concours digital pour les causes socio-
éducatives et dans quelques semaines, à la suite des votes
du public qui l'ont hissé à la troisième place, je serais
amenée à parler du projet devant des centaines de
donateurs et récolter des fonds pour le réaliser. Ce sera lors
d'un grand évènement organisé à Dakar. Je suis surexcitée
à l'idée car si je récolte assez de fonds, je compte ouvrir
une seconde bibliothèque communautaire, dans le quartier
d'Abobo-Avocatier.
J'ai dîné chez Soraya et Hamid hier, ils vont enfin avoir un
bébé, après plus de six ans de mariage. Je suis si heureuse
pour eux !
Soraya ne voulait pas d'enfants trop tôt, elle souhaitait
profiter de son mariage pendant un bon moment et ils
étaient tous les deux d'accord sur le principe. Au bout de
deux ans, elle s'est sentie enfin prête et a décidé d'arrêter
les contraceptifs. Elle savait que ça pouvait prendre un an
ou plus, elle s'était donc préparée à vivre sans stress en
attendant la bonne nouvelle. C'est après un an et demi
d'attente qu'elle a commencé à vraiment s'inquiéter. Ils
totalisaient déjà plus de trois années de mariage et ils en
avaient vraiment envie. C'est à ce moment-là qu'ils ont
commencé à voir du côté de la médecine et de la procédure
de procréation assistée. Ce que j'admire encore plus chez
eux, c'est qu'ils n'ont pas été amères et tristes de ne pas
voir le bébé venir, mais ils ont plutôt continué à profiter de
l'un et de l'autre, à voyager, à faire plus de sorties en
amoureux et à planifier leur vie tout en croyant fermement
que le bébé viendrait au bon moment. Ils ont prié, fait des
sacrifices et jeûné mais jamais je ne les ai vus se lamenter
sur leur sort. Jamais je ne les ai entendus se plaindre à
Dieu. Ils essayaient
toujours d'être reconnaissants à Dieu et de se dire que la
surprise viendrait tôt ou tard. Et aujourd'hui, la surprise est
là, et a déjà trois mois d'évolution. J'imagine déjà combien
je chérirai cet enfant, combien il sera couvert d'amour par
ses parents et par toute la famille. Et j'espère qu'après lui,
viendront encore d'autres bébés Sangaré pour emplir leur
maison de joie.
Les semaines sont passées à toute vitesse et j'ai
l'impression de ne pas avoir eu assez de temps pour
m'apprêter. Je suis à Dakar depuis quelques heures et
l'événement c'est pour demain. Je viens à peine de me
poser à mon hôtel et j'ai bien envie de dormir, mais je dois
aller au centre-ville. J'ai commandé des vêtements avec
une styliste renommée et je dois me rendre à son
showroom pour récupérer les tenues parmi lesquelles se
trouve celle que j'ai choisi de porter pour la cérémonie de
demain. Je sais que c'est un peu risqué mais cette tenue
est celle qu'il me faut. Je prends une longue douche et je
mets un
boubou en soie, vert clair. Je porte un bonnet sur mes
cheveux et je me noue un grand foulard sur la tête. Je mets
juste du baume à lèvres comme maquillage. Je mets de
grosses boucles d'oreilles très africaines et je porte des
sandales à lanières en cuir avant de prendre mon petit sac
rond en rotin. Je commande un taxi sur une application et
lorsqu'il me signale son arrivée, je sors.
J'arrive au showroom avec quelques minutes d'avance. La
styliste me reçoit avec beaucoup de joie et une touche
d'humour, elle m'offre un cocktail frais et m'installe.
Quelque temps après, elle vient me chercher pour les
essayages. Toutes les tenues sont belles et me vont à
merveille. Je suis heureuse et enchantée. Je lui paie ce que
je lui dois et je lui demande de me recommander un
restaurant ou je peux manger de la bonne viande de
mouton bien assaisonnée. Elle me donne le nom et
l'adresse du restaurant. Nous discutons un petit moment et
je me dirige vers la sortie.
Je m'apprête à tirer la porte vitrée vers moi lorsque je sens
quelqu'un la pousser de l'autre côté. Je recule un peu pour
ne pas que la porte me cogne. Une jeune dame apparaît et
s'excuse de m'avoir touchée avec la porte.
Je lui réponds que ce n'est rien, elle tient la porte pour une
dame un peu âgée qui entre la tête baissée. Elle se range
sur le côté pour que je puisse sortir et à ce moment -là, elle
m'attrape la main.
• Massiami ?
• Heuuu oui ?
• C'est maman, Yaye Sall, maman Abdul Karim ! Que
fais-tu à Dakar?
Je n'en reviens pas ! Comment peut-elle me reconnaître
aussi facilement ? Ça fait plus de six mois que nous nous
sommes vues à la
Omra.
- Oh là là maman! Comment m'as-tu si vite reconnue ? Je
suis très heureuse de te revoir.
Je suis à Dakar juste pour quelques jours.
Je participe à un événement socio-éducatif organisé par
des ONG internationales. Je suis venue prendre des
vêtements ici pour l'occasion.
- Mashaa 'Allah ! Santi Allah ! Tu es toute belle ! J'adore ton
boubou. Elle, c'est ma nièce, elle s'appelle Soukeyna.
Soukey, elle, c'est Massiami, une amie d'Abdul karim.
Je salue Soukeyna. Yaye Sall me prend dans ses bras.
Nous parlons quelques minutes.
Elle m'informe que Karim est aussi à Dakar, puis elle
m'invite à manger chez elle demain samedi. Je lui dis que
ma cérémonie commence assez tôt et que je ne peux pas
mais dimanche si. Elle accepte. Je lui remets mon contact
et je prends le sien ainsi que celui de Soukeyna. Je les
quitte pour me diriger vers le restaurant, j'ai déjà passé la
commande pour ma viande de mouton.
La cérémonie se déroule très bien. Je termine en deuxième
position et Alhamdoulilah, je récolte assez d'argent pour
mes projets. Je fais un appel vidéo à Maman pour lui
présenter mon trophée et discuter avec Farah avant qu'elle
ne s'endorme. Je décline les invitations à terminer la soirée
ailleurs car je dois honorer l'invitation de Yaye Sall demain
et pour cela, il faut que je dorme.
Le dimanche, je me réveille pour la prière de l'aube et je me
recouche pour me réveiller vers dix heures. Je prends une
douche rapide et un petit déjeuner simple avant de
m'habiller. Quand je termine, il est déjà onze heures
quelques minutes. J'ai reçu la localisation de la maison sur
WhatsApp, alors je commande un taxi. Cinq minutes après,
le taxi est là. Le trajet me paraît assez long, nous roulons
presque une heure, sans embouteillages. Lorsque nous
arrivons, il est douze heures trente à ma montre. J'appelle
Soukeyna pour lui dire que je suis là. Elle sort me chercher
deux minutes plus tard.
Je suis un peu intimidée car je ne sais pas à quoi
m'attendre. La maison est grande, gigantesque je dirais. Le
jardin s'étend à perte de vue et je peux voir de loin une
grande piscine et une pergola avec des fleurs au dessus.
J'aime la décoration dès l'entrée de la pièce principale. Un
homme vient à notre rencontre, il ressemble beaucoup à
Karim, il est juste beaucoup plus grand de taille. Il salue et
naturellement, nous nous mettons à discuter. Lorsqu'on
arrive dans le salon, mon coeur se met à battre la chamade
: il y a trop de monde ! Karim se lève et vient vers moi, il me
serre la main et me souhaite la bienvenue. Je peux voir de
la gêne dans ses gestes. Je commence à me poser
beaucoup de questions. Peut-être qu'il ne veut pas me voir
et que sa mère s'obstine à forcer les choses.
Peut-être qu'il n'est pas d'accord avec le fait que sa famille
me connaisse maintenant qu'il n'est plus intéressé par moi.
Peut-être qu'il se sent obligé de m'accueillir parce que de
toutes les façons ce n'est pas lui qui m'a invitée... Je
réfléchis à tout ça et du coup, je me renferme un peu. On
me présente à tout le monde : ses trois frères et leurs
épouses ainsi que leurs enfants. Les deux nièces de Yaye
Sall dont Soukeyna et la belle-mère Yaye Maty, la
coépouse de Yaye Sall qui a plus l'air d'être la petite soeur
de cette dernière.
Il me faut quelques minutes pour réussir à intégrer
l'ambiance et me laisser aller.
Le déjeuner se passe très bien et, entre la nourriture qui est
très bonne et l'humour très aiguisé des membres de la
famille, je me sens vraiment bien. Après le repas nous
prenons le thé chaud avant de passer à la prière en groupe.
Ensuite, les discussions continuent. Yaye Sall m'invite dans
une pièce à côté et m'offre des cadeaux dont des bijoux et
des tissus. Selon elle, c'est pour me remercier de l'avoir
aidée à Médine. Je suis vraiment gênée mais je finis par
accepter ses cadeaux. Pendant que nous parlons, Karim
arrive et elle invente un prétexte pour nous laisser tous les
deux. Il s'assoit près de moi.
• Ça va Massiami ? J'espère que tu as apprécié le
repas.
• Oui c'était très bon, ta mère devrait m'apprendre à faire
ça.
• Tu devrais lui demander, elle le fera avec plaisir.
• C'est dommage que je ne reste pas plus longtemps. Je
pars le mardi.
• Ah déjà ? Tu es là depuis quand ?
• Seulement vendredi. Mais j'ai du travail qui m'attend à
Abidjan, je n'ai eu de permission que pour ces jours.
Ah d'accord. À Abidjan ? Tu ne travailles plus à Adiaké ?
• Non, je suis maintenant à Abidjan. Je ne suis plus
éducatrice mais Censeur. Au lycée moderne d'Abobo.
• Wahou! Mais c'est super ça. Et ta fille?
• Elle vit avec ma mère, elle va très bien. Et toi ? Tu es
de retour à Dakar ? Tu restes ici ?
• Oh non, il me reste encore quelques mois avant que
mon contrat ne se termine au Kenya. Sept mois pour
être exact. J'étais ici pour seulement deux semaines, je
pars moi aussi à la fin de la semaine.
• Ah ! Je vois.
• Si tu pouvais prolonger ton séjour jusqu'à vendredi, je
t'aurais montré de beaux endroits. Te faire sortir un
peu. Qu'en dis-
tu ?
• Malheureusement, je ne peux pas. Je dois être au
lycée mercredi à 8 heures tapantes.
• Dommage ! Mais ... demain, tu comptes faire quoi ?
• Je voulais sortir visiter la ville.
- Toute seule ?
- Oui, tu as une autre option ?
• Je peux t'emmener. On ne peut pas tout voir en une
journée, mais je peux te montrer beaucoup d'endroits.
• D'accord, ça marche.
• Et ce soir ? C'est quoi tes plans ?
• Dîner au restaurant de l'hôtel, prier et dormir.
• Juste ça ?
• Oui.
• Je peux t'inviter à dîner quelque part ?
• Humm mais du coup tu me prends ma soirée
d'aujourd'hui et ma journée de demain ?
• C'est toi qui vois, je demande juste. Je me suis dit que
ce serait sympa si tu ne restais pas seule, mais c'est
toi qui décides. Si tu ne veux pas, il n'y a pas de soucis
...
• Oh relaxe! Je te charrie! Tu as changé hein, tu es
devenu ... plus sérieux, genre carré...
un peu renferme…
• Ah bon ? Les blessures de la vie sûrement ...
• Humm j'ai dit un truc qu'il ne fallait pas ...
• Non, ne t'inquiète pas.
Il me fait un sourire timide. Je suis un peu mal à l'aise tout à
coup. J'accepte néanmoins ses propositions de sorties.
Après la prière d'Asr à seize heures, je demande à rentrer.
Il ne me laisse pas commander de taxi, il propose de me
déposer à mon hôtel pour revenir me chercher plus tard.
Lorsque j'arrive dans ma chambre, je me démaquille, je me
fais couler un bain moussant et je m'y allonge. Derrière les
sourires gênés de Karim, il y a beaucoup de non-dits qui
ressemblent à des ressentiments. Je suis confuse, inquiète,
troublée à propos de lui. Je veux aborder le sujet avec lui et
m'excuser sin- cèrement pour mon comportement envers lui
mais je me demande si mes excuses seront pertinentes. Si
Ousmane n'avait pas été ce qu'il a été dans ma vie et que
les choses s'étaient bien passées avec lui comme je
l'espérais, je ne sais pas si j'aurais pensé un jour m'excuser
sincèrement auprès de Karim. Je l'aurais rayé de ma vie
définitivement et c'est ce qui me fait honte.
Il a fallu que les choses se passent mal pour que je prenne
aujourd'hui conscience que je n'aurai pas dû agir avec lui
comme j'ai agi.
Il avait droit à une conversation raisonnable entre adultes. Il
avait droit à l'écoute même si je ne voulais plus
de lui. Il avait droit à de la considération même si je l'avais
déjà jugé et condamné.
Je me rends compte qu'il est dix-huit heures trente-deux
quand l'appel à la prière de maghrib sonne sur mon
téléphone. Je sors du bain et je me rince avant de faire mes
ablutions. Je sors mon tapis de ma valise et je prie. Lorsque
je termine, je regarde mes vêtements sans vraiment savoir
quoi me mettre. Je ne veux surtout pas me faire super belle.
Je ne veux pas de tentation entre nous qui viendrait encore
compliquer les choses.
Pour l'instant, je veux juste de son pardon et de son amitié.
Je mets un grand boubou en tissu bogolan marron, blanc et
noir. Je porte un turban marron sur la tête et je mets des
boucles d'oreilles en bois en forme de l'Afrique. Je pense
que je n'en ai pas trop fait. Je ne me maquille pas, je mets
juste mon baume à lèvres et je me brosse les sourcils.
Je branche mon petit encensoir électrique et j'y mets un peu
d'encens " thiouraye" qui m'a été offert par la styliste qui en
vend à son showroom. L'encens sent tellement bon que je
pense y retourner demain pour en prendre quelques pots
pour maman, Soraya, Adja et Sita. L'encens embaume ma
chambre de ses effluves et la douce fumée me berce. Je
reste assise sur le petit canapé en attendant le signal de
Karim. Cing minutes après, il m'appelle. Il est à la réception.
Je porte une simple mule noire et je reprends mon petit sac
en rotin tissé. J'hésite à mettre un parfum, je finis par me
raviser, je sens déjà l'encens. Je débranche l'encensoir et je
récupère mon téléphone avant de refermer la porte de ma
chambre derrière moi.
Nous sommes en train de manger. Dans le silence. Je me
demande à quoi il pense. Je l'ai connu beaucoup plus
enthousiaste et joyeux. Je ne sais pas vraiment ce qu'il a
traversé ces dernières années, ni même avant, avec son
premier mariage qui a échoué. Je ne lui ai pas donné
l'occasion de m'en parler, j'avais peur d'éprouver de la
peine pour lui et de tomber dans la manipulation. Mais je
n'ai pas échappé à ce dont j'avais peur malgré tout. La vie
m'a ainsi appris que ce qui doit arriver arrivera. J'espère
tout de même qu'il n'est pas malheureux et que quelque
part au fond de lui, cet homme drôle, spontané et joyeux
existe encore. Il me fixe pendant un moment et rompt le
silence.
• Qu'est-ce qui s'est passé ? Je veux dire, avec
Ousmane. Pourquoi avoir arrêté ?
• Humm ... je ... je pense que ... Hum... ce n'était juste
pas le bon. Je me suis trompée sur son compte, sur
toute la ligne.
• Je vois. Désolé si c'est intrusif, si tu n'as pas envie d'en
parler, il n'y a pas de soucis. Je suis juste très curieux,
ça me démangeait de demander... dit-il en riant.
• Je comprends. C'est normal. J'ai juste été un peu
surprise par la question. De toute façon c'est fini, je
suis guérie, je peux donc en parler maintenant sans
m'écrouler et sans éclater en sanglots.
• Waouh ! C'était aussi difficile auparavant ?
• Eh oui ! Bien plus que tu ne l'imagines. J'ai été surprise
que tu n'en saches rien, quand tu m'as posé la
question à la Mecque. J'ai cru que Hamid ou Soraya
t'avait informé et que tu savais.
• Pas du tout. On ne s'est pas vraiment parlé ces
dernières années et tu sais, même lorsque je prenais
de leurs nouvelles, on ne parlait pas du tout de toi...
• Je comprends. Et vu que tu n'étais pas au pays...
• Effectivement.
Tu sais, c'était quelqu'un que je pensais vraiment connaître.
Il a été mon meilleur ami pendant les premières années de
ma vie. On était très proches avant et c'était quelqu'un de
bien. Alors, quand je l'ai revu, je me suis dit que c'était la
même personne et que je pouvais lui faire confiance. En
plus, il parlait avec des preuves. Des preuves factices, mais
des preuves tout de même, et comme j'étais une "saint
Thomas", ça m'a induit en erreur. Il s'est avéré être un
grand menteur et manipulateur. J'ai su après notre mariage
qu'il était déjà marié à une autre.
L'ironie de la situation est presque hilarante quand on sait
pourquoi je t'ai quitté.
Ensuite, il s'est mis à me battre
- Quoi !?
Il s'étonne tellement qu'il recrache la gorgée de jus de fruit
qu'il s'apprêtait à avaler ...
- Du calme Karim, c'est de l'histoire ancienne
..
• Oh mon Dieu !
• Je ne peux pas tout t'expliquer en détail au risque de
plomber la soirée mais voilà, il était violent,
narcissique, manipulateur. J'ai été prise dans un cercle
infernal. Je remercie juste Dieu d'avoir pu m'en sortir.
• Waouh ! Je suis vraiment sans voix. Désolé que tu aies
subi tout ça.
• C'était sûrement le destin. Et toi ? Avec ...
Sacha ?
- Humm... ça n'a pas marché non plus. Par contre, elle,
c'est une magnifique personne.
C'est juste que je n'étais pas prêt et pour le coup, c'est moi
qui ai été le méchant de l'histoire.
• Oups...
• Eh oui!
• Bon, laissons le passé pour une autre fois. Parlons
plutôt de nos vies actuelles.
Tu fais quoi concrètement au Kenya ?
Tu as travaillé dans combien de pays avant d'atterrir là-bas
? Comment tu vis actuellement et comment tu te sens ? Ou
comptes-tu t'installer après les sept mois ?
Tu comptes y rester ou ...
-Ça fait trop de questions-là, Massiami, ralentis s'il te plaît ...
J'éclate de rire et nous partons tous les deux dans un fou
rire incontrôlable. Après quoi, nous continuons la discussion
autour de notre actualité et de la vie présente.
Le lendemain, dès huit heures, il est à la réception. Je n'ai
pas assez dormi car nous nous sommes quittés très tard et
j'ai dû me réveiller pour la prière de l'aube juste quelques
heures plus tard. Pour éviter de me rendormir, j'ai sorti mon
coran après la prière pour le lire et lorsque mon réveil a
sonné sept heures, je suis allée prendre ma douche et me
préparer. Je descends le rejoindre et nous allons d'abord
prendre le petit déjeuner au Mélo, il tient absolument à me
faire goûter leurs pancakes caramélisés et leur café latté.
On y passe un bon moment et
vers dix heures, on met le cap sur la visite de Dakar et ses
alentours.
Je suis en train de fermer ma dernière valise quand mon
téléphone se met à sonner.
Je le prends et je me rends compte qu'il m'a envoyé de
nombreux messages, il est à la réception depuis un quart
d'heure. Il est quinze heures passé et j'étais tellement
concentrée sur mon rangement que je n'ai pas entendu
l'alerte des messages textes sur mon téléphone. Je
descends rapidement le chercher et je lui demande de
monter avec moi car je ne n'ai pas encore terminé. Il
semble réticent à ce propos et balbutie un peu avant
d'accepter. En montant, je me rends compte que j'aurais
peut-être dû lui demander de patienter dans le restaurant à
côté au lieu de l'inviter dans ma chambre.
Mais c'est trop tard, nous sommes déjà là. Il s'installe
timidement sur le canapé pendant que je range les derniers
cadeaux dans un sac de sport. Il m'aide à fermer la valise et
commence à les prendre pour les emmener à sa voiture.
J'inspecte la chambre une dernière fois pour être sûre de
n'avoir rien oublié puis je referme la porte et pars déposer
les clés à la réception avant de le rejoindre à la voiture.
J'ai aimé chaque instant passé avec lui ces deux derniers
jours. Hier, nous sommes rentrés pratiquement vers deux
heures du matin de notre virée. Il m'a déposé à mon hôtel et
jai eu un petit pincement au cour de le laisser partir. J'ai pris
une longue douche chaude avant de m'allonger dans le lit
mais, malgré la fatigue extrême, je n'ai pas pu m'endormir.
Je n'ai fait que ressasser dans ma tête tous les souvenirs
de la journée. Ce n'est qu'après la prière de l'aube que j'ai
pu fermer les yeux, pour me réveiller à midi. Je suis
descendue manger au restaurant et lorsque je suis
remontée, il était déjà quatorze heures. Ceci explique
pourquoi à quinze heures je n'avais toujours pas fini de
ranger mes affaires.
Nous roulons une vingtaine de minutes puis il quitte la route
normale et prend un virage vers une voie non bitumée, il me
fait un peu peur tout à coup. Je regarde dans sa direction et
il est concentré sur la route, je me demande où est-ce qu'il
m'emmène. Il longe la voie un moment et tourne encore
deux fois avant de garer devant une jolie petite mosquée
colorée aux allures de vieux château. Il est l'heure de la
prière d'Asr.
Je souris de soulagement. Nous faisons nos ablutions et
rejoignons les rangs des prieurs, chacun de son côté. Après
la prière, lorsque je sors de la mosquée, je le trouve adossé
sur la voiture en train de m'attendre. Nous reprenons la
route.
Une fois arrivés à l'aéroport Blaise Diagne, j'enregistre mes
bagages rapidement et je reviens vers lui. Nous nous
posons dans un café pour discuter un peu quand on
annonce que mon vol aura du retard. Il me propose de
rester avec moi jusqu'à ce qu'on annonce le départ.
Nous décidons d'aller marcher un peu aux alentours.
L'heure de la prière de maghrib nous trouve dehors et il me
conduit vers un lieu de prière. Après la prière, nous
revenons prendre des nouvelles du vol, la réponse est la
même alors nous ressortons. On peut voir de très loin les
petites lumières de la ville, la vaste plaine de végétation
autour de l'aéroport porte comme un manteau de velours
noir une fois la nuit tombée. Le vent souffle fort et j'ai froid,
je me frictionne avec mes mains. Nous parlons de tout et de
rien, de nos familles, de nos challenges personnels et des
choses que nous souhaitons accomplir. Parler avec lui me
fait du bien, énormément.
J'aimerais bien prolonger ce moment afin d'en apprendre
davantage sur lui mais surtout pour juste profiter de sa
présence.
Sa proximité m'apaise et nos conversations remplissent
mon réservoir émotionnel.
C'est comme si sa présence et nos conversations comblait
une brèche en moi.
Nous ne parlons pas de choses sérieuses et n'avons à
aucun moment abordé le sujet sur nous deux et ce qui nous
a lié auparavant. Les choses se passent comme si nous
étions deux nouveaux amis qui viennent de se rencontrer et
qui aiment la compagnie l'un de l'autre.
Comme deux personnes entre lesquelles il n'y a jamais eu
de sentiments amoureux, deux nouvelles personnes qui
n'ont pas un passé en commun. Cette situation me gêne un
peu. J'ai voulu aborder le sujet mais j'ai senti qu'il préférait
les choses ainsi, alors j'ai abdiqué. Il remarque que j'ai froid,
il retire son blouson et me le donne. Je le remercie. Nous
marchons dans le froid encore quelques minutes avant de
nous décider à retourner à l'intérieur de l'aéroport. Environ
une heure après, nous sommes enfin appelés pour les
procédures d'embarquement. Je me lève un peu
nonchalamment et lui fais un sourire. C'est le moment de se
quitter. Je lui dis au revoir et je retire sa brousse pour la lui
remettre mais il me demande de la garder.
Je suis triste de devoir le quitter mais en même temps
heureuse d'avoir pu passer ces derniers jours avec lui.
Nous nous disons au revoir encore une fois et il reste
debout à me regarder partir, jusqu'à ce que je disparaisse
de son champ de vision.
*
Je suis assise sur le sol, jouant dans le sable comme une
petite fille. Je ramasse des brindilles par ci par là et avec
des feuilles, j'essaie de créer de petits objets aussi
absurdes que mignons. Je me couche sur le dos et j'admire
comment les feuillages des grands arbres qui cachent le
soleil et laissent filtrer les rayons doux à travers les
branches.
J'admire la beauté asymétrique des branches et des troncs
d'arbres, les lianes qui pendent de part et d'autres et le
nombre incalculable de petites fleurs, de champignons et de
fougères qui peuvent vivre au dépend de ces grands
arbres. La nature est majestueuse et lorsque nous
retrouvons notre juste place en elle, c'est tout simplement
mer- veilleux.
Je viens de faire une randonnée pédestre avec des amis
amoureux de la nature dans la gigantesque et riche forêt du
banco et à présent nous prenons une pause, à jouer et rire
dans le sable et dans les feuilles sèches avant de rentrer
chez nous, aussi sales que des enfants partis s'amuser
dans les champs.
Je rejoins ma voiture et je retire mes bottes en plastique
pour les mettre dans mon coffre. Sans elles, je me serais
fait mordre par toutes ces colonies de fourmis magnan que
j'ai rencontrées sur mon chemin. Je mets des sandales et je
monte, direction la maison.
Après une très longue douche pour retirer de mon corps
toute trace de ma randonnée, c'est dans mon peignoir que
je vais m'allonger sur mon canapé pour regarder un film sur
mon ordinateur. A peine le film commence que mon
téléphone se met à sonner. Je n'ai pas très envie de parler
car je suis épuisée mais j'essaie de voir qui c'est avant de
décider si je dois juste
ignorer l'appel ou le prendre malgré tout. La photo qui
apparaît sur mon écran me fait automatiquement sourire:
c'est Karim.
Ça fait déjà six mois que nous nous sommes laissés ce
soir-là à l'aéroport Blaise Diagne de Dakar. Quelques jours
plus tard, il s'est aussi envolé pour le Kenya. Lorsque je
suis rentrée, nous avons continué à parler pendant
quelques semaines. Puis, il a décidé de faire une pause.
Nous parlions beaucoup et à vrai dire, un peu trop pour des
gens qui n'étaient pas ensemble. Je pense qu'il a eu peur
de la grande proximité qui s'était installée entre nous et de
ce besoin que nous avions de toujours converser. Il a voulu
se détacher pour mieux évaluer ses intentions et faire le
vide autour de lui pour comprendre ce qu'il ressentait
exactement.
Je l'ai compris, même si j'ai eu un peu mal. J'ai aimé sa
sincérité car il aurait pu tout simplement disparaître sans
plus me contacter et me laisser dans le flou, mais il a décidé
de parler clairement et de mettre des mots sur ses actes
même si ce n'était pas évident. J'ai toujours aimé cette
sincérité chez lui, même si la première fois je ne l'ai pas
apprécié à sa juste valeur. Il a été le premier à venir me dire
qu'il était encore juridiquement marié et qu'il comptait
divorcer avant de s'engager proprement avec moi. Il n'a pas
attendu que je l'apprenne ailleurs. Il a été le premier à me
demander de venir rencontrer sa famille et me faire une
idée personnelle avant de prendre une décision. C'est moi
qui ai mal agi en décidant de ne pas croire en lui, de ne pas
lui accorder de chance, de le juger et le classer. C'est moi
qui n'ai pas été indulgente et qui ai décidé de me précipiter
dans un mariage avec Ousmane. Nous en avons parlé, lui
et moi et j'ai eu le temps de m'expliquer, de lui dire ce que
je ressentais à ce moment-là et pourquoi j'ai agi ainsi. Je
me suis excusée. J'ai eu le temps de lui parler de mon
mariage, de ce que j'ai vécu, de la fois où il m'a déposé
chez moi et qu'Ousmane m'a battue au point de me briser
les côtes. Je me suis confiée à lui sur tout, jusqu'à mes
problèmes psychologiques, mes envies de suicide et le fait
que je me sois mutilée. Nous nous sommes confiés l'un à
l'autre. Il m'a expliqué pourquoi ça n'a pas marché avec
Sacha, comment elle a tout fait pour qu'il l'aime, au point de
s'épuiser. Il pensait pouvoir juste choisir une femme bien et
lui donner de l'amour mais ça n'a pas marché car il était lui-
même très brisé. Il n'arrivait pas à s'apprécier et n'arrivait
donc pas à donner.
L'échec de son mariage et sa séparation avec sa première
épouse l'avait sévèrement blessé.
Et mon abandon l'avait ainsi achevé. Il n'avait plus rien à
donner, il était plus bas que terre et il n'est pas arrivé à
construire quelque chose avec elle. Mon retour dans sa vie
l'avait bouleversé et il ne voulait plus d'attache car il ne se
sentait pas prêt à se réengager dans quelque chose et
notre communication permanente le ramenait à cette réalité
malgré lui.
Alors, nous avons décidé de ne plus nous parler pendant
une longue période afin que chacun de nous puisse prendre
le temps de savoir sur quoi cette amitié repose et jusqu'où
elle peut aller. J'avoue que dans un premier temps, le
manque s'est installé.
J'ai eu du mal à me faire au silence et au fait de ne plus
pouvoir lui raconter mes journées mais j'ai fini par m'y
habituer.
Nous n'avons pas parlé pendant quatre mois et ça fait
seulement une semaine que nous avons recommencé à
parler, par hasard. Je suis toujours contente de voir son
visage apparaître sur mon écran, je ne saurais comment
l'expliquer mais il me procure la paix et la tranquillité d'esprit
et j'aime ressentir cette paix lorsque je lui parle.
La bibliothèque du lycée est opérationnelle et ouverte aux
élèves et particuliers depuis quelques mois. L'accès est
gratuit pour les élèves du lycée qui peuvent lire sur place en
présentant leur carte scolaire ou emprunter des livres en
remplissant des fiches de garantie. Il est par contre payant
pour les particuliers qui doivent souscrire à des
abonnements. Le modèle marche assez bien. Je suis en
train de travailler sur l'ouverture de la deuxième
bibliothèque en dehors du lycée et qui sera communautaire.
Nous avons choisi le quartier d'Abobo-Avocatier qui regorge
de plusieurs lycées et collèges privés dont aucun n'a de
bibliothèque. Les élèves de ce quartier et ses alentours ont
besoin d'un endroit où nouer des liens avec la lecture et
avoir une bibliothèque communautaire en plein centre de ce
quartier serait l'idéal. Je me suis mise à chercher des
endroits aux alentours du grand château d'eau et j'ai fini par
trouver une vieille petite bâtisse non loin du lycée privé
Sainte Ruth et du commissariat de police du 32e
arrondissement. C'est une ancienne "cour commune" qui
est un peu délabrée mais je vois déjà comment nous allons
la restaurer. Notre bibliothèque communautaire comprendra
trois salles de bibliothèque, un bureau, des toilettes et une
grande salle de réunion qui pourra servir pour les
rassemblements et les événements.
La cour sera aménagée comme une cour de récréation
avec du sable fin, des fleurs, du gravier et de jolis dessins
colorés sur les murs. Nous passerons ensuite dans toutes
les écoles aux alentours pour leur parler de la bibliothèque
et les faire venir. Nous avons commencé les travaux et j'ai
hâte de voir la fin et de pouvoir offrir cet endroit aux jeunes
de la communauté.
Soraya a accouché d'un garçon magnifique il y a un mois.
Très souvent, le temps est notre meilleur allié. C'est comme
si les angoisses, la pression et les remarques sur leur vie
ces cinq dernières années n'avaient pas existées. Ils sont
comblés et heureux. Je suis au four et au moulin pour
l'organisation du baptême de mon neveu chéri car les
Sangaré ont décidé de faire une grande fête pour la
naissance de leur premier fils. Farah vient passer quelques
jours avec moi et je la trimballe dans mes courses. La veille
du baptême, je la dépose chez maman.
J'ai mis un grand boubou bleu ciel et une coiffe marron clair.
Je me suis très peu maquillée mais j'ai relevé mes yeux en
amandes avec un eye-liner qui me donne un air de
Cléopâtre. Je suis en train de défiler parmi les invités et
souhaiter la bienvenue à tout le monde quand je me
retrouve face à lui. Tout mon être se raidit et des frissons
me parcourent l'échine. Mon cœur fait un bon dans ma
poitrine et je mets énormément de temps à répondre à sa
salutation tellement je suis surprise.
• Karim ? Qu'est-ce que tu fais là ?
• Tu fais une de ces têtes ! Tu devrais te voir.
Dit-il en éclatant de rire.
• Ce n'est pas drôle ! Nous nous sommes parlé hier et tu
ne m'as pas dit que tu venais. D'ailleurs, comment ça
se fait que tu sois là ce matin alors qu'hier tu étais là-
bas ?
• Je t'ai appelée de l'aéroport, j'ai décollé juste après. Je
voulais te faire la surprise, et je vois que c'est réussi !
J'aurais dû prendre en photo la tête que tu as faite.
• Tu n'es pas sérieux Karim. J'ai hésité à te demander
hier quand est-ce que tu comptais rentrer vu que ton
travail est terminé depuis quelques semaines.
• J'ai évité d'en parler justement pour te voir faire cette
tête quand j'allais débarquer.
• Tu as vraiment réussi ton coup. Si cela m'étais permis,
je t'aurais pris dans mes bras et serré très fort contre
moi, mais ne le dis à personne. Installe-toi là, je
reviens tout de suite.
Il se met à rire et s'assoit à la place que je lui montre. En
m'éloignant, je vois Hamid tout heureux, aller vers lui.
C'est une très belle fête, colorée et joyeuse.
Les cadeaux affluent de partout. Les griottes rivalisent en
chansons et éloges sur les belles dames, en appuyant sur
les noms de leurs époux, pour les voir claquer quelques
billets de banques dans l'allégresse. Soraya et Hamid sont
en uniforme avec le bébé. Ils sont tellement beaux que j'ai
la larme à l'œil.
Farah est si contente d'avoir un petit cousin qu'elle ne fait
que suivre le bébé partout.
Et moi, je coordonne les choses avec le service traiteur, les
serveurs, la sonorisation.
Je m'assure que tout le monde a mangé, que les gens sont
à leurs places, que les cadeaux parviennent à l'endroit où
ils sont censés être posés, que Soraya ne soit pas
débordée et qu'elle puisse profiter de sa fête...
Les derniers invités commencent à partir, je suis lessivée.
Je commence à confier les différentes tâches de nettoyage
et de rangements aux personnes sollicitées pour le faire et
les superviser. Maman doit partir avec Farah, je me
souviens que je devais lui remettre des jouets qu'elle a
oubliés chez moi quelques jours auparavant. Je me dirige
donc vers la chambre du bébé de Soraya où j'ai gardé mon
sac. Je suis dans le couloir quand je remarque que la porte
est entrouverte, j'entends des
voix que je reconnais, celles de Hamid et de Karim. Je
m'arrête net devant la porte.
• Comme je te l'ai dit, je me sens vraiment perdu. Je
reconnais qu'elle y est pour beaucoup dans ma
décision de revenir au pays, mais n'empêche que je ne
suis pas sûr qu'on puisse vraiment construire quelque
chose elle et moi.
Mais c'est quoi le problème ? Tu ne lui as toujours pas
pardonné de t'avoir quitté pour l'autre ?
- Ce n'est pas ça le souci. Je lui ai pardonné, et je mentirais
si je te disais que mon cœur ne battait plus pour elle, au
contraire. Mais j'ai peur. Gars, je suis terrifié.
Je n'ai plus confiance en moi et du coup j'ai beaucoup de
mal à faire confiance aux autres. Regarde comment les
choses se sont passées avec Ayesha et ensuite avec
Siamy jusqu'à maintenant. J'ai fini par intégrer que je ne
suis peut-être pas fait pour être aimé.
En tout cas, pas comme je le mérite.
• Eh ! Ce n'est pas pareil, tu ne peux pas les comparer
...
J'ai rencontré Ayesha à Paris, elle vivait seule et elle m'a dit
être célibataire depuis trois ans car son ex est rentré au
pays épouser sa cousine à son insu. Elle m'a raconté tout
ce par quoi elle est passée comme douleur et m'a dit qu'elle
avait réussi à surmonter tout ça et à passer à autre chose.
J'ai cru en elle, je l'ai aimée, je lui ai tout donné en espérant
lui faire oublier toutes ses souffrances et lui offrir la vie
paisible qu'elle méritait. Nous sommes rentrés au pays et
seulement un an après notre mariage elle a retrouvé son ex
et s'est mise à me tromper avec lui. Elle est tombée
enceinte de lui en étant dans ma maison et a décidé de me
quitter pour aller être sa deuxième
épouse parce que, je cite, " elle n'a jamais réussi à l'oublier
et c'est lui l'homme de sa vie". J'ai longtemps souffert tu
sais et même après le divorce religieux, j'ai fait traîner le
divorce juridique exprès parce que je ne voulais pas lui
faciliter la tâche. Il a fallu que je rencontre Massiami ici plus
tard pour que je me décide à me libérer de cette corde pour
me reconstruire avec elle. Mais elle aussi, à peine lui ai-je
dit la vérité qu'elle m'a carrément rayé de sa vie sans
préavis.
Elle n'a pas hésité à se marier, si vite que j'ai cru rêver.
Aujourd'hui, elle est divorcée depuis trois ans aussi et me
dit qu'elle a oublié ce type, qu'elle ne l'aime plus et qu'il ne
fait plus partie de sa vie. Trois ans, n'est-ce pas peu ?
Qu'est-ce qui me prouve que dans quelques années,
lorsqu'il sortira de prison, elle ne retournera pas dans ses
bras ? Qui me dit qu'elle me veut vraiment pour moi et non
juste parce qu'elle regrette que l'autre enfoiré n'ait pas été
une bonne personne ? Si c'était à refaire, ferait-elle le
même choix ? Elle et moi sommes vraiment proches
aujourd'hui, mais elle n'a rien fait non plus pour me montrer
qu'elle souhaite vraiment quelque chose avec moi. Peut-
être que je comble juste le vide, en attendant qu'elle
rencontre quelqu'un d'autre. Est-ce judicieux pour moi de
me jeter deux fois dans la gueule du même loup ?
- Abdul Karim, est-ce que tu lui as parlé de tout ça ? Est-ce
que tu lui as posé toutes ces questions que tu te poses ?
Avez-vous envisagé ensemble de discuter d'une probable
relation, ne serait-ce qu'en essai ?
Tu lui as demandé ce qu'elle ressent ?
• Non…
• Et comment veux-tu qu'elle s'ouvre à toi si tu ne
t'ouvres pas à elle ?
Je ne sais pas. Tu sais, j'avais fait une croix sur elle. Je ne
voulais plus d'elle dans ma vie, j'avais décidé de l'oublier
complètement mais je n'y suis pas arrivé. Même étant
mariée, je ne cessais de rêver d'elle. J'ai essayé de
m'engager avec Sacha mais j'ai fait souffrir cette gentille fille
à cause d'elle, parce que je n'arrivais pas à me la sortir du
crâne. J'ai quitté le pays à cause d'elle. J'ai eu un peu de
répit après deux années passées loin d'ici, j'ai rencontré
plusieurs soeurs qui étaient intéressées par moi et j'ai
demandé à Dieu de me donner le discernement. J'ai prié
afin qu'il la fasse disparaître complètement de mon esprit
afin que je sois disposé à me reconstruire avec quelqu'un
d'autre. J'ai énormément prié pour ça frère et figure-toi que
je suis allée à la Omra avec cette intention de prière. Mais
au lieu de me la faire oublier, Dieu a fait en sorte que je la
rencontre là-bas et qu'elle m'annonce son divorce.
- Allahou Akbar ! Allah est grand ! Frère, je sais que c'est
dur pour toi de l'accepter ainsi mais moi je pense que c'est
un signe clair de la part de ton seigneur. Son mariage avec
Ousmane faisait juste partie des lignes de son destin et elle
ne pouvait y échapper, mais ce que Dieu vous réserve à
tous les deux est grand et il faut un chemin tortueux pour
les grands accomplis- sements, tu ne penses pas ? Si tu ne
l'avais pas rencontrée, tu n'aurais pas connu Soraya et je
ne serais pas en train de vivre mon paradis sur terre avec la
merveilleuse femme qu'elle est. Ta rencontre avec Siamy
n'était pas fortuite, j'ai un fils aujourd'hui grâce à cette
rencontre.
Je pense que le fait de l'avoir vue à la Omra comme ça
alors que tu y allais justement pour prier afin de l'oublier,
c'est un signe. Le fait que ta maman soit tombée sur elle
deux fois, à la Mecque mais aussi à Dakar et te l'ai
ramenée, est un signe. Cette affection démesurée que
Yaye Sall a eue directement pour elle est un signe. Je sais
que tu as peur et c'est normal, mais parle-lui.
Ne fais pas que lui parler de livres, de plantes et de café,
parle-lui de tes peurs et de ce que tu caches dans ton cœur.
Je suis sûr qu'elle ressent la même chose, sinon beaucoup
plus que toi....
Je sursaute quand j'entends des pas derrière moi, c'est
Soraya qui arrive et qui m'interpelle. Je tousse avant de lui
répondre et je tape à la porte. Hamid me fait signe d'entrer.
Je m'excuse auprès d'eux et je leur dit que je viens juste
chercher mon sac.
Soraya entre à son tour avec le bébé qui est endormi, elle
part le coucher dans son berceau avec l'aide de Hamid.
Abdul Karim sort juste après moi. Je le sens stressé, il se
demande sûrement si j'ai entendu leur conversation mais il
n'ose pas poser la question. Pour casser le silence, je lui
demande s'il veut venir dîner chez moi ce soir. Il balbutie
puis me donne une excuse toute faite pour refuser mon
invitation avant de foncer vers le salon pour discuter avec
des cousins à lui et Hamid.
C'est le début des vacances. J'ai réussi à évacuer la
majorité de mon travail au lycée et j'arrive à avoir un peu de
temps pour moi. Avec mon groupe d'amis amoureux de la
nature avec qui je fais les randonnées en forêt, nous avons
décidé d'initier une activité de nettoyage nommée
"opération plages propres". Nous avons décidé d'investir la
plage des pêcheurs de Port-Bouët toute une journée afin de
nettoyer l'endroit qui est très souvent insalubre. Beaucoup
de personnes ont été invitées à nous rejoindre à travers les
réseaux sociaux. Je suis surprise par le nombre de
personnes venues nous prêter main forte. Pour ma part, j'ai
invité Abdul Karim et il est venu. Il est à fond dans son
travail, je le regarde de loin et je ne peux pas m'empêcher
d'être attirée par lui à cet instant précis. Sachant les choix
douteux que le désir et l'attirance charnelle m'ont fait faire
auparavant, je me méfie beaucoup de cette émotion. Je l'ai
invité pour qu'on puisse se parler, et passer un peu de
temps ensemble. Depuis le baptême de notre neveu, il y a
une semaine, nous n'avons pas eu le temps de nous voir
seuls. Il s'est arrangé pour qu'il y ait toujours quelqu'un avec
nous.
Je sais qu'il est rentré en partie pour moi mais il a encore du
mal à se décider. Je ne veux pas qu'il se précipite pour me
faire une proposition, loin de là, car moi aussi, malgré toutes
les choses que je ressens pour lui actuellement, je ne veux
pas me précipiter.
Je sais que nous ne sommes pas obligés de finir ensemble
lui et moi. On peut décider d'essayer et voir plus tard que ça
ne marche pas, à cause de nos blessures antérieures.
On peut chacun de notre côté rencontrer de nouvelles
personnes et prendre des chemins différents. Tout peut
arriver, rien n'est linéaire et statique. Mais pour qu'on essaie
ou pas, il faut d'abord qu'on en parle. Pour qu'on décide si
ce que nous ressentons en vaut la peine ou pas, il faut
qu'on arrive déjà à se dire qu'on ressent des choses. Il
pense me cacher ses sentiments et pourtant je les vois.
Je comprends qu'il ait peur, car moi aussi j'ai peur. Mais ça
fait déjà trop longtemps qu'on se tourne autour sans se dire
les choses. Et je sais que ça nous soulagera tous les deux,
de se les dire, ces choses.
Après avoir nettoyé, ramassé et entassé les ordures dans
de grands sacs, un groupe s'est porté volontaire pour les
transporter en brouettes jusqu'aux bacs à ordures non loin
de la grande voie. Nous pouvons enfin nous poser. Il vient
près de moi et retire sa chemise qu'il pose sur le sol et
s'allonge dessus.
Je lui fais remarquer que j'ai un drap dans mon sac. Je vais
le chercher et viens l'étaler sur le sable. Il s'allonge dessus,
sans remettre sa chemise. Heureusement qu'il porte un
débardeur. Je m'assois à côté de lui, en prenant soin de
mettre une petite distance entre nous.
• Je ne m'attendais pas à ce que tu prennes ce travail
autant à cœur. Tu as travaillé bien plus de certains
membres organisateurs.
• Le but n'était-il pas que je vienne aider ? Ou je me
trompe?
• Bien sûr! Et tu as vraiment aidé, bravo ! Et
merci.
- Je t'en prie
- A vrai dire, le deuxième but derrière l'invitation était qu'on
puisse se parler.
• Ah bon ? Mais nous avons parlé toute la semaine...
• Pas de ce dont je veux qu'on parle
• Et tu veux parler de quoi ?
• De nous.
• De nous?
Il se redresse brusquement et s'assoit. Je le sens paniquer
subtilement, ses mains se mettent à trembler.
- Oui de nous. Je ne veux pas qu'on perde du temps alors
je vais aller droit au but.
J'ai entendu ta conversation avec Hamid la dernière fois. Je
suis désolée, ce n'était pas mon intention, j'étais juste là au
bon moment au bon endroit. Et j'ai été soulagée de
t'entendre dire que tu ressens toujours quelque
chose pour moi même si le reste m'a rendue triste. Je sais
que ce n'est pas facile pour toi et tu ne veux pas en parler
parce que tu es confus et que tu n'arrives pas à prendre de
décision concernant notre relation. Mais je voulais que tu
saches que je ressens aussi beaucoup de choses pour toi
en ce moment et que moi aussi j'ai peur. Je sais que les
choses ne peuvent pas s'emboîter aussi facilement entre
nous à cause de la façon dont les choses se sont déroulées
entre nous dans le passe, mais S1 on en est là aujourd'hui
c'est sûrement qu'il y a une raison à tout ça. C'est normal
que tu aies peur, que tu te poses des questions sur moi et
que tu hésites à me faire de nouveau confiance. J'aurais
sûrement ressenti la même chose dans ton cas. Je veux
juste que tu saches que tes sentiments sont partagés.
Si mes choix passés étaient à refaire, je n'aurais pas fait ce
que je t'ai fait, je t'aurais donné ta chance. Si tu veux mettre
la peur de côté aujourd'hui et essayer quelque chose de
nouveau, je serai ravie de sauter le pas, juste pour voir ce
que ça donne. Mais si tu ne te sens pas encore prêt, on
pourra patienter, le temps que Dieu lui-même nous accorde
le discernement nécessaire. Je ne suis pas pressée et je ne
veux pas que tu te mettes la pression non plus. On peut
aussi se donner du temps chacun de son côté sur une
période donnée et si au bout de ce moment, tu te rends
compte que tu ne veux vraiment rien faire et qu'il vaut mieux
enterrer tout espoir d'une histoire entre nous pour se
tourner vers de nouveaux horizons, je comprendrai et
j'accepterai.
• Je ne sais pas quoi te dire ....
• Tu n'es pas obligé de dire quelque chose. En tout cas
pas tout de suite.
• OK. Tu permets que j'aille marcher tout seul quelques
minutes ? J'ai besoin de ..
• Oui vas-y. Je suis là.
• Merci.
Il se lève, ramasse sa chemise et la secoue pour retirer le
sable avant de la porter.
Je le regarde partir vers l'eau, les vagues viennent se briser
à ses pieds. Je sais que ce n'est pas facile pour lui, il doit se
sentir comme celui dont je veux me contenter maintenant
parce que mon mariage n'a pas marché. Et pourtant il n'en
est rien. Si tout ça était à refaire, j'aurais pris mon temps. Je
n'aurais pas laissé Ousmane me faire choisir à la hâte. Je
ne lui aurais pas donné accès à mon corps et j'aurais
essayé de réfléchir deux fois aux mots de maman qui me
disait que ça allait trop vite. Si c'était à refaire, j'aurais
écouté Soraya et laissé Karim prouver sa bonne foi. Je me
serais donnée plus de temps pour y voir clair avant de
choisir même si cela devait inclure que je perde l'un des
deux ou tous les deux à la fin.
Mais je ne peux pas revenir en arrière pour tout arranger. Il
vaut mieux tard que jamais alors, si on a une chance, que
Dieu nous l'accorde et si ce n'est pas le cas, alors je ne
m'en voudrais pas car j'aurais quand même essayé.
Une trentaine de minutes plus tard, il est de retour. Je ne le
vois pas arriver car j'ai posé un foulard sur mon visage à
cause du soleil.
Je suis perdue dans mes pensées quand il s'assoit près de
moi. Je retire le foulard de mon visage et me tourne vers lui.
• Ça va ?
• Oui.
• …ОК.
• Je ne suis pas prêt...
-....
- Je ne me sens pas prêt pour ça, pas maintenant. J'ai
encore besoin de temps, pour moi. Je ne suis pas en train
de te demander de patienter, non, au contraire, je ne veux
pas que tu m'attendes. Si tu trouves quelqu'un d'autre,
donne-lui sa chance. Je voudrais qu'on reste juste de bons
amis. Je pense que ce serait meilleur pour nous de trouver
de nouvelles personnes....
- OK, je vois. Je me suis dit que tu voudrais au moins qu'on
soumette ça à Dieu et qu'on patiente un moment. Je ne
dirais pas que je te comprends, mais je respecte ton choix.
Merci d'être toujours aussi sincère envers moi, j'apprécie
vraiment.
- Je t'en prie.
Nous restons assis l'un auprès de l'autre à regarder le soleil
se coucher lentement et disparaître doucement derrière
l'horizon avec nos espoirs.
La bibliothèque communautaire est presque terminée.
Malgré le nombre de livres que j'ai commandé avec
diverses librairies, j'attends aussi des dons de plusieurs
associations. Nous faisons la peinture depuis deux jours et
je m'amuse à dessiner sur les murs des salles de
bibliothèque. La première salle sera pleine de livres pour
enfants de deux à onze ans.
La seconde salle pour les adolescents de douze ans à dix-
sept ans et la troisième pour les adultes. Les livres seront
triées en conséquence et beaucoup de manuels scolaires
seront mis à disposition des adolescents car ils sont les plus
visés.
J'imagine déjà combien l'endroit sera chaleureux. J'ai hâte
de voir les élèves du groupe scolaire Sainte foi, du collège
destin, du lycée Sainte Ruth et de tous les collèges semi-
privés environnants venir se rassembler dans cet endroit et
apprendre ensemble. J'imagine les amitiés qui se créeront
autour d'un livre, les fous rires pendant des séances de
travail sur les exposés, le partage de connaissances entre
les différents élèves... J'imagine déjà combien cet endroit
sera le refuge de certains élèves et combien d'avenirs cet
endroit va pouvoir changer. Je suis heureuse de faire ça.
Je me sens utile, je me sens vivre.
Ça va faire quelques semaines que je n'ai pas parlé à Karim
et qu'on ne s'est pas vus non plus. Il a essayé de m'appeler
pour discuter de tout et de rien le lendemain de notre
conversation mais je lui ai dit que j'avais moi aussi besoin
de m'éloigner afin d'accepter facilement sa décision et m'y
faire. Je ne peux pas continuer à lui donner de mon
précieux temps pour parler seulement de livres et de café
car plus nous le faisons, plus nous tissons des liens qui
deviennent de plus en plus forts et qui ne se laisseront pas
défaire simplement par des phrases comme " restons de
bons amis" ou " je ne suis pas prêt pour ça". Ces liens se
tissent et n'ont rien à faire de ce qu'on se dit après alors il
vaut mieux éviter. Je ne sais pas à quoi il s'attendait mais il
a été déçu. Je l'ai moi aussi été car je l'avoue, j'avais placé
de l'espoir en cette histoire. À présent, je veux juste faire les
choses que j'aime, sans trop réfléchir et sans m'attarder sur
tout ça. Quoi qu'il advienne, je sais à présent comment
avancer malgré tout et je le fais même si c'est difficile. Je
n'ai plus peur de faire les choses pour moi, de choisir mon
bonheur et de l'assumer. J'ai foi en l'avenir et je
n'attends plus personne pour me rendre heureuse car je le
suis déjà en moi-même.
L'histoire n'est pas à refaire, car si l'on pouvait, on la
réécrirait mille fois ! Mais elle est à accepter et à continuer
et c'est ce que j'essaie de faire. Quel que soit ce que nous
réserve l'avenir, je le prendrai avec foi.
Mes livres sont enfin arrivés. Je suis toute surexcitée à
l'idée de terminer ce beau travail. Mais trier et étiqueter des
milliers de livres par âge et par centre d'intérêts n'est pas
facile par contre. J'ai demandé à des amis et à la famille de
venir m'aider à faire le tri, le classement et les rangements.
Soraya et Hamid se sont libérés pour moi, ils ont ramené
leur nounou avec bébé Akim pour me soutenir. Adja et Sita
sont passées juste pour quelques heures mais ont fait un
boulot formidable. Certains membres du club des amis de la
nature sont venus, les bras chargés de pots de fleurs, des
semences pour mon petit jardin dans la cour et des plants
d'aloès pour me souhaiter bonne chance. Ils m'ont aussi
aidée à faire le tri. Une première journée bien remplie!
La deuxième journée de rangement, c'est maman qui vient
à ma rescousse ainsi que certains élèves du lycée. Farah
qui est censée aider ne fait que courir partout et jouer dans
la cour. Mais lorsque je rentre chez moi le soir, je suis fière
car beaucoup de travail est déjà fait. Je décide de me
reposer le lendemain et de reprendre ensuite car
l'inauguration n'est pas prévue avant la fin du mois.
Je profite de mon repos pour aller voir l'imam Cheick-
Abdine. Nous discutons énormément d'Abdul Karim et il me
conseille de faire ma prière de consultation avant tout.
Il m'apprend que la prière de consultation, appelée Salat al-
Istikharah est une prière que notre Prophète Muhammad
(saw) a enseigné à ses compagnons. Il s'agit d'une prière
surérogatoire que le musulman accomplit dans le but de
consulter Allah le Très-Haut, afin qu'il l'oriente dans un
choix qu'il doit faire, et au sujet duquel il est hésitant. Il
arrive très souvent, dans choix qu'il doit faire, et au sujet
duquel il est hésitant. Il arrive très souvent, dans notre vie,
que nous nous trouvions face à des dilemmes, et que nous
ne sachions pas la bonne décision à prendre. En faisant la
prière de consultation, nous confions notre sort à notre
Créateur. Nous lui demandons de choisir à notre place ce
qui sera bon pour nous. Et quel meilleur conseiller
pourrions-nous trouver que celui qui connaît parfaitement
toute chose ? Une invocation précise est dite à la fin des
deux unités de prière afin de demander le discernement et
l'apaisement dans ce que notre Seigneur aura choisi pour
nous.
Il insiste sur ce fait et me dit que même si je dois
abandonner et passer à autre chose, il faut absolument que
ce soit après avoir clairement été guidée par Allah. Il me
demande de faire aveuglément confiance à mon Seigneur
sans douter une seule fois de sa présence et de sa
miséricorde. Je me dis intérieurement que j'aurais dû avoir
ces conseils et faire cette prière avant de me lancer dans
mon premier mariage.
Lorsque je rentre à la maison, je fais directement ma prière
de consultation. Les jours qui suivent, j'essaie de la faire
chaque fois que je termine l'une des cinq prières
obligatoires de la journée. L'imam Cheick-Abdine est la
personne de qui j'apprends le plus, il est vraiment une
bénédiction dans ma vie. Si j'ai un fils dans un futur proche,
je pense que je lui donnerai son nom. Chacun de mes
passages chez lui me transforme en une meilleure
personne et me donne de nouvelles connais-sances et
aptitudes. Je suis vraiment reconnaissante à Dieu de
m'avoir guidée vers lui au bon moment.
Je suis assise dans la bibliothèque des adolescents, en
train de coller des stickers autocollants sur les murs quand
j'entends frapper. Je suis un peu surprise mais aussi
intimidée de me retrouver en face d'Abdul Karim.
• Comment tu vas ?
• Très bien même si je suis débordée. Et toi ?
- Ça va. Justement, je venais te proposer mon aide, j'ai
appris que tu devais ranger et répertorier des tonnes de
livres.
• Oui mais j'ai beaucoup avancé déjà, il ne me reste que
quelques piles dans la salle des adultes et j'aurai fini.
• D'accord. Je peux aider ?
• Oui. Viens je te montre.
Je le conduis vers la salle et lui montre les livres à
répertorier et étiqueter ainsi que les étagères où les placer.
Puis, je retourne dans la salle des adolescents pour
continuer mon travail. Je me demande ce qui l'emmène
vraiment car je doute que ce soit juste pour aider surtout
que nous ne nous sommes pas parlé depuis. Sa présence
me gêne profondément même si au fond de moi je suis
heureuse qu'il soit là. Je vois en cela l'espoir d'avoir une
nouvelle discussion à propos de nous, en espérant qu'elle
ne se termine pas plus mal que la dernière fois. Quelques
heures plus tard, nous avons terminé le travail pour la
journée. J'avoue que son aide a été précieuse et que sans
lui je ne serai
pas à ce niveau. Je le remercie. Nous entamons le chemin
du retour ensemble dans ma voiture. Nous roulons dans un
silence lourd. Lorsque nous nous rapprochons de l'endroit
où il est censé descendre pour prendre son taxi, il se résout
à briser le silence.
• Je suis désolé...
• Désolé pourquoi ?
• Pour la dernière fois. Pour avoir dit que je souhaitais
qu'on reste juste amis.
• Ne t'inquiète pas, je te comprends. Mais tu devrais
aussi com- prendre que cette amitié doit venir bien
après qu'on ait réussi à passer outre les sentiments
amoureux. Pas avant. Et comme je te l'ai dit, je ne
peux pas me permettre de continuer à te parler comme
si de rien n'était, c'est injuste pour moi tu ne crois pas ?
Laisse-moi le temps de passer à autre chose.
• Justement... je ne veux pas que tu passes à autre
chose ...
• Pardon ?
• Siamy, je t'aime ! Comme je n'ai jamais aimé personne,
même pas Ayesha. Quand tu m'as parlé la dernière
fois, mon orgueil a pris le dessus, parce que tu as pris
les devants.
Je l'ai ressenti comme si tu pouvais te permettre de décider
à ta guise quand est-ce que tu me veux et quand est-ce que
tu ne me veux pas. J'ai été blessé par notre première
expérience et j'ai eu peur, je te l'avoue. J'ai eu peur de
m'abandonner à toi et que tu décides à un moment de ne
plus continuer.
J'ai vécu avec ton ombre dans mon âme ces huit dernières
années et tu ne peux pas comprendre à quel point j'ai lutté
pour ne plus t'aimer. J'ai eu
peur de te redonner tout ce que tu m'as pris auparavant. J'ai
eu peur de ne pas réussir à construire quelque chose de
durable parce que c'est ce que je veux, avec toi.
Quelque chose de vraiment durable. Mais ces derniers jours
ont été une véritable épreuve pour moi. Une torture même !
Ne plus pouvoir te parler était atroce. Ne pas pouvoir te voir
encore plus et entendre tout le temps, tout le monde parler
de toi et de ce que tu fais, voir les autres aller te soutenir et
ne pas pouvoir faire partie de tout ça, c'était carrément
l'enfer...
- Tu m'as manqué aussi.
Il éclate de rire à la tête que je fais en lui disant qu'il m'a
manqué. Puis, il reprend:
- Je veux bien qu'on essaie, comme tu as dit.
Qu'on confie tout à Dieu et qu'on patiente quelque temps.
J'ai décidé de faire la prière de consultation à ce propos
depuis quelques jours, histoire de demander le
discernement et depuis, je ne sais pas si c'est un signe,
mais mes sentiments pour toi n'ont fait que grandir et ma
peur se dissiper.
• Je le fais aussi depuis quelques jours et j'avoue que
j'espérais que tu m'appelles. Mais ce que tu viens de
faire est beaucoup mieux.
• Je suis content de t'entendre dire ça.
• Je suis contente de m'entendre dire ça aussi.
Tu es trop folle. Dit-il en riant encore une fois.
Je gare le véhicule à la station et je lui signale qu'il est
arrivé. Il n'a pas envie de descendre, je le sais et moi non
plus je n'ai pas envie de le laisser partir mais il le faut. Il me
demande s'il peut m'appeler quand il rentre, je réponds par
l'affirmative.

L'inauguration c'est demain. Tout a été rangé comme il faut,


des salles de bibliothèque en passant par le bureau, la salle
de réunion et la cour. Les toilettes fraîchement rénovées ont
été bien nettoyées. Je suis passée inspecter deux fois déjà.
Tout est fin prêt à part quelques touches de décoration de
dernière minute que je veux absolument faire. Avec Abdul
Karim, nous avons passé énormément de temps ensemble
mais aussi et surtout nous avons parlé. De nos attentes, de
nos idéaux, de nos limites, de nos rêves. Aussi réalistes
que nous pouvons l'être, nous avons évoqué toutes ces
choses fâcheuses et non glamour qui pourraient entacher
cet essai. Nous avons décidé de nous choisir et de travailler
ensemble qui nous sommes à deux, mais aussi chacun de
notre côté.
Nous avons abordé l'épineuse question de la violence, sous
toutes ses formes. Nous sommes allés ensemble rencontrer
un thérapeute, spécialiste des couples. Nous nous sommes
mis à lire des livres sur le mariage et la vie de couple. Il a
adoré lire " Ce que j'aurais aimé savoir avant de me marier"
et " les langages de l'amour" de Gary Chapman. Nous
faisons aussi des challenges de questions à se poser avant
de s'engager, que nous avons trouvé sur internet.
Cet après-midi, j'ai demandé à Abdul Karim de
m'accompagner acheter ce que je souhaite rajouter à la
décoration au grand Mall. Ces derniers jours, nous avons
beaucoup plus échangé sur nos attentes de l'avenir, notre
perception des choses et les perspectives qui s'offrent à
nous. Je l'ai emmené voir l'imam Cheick-Abdine et ils se
sont directement liés d'amitié au point de me rendre jalouse.
Nous continuons de prier chacun de notre côté. Nous avons
aussi passé beaucoup de temps à trois, avec Farah. J'ai
essayé de lui expliquer qu'on pourrait bientôt devenir une
famille et vu la façon dont ses yeux ont brillé de bonheur, je
sais que je n'ai pas à m'en faire pour elle. Elle continue de
parler à son père une fois par semaine et ils ont quand
même réussi à tisser une relation père-fille malgré la
distance. Je sais que la présence d'une seconde figure
paternelle lui sera bénéfique et Abdul Karim semble être la
personne idéale car elle l'aime beaucoup, comme son
tonton Hamid. Je suis confiante en l'avenir et plus le temps
passe, plus je me rends compte que Dieu ne fait
absolument rien par hasard et que toute chose arrive pour
une raison. Je suis reconnaissante d'avoir pu m'en sortir et
d'en être là aujourd'hui.
Nous arrivons à la bibliothèque après la prière d'isha,
dernière prière de la journée que nous avons effectuée
ensemble à la mosquée de l'imam Cheick-Abdine. Il est
vingt et une heures lorsque nous déchargeons les objets de
décoration de la voiture pour les installer. J'explique à Karim
ce que je veux faire et nous nous mettons directement au
travail. Après avoir accroché les guirlandes et les
luminaires, posé les pots de fleurs artificiels sur les étagères
et entre les livres puis installé notre petit mur de citations
diverses, nous faisons une pause. Je nettoie les salles et
ramasse les emballages vides pour les mettre à la poubelle.
Quand je reviens, Karim a allumé toutes les guirlandes et
les luminaires puis a éteint les ampoules normales.
L'ambiance et la décoration de la salle sont magnifiques.
Des livres, des fleurs, des guirlandes, une lumière tamisée
romantique et une douce psalmodie du Coran en fond
sonore dans mon téléphone. Que demander de plus pour
être heureuse ? Je le suis déjà.
Mais il y ajoute un petit plus : je le vois revenir de la salle de
réunion avec deux tasses chaudes toutes fumantes. Une
tasse de chocolat chaud pour moi et une tasse de
cappuccino pour lui.
• Je viens de tester la machine à café pour être sûr que
ça fonctionne bien, pour demain. Tiens, ton chocolat
chaud avec beaucoup de lait et sans sucre, comme tu
l'aimes.
• Merci beaucoup. Tu avais des dosettes sur toi ? Super.
• Oui, on s'installe sur le tapis ?
• Avec plaisir.
Nous nous asseyons par terre, sur le tapis, avec les
coussins autour de nous. Il pose sa tasse devant lui et je
fais pareil. Il observe la salle et tout autour de lui.
• J'aime beaucoup cet endroit, tu as fait un travail
formidable.
• Merci. J'adore le rendu aussi ! Mais je suis un peu
stressée pour demain.
• Il ne faut pas, ce sera un vrai succès tu verras. Je suis
si fier de toi. Tu es exceptionnelle ma Siamy.
• Merci...
Je le regarde tendrement, un petit sourire se dessine au
coin de mes lèvres. Qui aurait cru que nous en serions là
tous les deux, plus de huit ans plus tard? Je suis
reconnaissante à Dieu de me donner une seconde chance,
avec lui. Je tiens ma tasse chaude entre mes mains et je la
caresse un peu, pour me réchauffer. Il se penche vers mon
visage
- Ton sourire est magnifique
Merci chouchou. Et arrête avec les compliments sinon je ne
vais plus tenir, je risque de te sauter au cou.
- Ah bon ?
• Oui. Dommage que je n'en ai pas le droit sinon je ferai
bien plus que te sauter au cou.
• Tu penses que tu es prête ? Je veux dire, si je ne
voulais pas patienter plus longtemps et que je te disais
que je me sens vraiment prêt actuellement, tu
sauterais le pas ?
Je pose ma tasse de chocolat sur le tapis et je le fixe droit
dans les yeux.
- Si tu penses vraiment que tu es prêt actuellement alors
n'attends pas, ne doute pas, fait-le. Tu sais déjà ce que je
ressens.
• Attends, tu es en train de me dire de t'épouser là ?
• Bah non, je suis plutôt en train de te dire de me
demander de t'épouser...
Il éclate de rire et part dans un fou rire pendant un petit
moment avant de se
ressaisir.
• Siamy, épouse-moi.
• J'accepte Abdul Karim Sall, je t'épouserai dès demain
si tu veux.
Nous nous regardons dans les yeux pendant un instant,
convaincus que tout était fait, depuis le début, pour que
nous vivions cet instant précis.
Convaincus que ce mariage sera le bon, pour chacun
d'entre nous.
Puis, il lève sa tasse de café vers moi :
- À mon second mariage, le vrai, avec toi!
Je ris, puis je lève à mon tour ma tasse de chocolat chaud
vers lui :
• À mon second mariage, le vrai, avec toi! Nous joignons
nos tasses et disons ensemble :
• Aux secondes chances et aux nouveaux départs!
Avant de vider nos tasses, le coeur plein de joie et d'espoirs
en l'avenir.

Fin
ALORS, LES VIOLENCES FAITES AUX
FEMMES, ON EN PARLE ?

À travers le monde, les violences faites aux femmes sont de


plus en plus perceptibles

au sein des sociétés. Parce que de plus en plus de femmes


dénoncent et exposent les violences dont elles sont
victimes. Ces faits ont toujours existé mais, auparavant,
restaient cachés, tabous.
En Côte d'Ivoire, selon une enquête effectuée par le
ministère de la famille, de la femme, de l'enfant et des
affaires sociales, l'analyse des résultats quantitatifs indique
que sur 10 personnes interrogées, 9 déclarent avoir subi
des violences au cours de leur vie. Lorsque l'on considère
les formes de violences subies au cours de la vie, on note
qu'il existe une différence dans la pratique. En effet, les
formes les plus répandues sont les violences physiques (84
%), les violences verbales (81 %), les violences
psychologiques (34 %) et les violences sexuelles (21 %).
Les violences économiques et les actes malveillants sont
cités par moins de 10 % des personnes interrogées. De
toutes les formes de violences, c'est au niveau des
violences sexuelles que l'on observe une variation
importante entre les sexes. Environ une femme sur 4 (donc
25
%) a été victime de violence sexuelle au cours de sa vie
contre
1 homme sur 10 (donc 14 %). On en déduit donc que la
majorité des violences dans la société sont faites aux
femmes. Et la plupart de ces violences leurs sont infligées
par des hommes plus ou moins proches (époux ou conjoints
dans la plupart des cas, pères, frères, connaissances ou
inconnus dans le reste des cas).
PARLONS MAINTENANT DES VIOLENCES AU
SEIN DU COUPLE

Les violences au sein du couple sont un ensemble d'actes,


de propos et de comportements par lesquels votre
partenaire ou ex-partenaire essaie de vous contrôler, vous
dominer et vous détruire.
Aucune raison ou justification n'est valable pour excuser et
cautionner l'agression d'un partenaire. Ces violences sont
interdites et punies par la loi. Vous avez des droits, quelle
que soit votre situation : mariée, séparée, divorcée, etc.
Les formes des violences sont multiples et peuvent
coexister. Une personne peut être victime de plusieurs
violences à la fois.

LES DIFFÉRENTES MANIFESTATIONS DE CES


VIOLENCES SONT :
o VIOLENCES PHYSIQUES:
o bousculades, coups avec ou sans objet, strangulations,
morsures, brûlures, séquestrations...
o VIOLENCES VERBALES : injures, menaces,
intimidations, dévalorisation
o VIOLENCES PSYCHOLOGIQUES : humiliations,
chantages affectifs, interdiction de fréquenter des amis
ou la famille, menaces de mort...
o VIOLENCES SEXUELLES : agressions sexuelles,
viols, attouchements, prostitution contre son gré...
o VIOLENCES MATÉRIELLES : casser, jeter vos objets,
saccager vos biens, détruire votre matériel de travail....
o VIOLENCES ECONOMIQUES :
o contrôle de vos dépenses, suppression de la carte
vitale, et de tout autre moyens de paiement par
confiscation de vos documents (carte nationale
d'identité, passeport, livret de famille, carnet de santé,
diplôme, etc.) interdiction de travailler, racket, etc.
o • CYBER-VIOLENCES : cyber-contrôle (contrôler tous
vos faits et gestes sur internet), cyber-surveillance à
votre insu, cyber-violence sexuelle, cyber-violence
économique ou administrative...
o Quelle que soit la forme de violence que vous
subissez, les conséquences sont importantes,
nombreuses et durables.
o Parmi ces conséquences, on peut noter : les blessures
graves, les lésions corporelles, l'anxiété et le stress
constant, les troubles du sommeil et / ou de
l'alimentation, les peurs intenses, la culpabilité, la
dépression, l'isolement, crises d'angoisse, les
comportements à risque ou le suicide, l'agressivité …
Ces violences ont un grand impact sur votre santé physique
et mentale mais également sur votre vie sociale, familiale
ou encore professionnelle. Très souvent, elles entraînent la
mort.
Aussi, Il est important de faire la différence entre de simples
disputes et les violences au sein du couple.

COMMENT LES DIFFÉRENCIER ?

o Dans les disputes ou simples conflits conjugaux, deux


points de vue s'opposent dans un rapport d'égalité. La
confrontation peut être houleuse sans déborder et
chaque partie connaît les limites à ne pas franchir.
o Dans les violences conjugales, il s'agit d'un rapport de
domination et de prise de pouvoir de l'auteur de la
violence sur la victime.
Par ses propos et comportements, l'auteur veut contrôler et
détruire sa partenaire, sans limite.
À ce jour, 700 millions de femmes sont victimes de
violences conjugales à travers le monde.
Selon une étude de l'ONG "Citoyennes pour la Promotion et
Défense des Droits des Enfants, Femmes et Minorités
(CPDEFM), sur la période de 2019-2020, 70 % des
Abidjanaises sont victimes de violences conjugales.
Selon leurs derniers rapports, toujours à Abidjan, qui
compte environ 5 millions d'habitants, 416 féminicides ont
été enregistrés entre 2019 et 2020. La plupart de ces
féminicides ont été perpétrés par les conjoints et ex-
conjoints des victimes. Et ce chiffre énorme
malheureusement ne reflète que les féminicides déclarés.
Qu'en est-il de ceux passés sous silence ? Le danger est
absolument réel.
SI VOUS ÊTES DANS CETTE SPIRALE,
COMMENT VOUS EN SORTIR?

Que les faits soient anciens ou récents, il faut en parler à


une personne en qui vous avez confiance, à une
professionnelle ou un professionnel (médecin, assistante
sociale, assistant social, avocate, avocat...) ou à une
association spécialisée dans la lutte contre les violences
faites aux femmes qui vous accompagnera. Parler est le
début de la libération et de la prise de conscience. C'est le
premier pas à faire.
Signalez ces faits à la police ou à la gendarmerie. Vous
ferez l'objet d'une attention particulière de la part des
services de police ou des unités de gendarmerie qui ont mis
en place des
dispositifs d'accueil et d'aide aux victimes : intervenantes
sociales, psychologues, permanence d'association d'aide
aux victimes.
Il existe des centres sociaux dans toutes les villes,
communes, district et régions de la Côte d'Ivoire. Pensez à
vous diriger vers ces institutions. Plusieurs Organisations
non gouvernementales sont spécialisées dans la prise en
charge des cas de violences, vous pouvez leur demander
de l'aide. Ne vous taisez surtout pas, parlez. Donnez de la
voix et faites-vous entendre. Plus ces actes seront
dénoncés et plus de mesures seront mises en
place pour protéger les victimes et les aider.
Les violences étant aussi subies par 14% de la population
masculine, ces conseils sont valables pour toute personne
victime de violence, hommes et femmes.

LA LIGUE IVOIRIENNE DES DROITS


DES
FEMMES, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Cette association a été mentionnée à plusieurs reprises


dans notre histoire. Bien que ce soit une histoire fictive,
l'association par contre existe bel et bien et certains noms
cités sont des noms de personnes réelles œuvrant
réellement dans ce genre de cas. Leurs noms ont été cités
en hommage au travail qu'elles accomplissent au quotidien
pour les victimes de violences en Côte d'Ivoire.
La Ligue ivoirienne des droits des femmes est un réseau
féministe crée par des jeunes femmes ivoiriennes engagées
dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles
envers les femmes et qui a pour objectifs de :
• Initier les jeunes femmes au féminisme et au leadership à
travers la formation.
• Intensifier la collaboration entre la société civile et les
autorités dans la prise en charge des cas de viol et de
violences faites aux femmes.

Favoriser l'accompagnement juridique, psychologique et


social des femmes en situation de violences conjugales et
sexuelles.
• Contribuer à la promotion du genre par la sensibilisation.
Elle est composée de plusieurs jeunes dames venant de
divers horizons, courageuses et téméraires, rassemblées
pour la sororité et qui travaillent à offrir la justice, la
restauration, la réparation et l'aide aux femmes victimes de
violences et d'abus.
Si vous souhaitez contacter la Ligue, vous pouvez le faire
sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, LinkedIn) ou
envoyer un e-mail à l'adresse suivante :
laligue2020@gmail.com.
Vous pouvez aussi faire des dons à l'association afin d'aider
les survivantes dont elles ont la charge.

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